4 mai 2020 – Covid – 19 diary /@19/ Mon, 04 May 2020 21:54:54 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.1 /@19/wp-content/uploads/2020/04/cropped-Capture-d’écran-2020-04-08-à-13.56.16-32x32.png 4 mai 2020 – Covid – 19 diary /@19/ 32 32 Perdre /@19/2020/05/04/perdre/ /@19/2020/05/04/perdre/#respond Mon, 04 May 2020 17:01:18 +0000 /@19/?p=1107 Continuer la lecture de Perdre ]]> Ça fait dix jours plus au moins que je me suis perdue : entre l’annonce de l’annulation du festival d’Arles –pour qui je travaille -, le « deuil » du projet interrompu et la nécessité de créer une nouvelle routine. Au début, j’ai eu le cœur serré. L’annonce a été violent. J’ai essayé de penser à ce que je ferais pendant le chômage technique, d’ici jusqu’à la fin du contrat en juillet (et après à la recherche d’un nouveau boulot !). C’est la première année depuis trois ans que je ne passerai pas mon séjour de deux mois à Arles.  

Ensuite j’ai ressenti une liberté immense, une excitation, l’opportunité de créer, de se réinventer de nouveaux scénarios. Dessiner ; écrire un projet de recherche de post-master, apprendre à renderizer des maquettes 3D ; préparer mon CV et portfolio pour faire des candidatures spontanées ; créer un livre avec des images du confinement. Bref. Mes journées de la semaine dernière ont été très flottantes, jamais concentrée.

Vendredi, premier mai, comme pour respect à cette journée, j’ai décidé de laisser tous les possibles projets en suspens. J’ai décidé de m’arrêter, de ne pas être productive.

J’ai pris un livre au hasard, sans avoir aucune idée de son contenu et de son origine, dans la bibliothèque qui ne m’appartient pas. Pendant sept semaines j’ai observé ce livre « l’Art de perdre » sans ne jamais l’ouvrir avec un mixte d’intérêt et méfiance. Je n’aimais pas le titre, il me semblait livre de développement personnel. Il me dérangeait. Depuis vendredi je suis complétement submergée par l’histoire de ce roman sur la fuite de la guerre en Algérie, sur le dépaysement forcé et la recherche des identités. Je me laisse oublier en suivant Naïma qui essaie de tracer son histoire en rassemblant les fils perdus et silencieux des souvenirs de sa famille.

« Tous les trois continuent à marcher en silence sur les champs hivernaux. Ali se retourne parfois vers ses deux fils ainés et il pense, sans oser leur dire mais en espérant qu’ils puissent le comprendre : Regardez bien tout ce qui se trouve autour de vous, fabriquez-vous des souvenirs de chaque branche, de chaque parcelle, car on ne sait pas ce qu’on va garder. Je voulais tout vous donner mais je ne suis plus sûr de rien. Peut-être que nous serons tous morts demain. Peut-être que ces arbres brûleront avant que j’aie réalisé ce qui se passe. Ce qui est écrit nous est étranger et le bonheur nous tombe dessus ou nous fuit sans que l’on sache comment ni pourquoi, on ne saura jamais, autant chercher les racines du brouillard. 

C’est à partir de là qu’il n’y a plus de vignettes, plus d’images aux couleurs vives que l’âge a délavées jusqu’aux pastels qui rendent toute scène charmante. Elles sont remplacées par des morceaux tordus ressurgis des souvenirs de Hamid et retravaillés par des années de silence et rêves hirsutes, éclats d’information que lâche Ali au détour d’une phrase avant de répondre le contraire quand on l’interroge, bribes de récits que l’on dirait tirés de films de guerre sans que personne n’ait été là pour les vivre. Et entre ces poussières, comme une pâte, comme du plâtre qui se glisserait dans les fentes, comme les pièces d’argent que l’on fond sur la montagne pour servir de montures aux coraux parfois gros comme la paume, il y a les recherches menées par Naïma plus de soixante ans après le départ d’Algérie qui tentent de donner une forme, un ordre à ce qui n’en a pas, n’en a peut-être jamais eu. »

(L’Art de perdre, Alice Zeniter, Ed, Flammarion, p. 121)

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