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Vitres

Jour de linge aujourd’hui. C’est l’occasion de sortir pour un peu plus de temps et de constater à quel point la majorité des vitres de notre quartier brillent. Le soleil met en valeur le travail des occupants et désigne impitoyablement ceux qui sont partis, quand il ne frappe pas, tout simplement, des volets fermés.

La rue est parsemée d’emballages, de canettes, inhabituels. Au pied d’une poubelle publique, quelques oranges pourries sur un amas de café. Nouveau également, le passage régulier et fréquent du voisin d’en face, seul, masqué, en short, avec son fils, en pantalon, avec une cigarette.

À moins que ce ne soit moi, présent à cette heure, dans ces rues, avec cet éclairage et ce souci du détail, qui représente la nouveauté.

Champs de vision (réduite)

Dans mon champs de vision, il y a l’énorme bâtiment rose, la rue de Belleville et l’intérieur de mon appartement. Comme nous sommes très respectueux avec les règles de confinement, nous sortons vraiment en cas de besoin et jamais pour plus d’une heure, malgré le beau temps. À force, je me trouve fréquemment sur la chaise près de la fenêtre du salon, en regardant souvent les mouvements visibles des voisins. À partir du deuxième étage et jusqu’au sixième, chacun dispose d’un bout de balcon aligné sur l’étage, séparé par une grille. Parfois deux ou trois personnes sortent en même temps pour fumer. Ils marchent le long du balcon. Il y a quelques vieux couple, environ 70 ans, regardant souvent vers nous et le bout de la rue. Hier soir, une jeune fille dansait au balcon avec la musique qui venait de notre immeuble. (C’est la coutume, pour nos voisins du fond de la cour, de diffuser de la musique de bonne qualité chaque samedi, pendant 1 heure pour le quartier).  Au premier étage, sans balcon, un monsieur regarde vers nous (comme on est à égalité de niveau) quand il fait la cuisine, vus ses mouvements. La concierge, habitant au rez-de-chaussée et ne disposant pas de balcon, sors au moins trois fois avec ou sans son chien, pour fumer devant chez elle, à coté du supermarché cacher. 

À propos, tout les commerces visibles de l’angle de ma fenêtre sont fermés, sauf le supermarché cacher.  Il a enfin ré-ouvert aujourd’hui car il était fermé depuis mercredi, le jour de la pâque juive « Pessah ». La circulation de la rue de Belleville avait visiblement baissé depuis ce jour là. 

Concomitamment avec la fermeture, c’est les arbres qui ont commencé à donner des feuilles. L’ordre est tellement irrégulier et inattendu que j’avais perdu l’espoir des les voir bourgeonner, comme c’est le cas dans d’autres quartiers. Le jasmin, devant la fenêtre d’ailleurs, lui aussi, est en train de donner des fleurs. 

Et, à l’intérieur, je me trouve devant la fenêtre, regardant mes voisins, les compléments de cette scène. Bientôt ils vont recommencer à applaudir pour les soignants et reprendre leur vie que je ne verrai pas d’ici. Pendant ce temps là, je continue à faire tous les efforts pour me convaincre de vivre sereinement, sans tomber dans le désespoir. 

rêve 01

Cette nuit j’ai rêvé. Ou plutôt cauchemardé. Cela n’est pas fréquent mais cela arrive. De temps à autre. Et cela ne me déplaît pas, je l’avoue.

Une séance de tortures. Des supplices culinaires. Nous étions deux. Il était bien en chair, la peau blanche et rouge à la fois. Une tignasse blonde, cheveux en bataille, et une belle paire de joues. Boris Johnson ? pas sûr, il avait l’air plus jeune. Je crois.
C’est lui qui passe à la casserole le premier.

Supplice n°1 : de cuillerées de moutarde. Une moutarde aux teintes foncées. Elle semble extrêmement forte. Elle vous monte au nez rien qu’en la regardant. Les narines du jeune Boris attaché sont alors remplies massivement de ce condiment. Il résiste. Il a la carcasse solide.

Supplice n°2 : du nougat. Beaucoup de nougat. Le principe est simple, on vous en met un morceau dans la bouche. Il faut le mâcher, le mastiquer, il vous colle aux dents, s’englue dans le gosier. On n’a pas eu le temps d’en finir qu’un second morceau est glissé dans la bouche du supplicié. Il se mêle au premier, vient le grossir. Puis un nouveau morceau. Cela ne s’arrête pas. La pâte prend de plus en plus de place. Le muscle ptérygoïdien médial, entre la maxillaire supérieure et la mandibule s’étire comme il ne l’a jamais fait. Les dents résistent mais elles sont prêtes à éclater.

Le rêve-cauchemar se rompt et se répand dans le lit avant l’explosion buccale.
Je n’ai jamais aimé mourir dans mes voyages nocturnes, encore moins y perdre la bouche. Je trouve toujours une issue pour m’échapper.

são paulo – dia 24

10.04
19:40h

Eu percebi que meu humor muda drasticamente entre o dia e a noite.

O dia normalmente começa bem. Ele é cheio de cor, luz e promessa de vida. Consigo me ocupar. Às vezes trabalho, escrevo, sempre cozinho. Tomo sol.

Mas quando a noite começa a cair… um silêncio estranho se esparrama pela cidade. É um silêncio que não devia estar ali. Um silêncio forçado e triste. Fico perdida. Não sei como agir, andando no apartamento, procurando um pedaço meu que ficou escondido em algum canto que eu nem sei. (O que estaria fazendo e onde estaria, caso isso não estivesse acontecendo?)

E então o escuro se estende como um manto estranho que encobre o mundo de solidão.

carte mentale de confinement

Plus je lis (les infos) moins j’ai envie d’écrire sur mon petit quotidien bien qu’il soit rempli d’action. Mais le dernier article du blog (oui, j’assume l’auto-promo) m’a donné un coup de fouet et me voilà avec mes cartes mentales de confinement.

La première présente la perception du quartier proche de la maison depuis le début du confinement.

Quant à la deuxième, elle se concentre sur les axes que l’on peut emprunter pour la sortie d’une heure. Ils sont différenciés par des sentiments que chaque choix de direction révèle.

Le siphon

Extrait de mon journal : Ce matin j’ai débouché le lavabo de la salle de bain. Il n’était pas entièrement bouché, mais son écoulement ralentissait d’une façon inquiétante. Après la satisfaction de retirer le siphon et de le libérer de sa crasse accumulée, il a fallu connaître la détresse de le remonter en constatant que c’était pire encore. Je ne me suis pas démonté, j’ai rempli le lavabo et j’ai ventousé. L’eau jaillissait même par le trop plein. Tentant le tout pour le tout, j’ai obstrué ce drain secondaire de ma main gantée tout en continuant de manier la ventouse. Un choc s’est produit et l’eau s’est vivement écoulée. Sans trop y croire, j’ai vérifié la paroi extérieure du tuyau d’évacuation, elle était sèche : victoire.

Extrait de mon journal : Ce matin, pour ne plus penser à l’enfer que nous vivons au quotidien, à la croissance mortelle dans les hôpitaux et au fait que personne ne comprend rien à rien, j’ai décidé de déboucher le lavabo. Après un moment de réflexion, je me suis ravisé. Que signifiait une telle action alors “Que mille tombent à ton côté, Et dix mille à ta droite” (Psaume, 91, VII). J’ai alors ouvert trois journaux différents, comparé des courbes, réfléchi encore, autant que l’agressivité de la situation me le permettait. Après un long moment, c’était plus fort que moi, je me suis trouvé avec le siphon dans une main et un tournevis dans l’autre. Quelques minutes plus tard, l’eau s’écoulait à nouveau.

logique gestionnaire

J’ai fait les derniers gestes pour le pain et mis la pâte dans le frigo. Il faut attendre demain matin pour le cuire. Un peu de Twitter pour suivre les infos et les réactions de gens que je suis. Et bammm la décision du gouvernement turc de couvre-feu total à appliquer dans 32 grand villes pendant le week-end du 11-12 avril. C’est-à-dire dans 2 heures pour l’heure de Turquie il faut être prêt à en passer 48 avec tout ce qu’il y a à disposition. J’appelle d’abord ma mère « y-a suffisamment chose pour le we ? » « oui, largement » dit-elle. Ensuite je demande au reste de la famille sur le groupe de WhatsApp. « Ca ira ». Mais les autres ? 32 grand villes équivalent, au moins, à la moitié de la population turque. Quelle logique gestionnaire pourrait justifier la prise d’une telle décision avant minuit au moment de la crise ? Une crise littéralement « globale ». La honte à l’égard des citoyens turcs qui ne sont pas respectés en tant qu’individu, en tant qu’être. Ils leur restent deux heures pour faire leur stock au prix de faire une bataille de queue, « imposé par le gouvernement ». La panique nous permet-elle de calculer la longueur de la distanciation sociale là ? Il est malin le gouvernement turc, plus que tout le monde. Enfermer les gens pendant deux jours suffirait à éviter la hausse de la propagation ! Vers minuit sur twitter la colere augmente !
« N’oublions pas ce soir, nommons le ! »

Je suis curieuse de ce que va raconter le graphique du « Corona virus en Turquie » dans 14 jours.

são paulo – dia 23

dia 09.04

Fui cedo para a cama e lá fiquei lendo. Estava cansada e sentia que iria dormir cedo. (O que seria ótimo, dado que faz muitos dias que ando dormindo mal). Mas as leituras se transformaram em lágrimas e as lágrimas em melancolia. Saudade. Apesar de não saber exatamente do que. Tentei ligar para o Lucas, mas nossa diferença de horário já é de 05 horas.

Gostaria de ter algo para contar. Mas já não há mais histórias, anedotas ou ideias. Sinto um abismo entre as palavras e as coisas. Despenco neste abismo e tenho vontade de só voltar quando as pontes entre o interior e o exterior forem reconstruídas.

A única coisa que posso afirmar é que a palavra AMOR, de repente, da mais insensata lucidez.

Déménagement

Le canapé qui était ici, contre le mur, présentant son flanc gauche à la fenêtre, demeure désormais à égale distance des deux fenêtres. Il fait face à la pièce et a opéré un quart de tour.

La cave à liqueurs a quitté l’abri de la bibliothèque pour venir se placer près de la table et devenir une desserte.

La table occupe la place laissée vacante par le canapé et se trouve perpendiculairement placée, contre la fenêtre la plus occidentale du salon. Elle bénéficie du maximum de lumière.

La bouture de misère a rejoint le dieffenbachia de la salle de bain et cette plante à feuilles bicolores dont j’ignore le nom. Le soleil de midi donne sur elles.

C’est, tout au moins, ce qu’on peut imaginer depuis le canapé.

Première gueule de bois de confinement

Depuis le confinement, on parle plus souvent avec des amis pour prendre/donner des nouvelles en détail. Comme dans plusieurs domaines, on s’est beaucoup amélioré en video-chat, en faisant en sorte de moins subir l’effet d’isolement venant du confinement. Ce n’était pas notre premier vidéo-chat hier soir évidement. Mais, pour  la premiere fois, j’ai senti le plaisir d’échanger avec des amis de longue date, à travers un écran, sans porter attention à ce medium d’échange, sans compter le nombre de bières ouvertes durant ce moment. Un signe d’acceptation de la normalité de ce mode de vie ? Ou tout simplement la volonté de quitter toute actualité pour s’écouter plus, sans compter le temps passé ? 

bugüne dair alıntı

‘ Zaman nehrin suları gibi akıp gidiyor. Tek bir ana tutunup onu yaşamaya çalışırsak dengemizi kaybedip alabora olur ve savunmasız kalırız. tıpkı bir bebek gibi. Kaldı ki bebek hayatta kalmayı başarabilir, biz ise boğulur gideriz. Bizim zihinlerimizin anlatmaya anlatışa gereksinimi vardır. Tutunmak için. Geçmiş artık geride kaldı. Gelecekte ise sımsıkı yakalayabileceğin hiçbir şey yok. Gelecek henüz koca bir hiçlik. Orada nasıl yaşanabilir ki? İşte bundan dolayı sahip olduğumuz tek şey geçmişte yaşanmışları ve şu an yaşanmakta olanları bize anlatan sözlerdir. Olmuşu ve olanı.’

Anlatış, Ursula K. Le Guin

cage d’escalier 01

Je descends chercher le journal dans la boîte aux lettres. Quelques marches avant d’arriver au rez-de-chaussée un rat, oui un rat, se balade, il monte les marches. Comme un voisin.
Il est plutôt charnu, et ses dimensions honnêtes, mais pas d’abus excessif. Cependant son pelage semble humide, il n’est ni peigné, ni brossé. Je n’ai pas vu ses yeux, et ne saurait dire s’ils étaient rouges vifs comme on aime les représenter. Il est seul. Il se balade, on dirait. Il n’est pas farouche non plus, et manque de rapidité. Fatigué ? Âgé ? Mélancolique ? Malade ?

Je lui fais comprendre qu’il se dirige dans la mauvaise direction. Son habitat n’est pas dans les étages, il n’est pas en train de faire du sport non plus, alors comme tout le monde il doit retourner dans ses appartements se confiner. Il aurait toutefois pu me rétorquer qu’il allait chercher là-haut des produits de première nécessité. Mais je n’ai vu aucune attestation.
Alors gentiment, pressé par mon pas, il se dirige vers chez lui et rejoins le local poubelle vers lequel il disparaît, la larme à l’oeil.