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#jesuisCouvre-feu

De retour d’une promenade à vélo, vous prenez une bière place de Rhin et Danube (qui nomme l’armée de libération en 1944 et non un chant patriotique de 1870). Il est 19h45.

Mais c’est une veille de couvre-feu ratée parce qu’un professeur de collège a été égorgé au nom d’Allah. Ainsi, cette nouvelle étape dans l’aventure pandémique est-elle annulée par l’urgence laïque, voire, on le sent bien dans l’air lourd du soir, l’urgence de désislamiser le pays. L’idée que quelqu’un puisse égorger son prochain n’est pas associée à la tendance criminelle du meurtrier mais à son appartenance religieuse fondamentaliste. Il l’a dit, on le croit, “on vous l’avait bien dit” a précisé la famille Le Pen.

Une du Monde vers 22h30, samedi 17 octobre 2020

Bref, vous avez pris cette bière et vous avez réussi à passer par le grand Monoprix de la Place des fêtes juste avant la fermeture de 21h. Des voitures et des scooters circulent quand-même rue de Belleville, dans l’ambiance retrouvée de mars-avril dernier.

N’empêche, tu profites d’un retour de haine pour savourer #jesuisprof en attendant le mois prochain qu’on se rappelle combien tu tires au flanc et combien tu as trop de vacances.

À pied et à vélo

Hier, après les cours, je suis sorti à pied pour aller voir l’eau au Port de l’Arsenal. Je voulais vérifier que sa transparence était comme sur les photos du « Parisien » : avec les algues visibles. En descendant la rue de Belleville, j’ai été vivement ramené au réel par la pétarade des scooters. C’était une bonne idée de téléphoner à C. Notre échange a fait écran, m’a certainement évité de protester intérieurement contre les canards sans tête ; les autres.

Pourtant, dès la sortie de la maison, le trottoir devant le garage de notre voisin, réparateur de motos (et surtout de scooters), concentrait une population de jeune types, toujours prêts au combat de virilité de celui qui changera en dernier de place pour laisser passer les piétons. Soupirs à l’infini…

Après avoir récupéré mon vélo et roulé jusqu’au XIIe, j’ai prolongé la marche jusqu’au lac Daumesnil. La nuit qui monte et le paysage fabriqué des arbres et de la grotte, représentent un apaisement considérable. Je retrouve É, amical et inchangé.
Au retour sur mon vélo, à la nuit, mes jambes me lancent dans la montée rue de la Chine.

Ce matin une cycliste descendait la pente, depuis la Porte des Lilas, sacoches rouges à l’arrière, équipement complet pour une longue randonnée. Je crois que je ne vais pas tarder à faire la même chose.

Sport

J’ai fait l’effort de chercher sur Youtube une vidéo de gymnastique, de musculation pour être précis.

L’enjeu est pour moi de taille : accepter de m’entretenir sans le prétexte du déplacement. En effet, si j’aime faire du vélo ou marcher c’est parce que l’utilisation d’un moyen de transport permet, justement, le trajet qui est, en quelque sorte, le récit d’un voyage. Au contraire, les longueurs de piscine, le jogging, à plus forte raison la gymnastique et, qui plus est, à la maison, m’étaient jusqu’alors impossibles parce que trop abstraits.

Disons, pour tenter une comparaison, que la gymnastique correspond à la lecture d’un essai : s’entretenir physiquement c’est un peu comme apprendre sans récit, sans l’aide d’un récit qui fait oublier à quel point l’apprentissage peut être forcé. Au contraire, donc, le tour de vélo, qui suppose un but de promenade, enrobe le sport sous un glacis de paysages, sous l’excuse du lieu où aller.

Il est désormais trop tard pour user de stratagèmes : je peux faire du sport.

Rétréci / Shrunk

Je ne suis plus si sûr d’avoir été franc en écrivant mes derniers articles. Non pas que je veuille l’être entièrement, on sait bien qu’écrire c’est toujours “mentir-vrai”. Mais l’écriture-vérité du journal suppose une certaine franchise, avec soi-même.

Ainsi, j’ai découvert ces derniers temps que je ne pouvais pas durablement vivre isolé. J’ai dû m’avouer que le repli sur soi n’était pas un signe noble de refus du matérialisme, ni une brave mise à distance des réseaux-de-communication-qui-pompent-notre-temps.
Non, j’ai broyé du noir.

J’en suis venu à la conclusion suivante : dans le monde dans lequel nous sommes entré, le moindre aphte, la moindre assiette cassée, la plus légère trace, la plus simple manifestation sonore des voisins peuvent virer au drame. Ces broutilles ne trouvent pas la perspective, la scène large du quotidien, pour apparaître à leur taille normale : infime.
Il s’agit de reconnaître ce changement d’échelle et de vivre honnêtement en fonction de cette nouveauté. Nier la transformation pourrait nous empêcher d’en recueillir les avantages et finir, peut-être, par devenir dangereux.

FreeConferenceCall.com

Tout le monde est particulièrement sensible, ces temps-ci, aux moyens de communication. Avant, on s’amusait, on s’essayait timidement aux vecteurs proposés sur Internet : leur nombre s’accumulait au rythme d’une curieuse redondance (apparente ?). Il était doucement accepté de se tenir à distance, d’arborer même parfois une ignorance de toutes ces imbécilités, gage de sérieux par ailleurs : le temps où l’on imprimait les mails, comme la manifestation d’un refus de faire confiance à l’écran en tant que support de lecture, n’était pas si loin. Cette ère est révolue.

Nous avons eu une heure de discussion, couplant l’appel téléphonique et WhatsApp desktop, pour parler du retour en classe le 11 mai : abandon d’un modèle d’enseignement à distance qui fonctionne tant bien que mal contre urgence d’un retour au collège pour des élèves perdus, voire en danger.

Les Français peints par eux-mêmes : une discussion en avril 2020 dans le 20e arrondissement de Paris.

Dimanche

On se réveille à 8h30. Le petit-déjeuner ne doit pas être trop riche, parce qu’aucun effort particulier n’est à prévoir.
Ménage complet de l’appartement, dans le soleil. Je rince les grandes plantes, sous l’artificielle pluie tropicale de la douche. Nous nous sommes répartis les tâches.
Préparation du déjeuner, après le survol de quelques articles de presse ; inutiles.
Je me remémore la communication collective d’hier avec d’anciens collègues du lycée américain à Istanbul. Ils m’ont semblé inchangés, comme à l’abri du temps dans leur résidence, précaires aussi, à la merci des permanents bouleversements politiques et économiques, comme les majordomes d’un parvenu aux finances mal assurées.
Libre, je me plonge à nouveau dans la lecture d’un roman de Jules Verne, voyage en voiture à cheval, à dos de dromadaire du côté de Kertch.
J’ouvre un recueil de poésies de Houellebecq pour mettre la main sur un vers qui décrirait le dimanche. Or, il manque les prémices d’une époque, perceptibles ce dimanche.

Home Trainer Vélo

Le principe, très simple, du Home Trainer est fondé sur le frottement des deux roues du vélo sur trois cylindres fixes. La roue arrière est maintenue en étau entre deux cylindres et la roue avant se pose sur le premier, resté seul.
Pour fabriquer un Home trainer il faut :
-des tasseaux ou lambourdes
-trois rouleaux à pâtisserie
-quatre équerre pour constituer le cadre.

Il suffit de scier le bois, de le percer, de pratiquer des trous au moyen d’une perceuse en maintenant fermement les pièces sur votre établi.
Il ne reste plus qu’à agencer le tout.*

*Veiller ensuite à placer le Home trainer sur votre balcon, votre terrasse ou tout simplement dans le jardin, devant le garage.

Vitres

Jour de linge aujourd’hui. C’est l’occasion de sortir pour un peu plus de temps et de constater à quel point la majorité des vitres de notre quartier brillent. Le soleil met en valeur le travail des occupants et désigne impitoyablement ceux qui sont partis, quand il ne frappe pas, tout simplement, des volets fermés.

La rue est parsemée d’emballages, de canettes, inhabituels. Au pied d’une poubelle publique, quelques oranges pourries sur un amas de café. Nouveau également, le passage régulier et fréquent du voisin d’en face, seul, masqué, en short, avec son fils, en pantalon, avec une cigarette.

À moins que ce ne soit moi, présent à cette heure, dans ces rues, avec cet éclairage et ce souci du détail, qui représente la nouveauté.

Le siphon

Extrait de mon journal : Ce matin j’ai débouché le lavabo de la salle de bain. Il n’était pas entièrement bouché, mais son écoulement ralentissait d’une façon inquiétante. Après la satisfaction de retirer le siphon et de le libérer de sa crasse accumulée, il a fallu connaître la détresse de le remonter en constatant que c’était pire encore. Je ne me suis pas démonté, j’ai rempli le lavabo et j’ai ventousé. L’eau jaillissait même par le trop plein. Tentant le tout pour le tout, j’ai obstrué ce drain secondaire de ma main gantée tout en continuant de manier la ventouse. Un choc s’est produit et l’eau s’est vivement écoulée. Sans trop y croire, j’ai vérifié la paroi extérieure du tuyau d’évacuation, elle était sèche : victoire.

Extrait de mon journal : Ce matin, pour ne plus penser à l’enfer que nous vivons au quotidien, à la croissance mortelle dans les hôpitaux et au fait que personne ne comprend rien à rien, j’ai décidé de déboucher le lavabo. Après un moment de réflexion, je me suis ravisé. Que signifiait une telle action alors “Que mille tombent à ton côté, Et dix mille à ta droite” (Psaume, 91, VII). J’ai alors ouvert trois journaux différents, comparé des courbes, réfléchi encore, autant que l’agressivité de la situation me le permettait. Après un long moment, c’était plus fort que moi, je me suis trouvé avec le siphon dans une main et un tournevis dans l’autre. Quelques minutes plus tard, l’eau s’écoulait à nouveau.

Déménagement

Le canapé qui était ici, contre le mur, présentant son flanc gauche à la fenêtre, demeure désormais à égale distance des deux fenêtres. Il fait face à la pièce et a opéré un quart de tour.

La cave à liqueurs a quitté l’abri de la bibliothèque pour venir se placer près de la table et devenir une desserte.

La table occupe la place laissée vacante par le canapé et se trouve perpendiculairement placée, contre la fenêtre la plus occidentale du salon. Elle bénéficie du maximum de lumière.

La bouture de misère a rejoint le dieffenbachia de la salle de bain et cette plante à feuilles bicolores dont j’ignore le nom. Le soleil de midi donne sur elles.

C’est, tout au moins, ce qu’on peut imaginer depuis le canapé.

Conséquences

Je me demande si on suit un protocole. Est-ce qu’il y a des étapes ? Après bientôt trois semaines, le temps de mesurer les conséquences est-il arrivé, pour moi ? Ou alors c’est tout simplement que je m’ennuie et que l’ennui stimule l’imagination. J’ai vu l’idée traîner dans Le Monde, le bréviaire des demi-intellectuels.

Mon stock de bande-dessinée est presque épuisé, les films et séries sont des sucreries qui laissent une acidité déplaisante dans le cerveau, un goût faux d’autres vies, qui stimule pour rien. La lecture, j’en fait l’expérience, est plus adaptée au rythme d’un jour qui se répète. Elle demande plus d’effort, en un sens, moins de passivité. Il me vient la comparaison entre un voyage en avion et un voyage terrestre. Je suis persuadé que notre condition n’est pas adaptée à la vitesse aéronautique. Peut-être même pas au moteur.

Je crois que c’était la conclusion de Barjavel dans Ravage. Évidemment, une telle idée suppose le refus du progrès technique… Et voilà que je me remets à vaticiner. C’est idiot, il faut se tenir à ce qu’on a sous les yeux, se concentrer sur la fenêtre, résister à la tentation de la prophétie. La vue des autres qui marchent sans but, sans aller vraiment se promener, sans suivre leur trajectoire habituelle, les traversée de rue en diagonale parce que le trafic automobile s’est presque éteint, voilà le catalyseur de mes ratiocinations.

Au loin la police, stationnée à Télégraphe.

Couverture de Ravage, Barjavel, Folio 2014.

La leçon

De ma fenêtre, je vois encore le même type. Cette fois-ci, il est sur son vélo. L’autre jour, il marchait avec une femme. Hier, je l’ai croisé rue Pixérécourt. Il est clair qu’il abuse.

Comme le primeur improvisé. Comme ma cousine, qui se plaint de ne pas pouvoir sortir, alors qu’elle habite seule dans 100 m2. Comme les élèves, qui prétendent ne pas avoir reçu les consignes ou ne pas arriver à se connecter.

C’est moi qui vit le mieux. J’ai compris la situation, j’en ai perçu les subtilités internationales. Je suis au courant des implications socio-économiques de cette crise-sans-précédent. Je fais preuve, au quotidien, d’un équilibre parfaitement dosé de courage, de sérénité, de dignité mais aussi de révolte ; parce qu’on ne saurait accepter l’entrave, mais parce que j’ai compris à quel point elle nous révélait.

D’ailleurs, nul besoin pour moi d’en faire la démonstration. Il me suffit de convoquer le moindre argument d’autorité. Il me suffit de puiser dans l’immensité des références qui peuplent mon esprit pour faire face et pour analyser.

Vigie

À la fenêtre du salon, un camion recouvert de graffitis est garé depuis deux semaines, je crois. Je ne l’avais pas remarqué. Il était sûrement déjà là avant. S’organise, alentours, un commerce de fruits et légumes. Le chauffeur distribue sa marchandise, depuis le hayon, à une clientèle qui m’était inconnue.

De la station Télégraphe, descendent des hommes en blouson de cuir vinyle, coupés court, l’air pas commode. Des originaux, un type en manteau militaire et guêtres, une femme et sa doudoune dorée.
Fenêtre sur rue.

Des voitures s’obstinent à descendre la rue de Belleville pour aller où ? Où peut-on aller ? Le bus 20 : à son bord un voyageur, parfois aucun.

Revue de presse

Je “lis” trois journaux. Mediapart, quelques articles jusqu’au bout, Le Monde, comme on lirait un journal gratuit dans le métro ou une dépêche d’agence de presse et Le Figaro, les titres et les débuts d’articles seulement.
Ce matin, j’ai particulièrement apprécié leur polarisation. C’est sûrement le bénéfice des évènements exceptionnels, ils ramènent aux valeurs fondamentales. En voici un florilège.

Le Figaro :
“Confinement, vacances annulées… Les conseils d’une psy pour parler du coronavirus aux enfants”
“Alain Finkielkraut: «Le nihilisme n’a pas encore vaincu, nous demeurons une civilisation»”
“Appel à la grève: «Une attitude irresponsable en ces temps de guerre sanitaire»”
“Coronavirus: poussée de fièvre anti-Parisiens à Noirmoutier”

Mediapart :
“Médicaments : des hôpitaux au bord de la pénurie”
“Les croisières de rêve virent au cauchemar”
“Yémen : cinq ans sous les bombes”
“Le gouvernement fait marche arrière sur les dividendes”

Le Monde :
“Coronavirus : Emmanuel Macron plaide pour une « solidarité » budgétaire européenne”
“Confinement : quelles applications pour les appels vidéo avec vos proches ?”
“En Allemagne, l’aide à domicile pâtit de la fermeture des frontières”
“Les 5 infos non liées au coronavirus que vous avez peut-être manquées cette semaine”

Nuisances

Il est déjà temps de faire un recueil des changements impliqués depuis huit jours. À Paris, ils sont certainement flagrants pour bon nombre de personnes, n’empêche, il faut les noter pour ne pas les oublier. Ce sont avant tout des nuisances en moins.

  1. La cheminée du Döner, habituellement allumée de 8h à 23h six jours sur sept : ronflement qui nous oblige à fermer une porte.
  2. Les odeurs permanentes de viande en décongélation dans les escaliers.
  3. La porte qui claque à l’entrée du bâtiment.
  4. La poubelle toujours pleine de cartons et de détritus venant du même restaurant.
  5. Les vibrations des machines à laver et des sèche-linge.
  6. Les odeurs de cuisine du restaurant asiatique.
  7. L’absence d’éclats de voix provenant du bar à chicha d’en-face à 2h du matin, jusqu’à 2h30. Il est désormais possible de dormir sans boules Quies.
  8. La circulation automobile plus que réduite. Non, l’honnêteté commande d’écrire : LA CIRCULATION AUTOMOBILE RÉDUITE.

Il en faudrait moins à n’importe qui pour conclure de cette liste que son auteur déteste la ville, les commerces, la cuisine orientale, la voiture. Profitez-en, il est toujours si agréable de trouver son prochain plus étriqué et pénible que soi.
Pourtant il s’agit d’autre chose : je parle de mille concessions que l’on fait parce qu’on doit les faire.

Nul bruit à l’horizon, nul cris dans les nuages ;
La journée s’organise en groupes d’habitudes

Michel Houellebecq, Le Sens du combat, “Séjour-club”, 1996