Archives de catégorie : Paris

Le siphon

Extrait de mon journal : Ce matin j’ai débouché le lavabo de la salle de bain. Il n’était pas entièrement bouché, mais son écoulement ralentissait d’une façon inquiétante. Après la satisfaction de retirer le siphon et de le libérer de sa crasse accumulée, il a fallu connaître la détresse de le remonter en constatant que c’était pire encore. Je ne me suis pas démonté, j’ai rempli le lavabo et j’ai ventousé. L’eau jaillissait même par le trop plein. Tentant le tout pour le tout, j’ai obstrué ce drain secondaire de ma main gantée tout en continuant de manier la ventouse. Un choc s’est produit et l’eau s’est vivement écoulée. Sans trop y croire, j’ai vérifié la paroi extérieure du tuyau d’évacuation, elle était sèche : victoire.

Extrait de mon journal : Ce matin, pour ne plus penser à l’enfer que nous vivons au quotidien, à la croissance mortelle dans les hôpitaux et au fait que personne ne comprend rien à rien, j’ai décidé de déboucher le lavabo. Après un moment de réflexion, je me suis ravisé. Que signifiait une telle action alors “Que mille tombent à ton côté, Et dix mille à ta droite” (Psaume, 91, VII). J’ai alors ouvert trois journaux différents, comparé des courbes, réfléchi encore, autant que l’agressivité de la situation me le permettait. Après un long moment, c’était plus fort que moi, je me suis trouvé avec le siphon dans une main et un tournevis dans l’autre. Quelques minutes plus tard, l’eau s’écoulait à nouveau.

logique gestionnaire

J’ai fait les derniers gestes pour le pain et mis la pâte dans le frigo. Il faut attendre demain matin pour le cuire. Un peu de Twitter pour suivre les infos et les réactions de gens que je suis. Et bammm la décision du gouvernement turc de couvre-feu total à appliquer dans 32 grand villes pendant le week-end du 11-12 avril. C’est-à-dire dans 2 heures pour l’heure de Turquie il faut être prêt à en passer 48 avec tout ce qu’il y a à disposition. J’appelle d’abord ma mère « y-a suffisamment chose pour le we ? » « oui, largement » dit-elle. Ensuite je demande au reste de la famille sur le groupe de WhatsApp. « Ca ira ». Mais les autres ? 32 grand villes équivalent, au moins, à la moitié de la population turque. Quelle logique gestionnaire pourrait justifier la prise d’une telle décision avant minuit au moment de la crise ? Une crise littéralement « globale ». La honte à l’égard des citoyens turcs qui ne sont pas respectés en tant qu’individu, en tant qu’être. Ils leur restent deux heures pour faire leur stock au prix de faire une bataille de queue, « imposé par le gouvernement ». La panique nous permet-elle de calculer la longueur de la distanciation sociale là ? Il est malin le gouvernement turc, plus que tout le monde. Enfermer les gens pendant deux jours suffirait à éviter la hausse de la propagation ! Vers minuit sur twitter la colere augmente !
« N’oublions pas ce soir, nommons le ! »

Je suis curieuse de ce que va raconter le graphique du « Corona virus en Turquie » dans 14 jours.

Déménagement

Le canapé qui était ici, contre le mur, présentant son flanc gauche à la fenêtre, demeure désormais à égale distance des deux fenêtres. Il fait face à la pièce et a opéré un quart de tour.

La cave à liqueurs a quitté l’abri de la bibliothèque pour venir se placer près de la table et devenir une desserte.

La table occupe la place laissée vacante par le canapé et se trouve perpendiculairement placée, contre la fenêtre la plus occidentale du salon. Elle bénéficie du maximum de lumière.

La bouture de misère a rejoint le dieffenbachia de la salle de bain et cette plante à feuilles bicolores dont j’ignore le nom. Le soleil de midi donne sur elles.

C’est, tout au moins, ce qu’on peut imaginer depuis le canapé.

Première gueule de bois de confinement

Depuis le confinement, on parle plus souvent avec des amis pour prendre/donner des nouvelles en détail. Comme dans plusieurs domaines, on s’est beaucoup amélioré en video-chat, en faisant en sorte de moins subir l’effet d’isolement venant du confinement. Ce n’était pas notre premier vidéo-chat hier soir évidement. Mais, pour  la premiere fois, j’ai senti le plaisir d’échanger avec des amis de longue date, à travers un écran, sans porter attention à ce medium d’échange, sans compter le nombre de bières ouvertes durant ce moment. Un signe d’acceptation de la normalité de ce mode de vie ? Ou tout simplement la volonté de quitter toute actualité pour s’écouter plus, sans compter le temps passé ? 

cage d’escalier 01

Je descends chercher le journal dans la boîte aux lettres. Quelques marches avant d’arriver au rez-de-chaussée un rat, oui un rat, se balade, il monte les marches. Comme un voisin.
Il est plutôt charnu, et ses dimensions honnêtes, mais pas d’abus excessif. Cependant son pelage semble humide, il n’est ni peigné, ni brossé. Je n’ai pas vu ses yeux, et ne saurait dire s’ils étaient rouges vifs comme on aime les représenter. Il est seul. Il se balade, on dirait. Il n’est pas farouche non plus, et manque de rapidité. Fatigué ? Âgé ? Mélancolique ? Malade ?

Je lui fais comprendre qu’il se dirige dans la mauvaise direction. Son habitat n’est pas dans les étages, il n’est pas en train de faire du sport non plus, alors comme tout le monde il doit retourner dans ses appartements se confiner. Il aurait toutefois pu me rétorquer qu’il allait chercher là-haut des produits de première nécessité. Mais je n’ai vu aucune attestation.
Alors gentiment, pressé par mon pas, il se dirige vers chez lui et rejoins le local poubelle vers lequel il disparaît, la larme à l’oeil.

Conséquences

Je me demande si on suit un protocole. Est-ce qu’il y a des étapes ? Après bientôt trois semaines, le temps de mesurer les conséquences est-il arrivé, pour moi ? Ou alors c’est tout simplement que je m’ennuie et que l’ennui stimule l’imagination. J’ai vu l’idée traîner dans Le Monde, le bréviaire des demi-intellectuels.

Mon stock de bande-dessinée est presque épuisé, les films et séries sont des sucreries qui laissent une acidité déplaisante dans le cerveau, un goût faux d’autres vies, qui stimule pour rien. La lecture, j’en fait l’expérience, est plus adaptée au rythme d’un jour qui se répète. Elle demande plus d’effort, en un sens, moins de passivité. Il me vient la comparaison entre un voyage en avion et un voyage terrestre. Je suis persuadé que notre condition n’est pas adaptée à la vitesse aéronautique. Peut-être même pas au moteur.

Je crois que c’était la conclusion de Barjavel dans Ravage. Évidemment, une telle idée suppose le refus du progrès technique… Et voilà que je me remets à vaticiner. C’est idiot, il faut se tenir à ce qu’on a sous les yeux, se concentrer sur la fenêtre, résister à la tentation de la prophétie. La vue des autres qui marchent sans but, sans aller vraiment se promener, sans suivre leur trajectoire habituelle, les traversée de rue en diagonale parce que le trafic automobile s’est presque éteint, voilà le catalyseur de mes ratiocinations.

Au loin la police, stationnée à Télégraphe.

Couverture de Ravage, Barjavel, Folio 2014.

Recurrences // Tekrarlar

4 choses que je vois de manière récurrente lors d’une balade dans le quartier : la queue, les crottes de chien, les affiches de solidarité, les arbres en fleur. Dans le cas où le deuxième élément augmente de façon excessive, je ne peux pas observer et dois regarder mes pas

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Yürüyüş yaparken karşıma sürekli çıkan 4 şey: bekleme sırası, köpek kakası, sağlıkçılarla dayanışma afişleri, yeşermiş ağaçlar. İkincinin miktarının artması durumunda bastığım yere bakmaktan gözlem yapamayacağım…

Pour une retraite universelle pour la terre

Rien ne m’importe plus que le soleil qui chauffe et éclaire progressivement depuis ce matin. 

Un plaisir très ancien pour moi est de se réjouir de l’arrivée du printemps, même confiné. Justement, je crois que c’est très bien qu’on laisse la nature récupérer, se reposer de nos impacts pendant cette période. on n’a pas forcément besoin d’aller dans la nature pour y penser. Les journaux écrivent que « les humains observent plus la nature en confinement », et un responsable de parc naturel nous met en garde contre la forte volonté d’aller dans la nature après le confinement. Ce serait vraiment horrible de voir une invasion dans les parcs et dans la nature tout en gardant les mêmes habitudes : musique tonitruante, ignorance de la faune et de la flore, jeter les déchets par terre etc. Marre de voir la nature comme le fond d’écran de l’activité humaine.  

Tout ça me porte à une réflexion nouvelle sur la fragilité et la naïveté de la nature. Je l’imagine, comme la victime de la force des méchants à qui on voudrait apporter son soutien dans un film.  Malheureusement, un écran nous sépare. Je ne veux pas, et je ne peux pas envisager, un retour à la « normale » sans changer les règles de l’usage de la vie à l’extérieur. 

Alors je rêve d’une fête universelle pour bien marquer l’impact de cet épidémie et l’importance de l’équilibre naturel : désormais, chaque année partout dans le monde, nous allons rester chez nous strictement pendant un mois pour laisser la Terre et ses habitants non humain, se reposer afin qu’ils reprennent de la force. Puis, fin de confinement annuel, nous irons à la nature en faisant la queue pour voir son harmonie. Pour l’avenir de la ville je n’ai pas encore réfléchi. 
Ps: La photo @ le Crotoy, 10/2019

Sahiplenme // S’approprier

version française après le // plus bas

Evde benden küçük 2 kardeşimle yalnızdık. 11-12 yaşında olmalıyım. Annem ve babamınla birlikte diğer iki ablamın nerde oldugunu hatırlamıyorum. İnanılmaz bir heyecanla yeni ve genişlemiş özgürlük alanıma alıcı gözüyle bakıyordum. Annemin otoritesinin bir süreliğine olmadıgı evdeki yeni otorite bendim. Özgürlüğü çok net hissettiğim ilk anlardan biriydi. İstediğim her şeyi istediğim her yerde yapabilirdim. 

Bütün yemekleri mutfakta yemek ve mutfak aletleriyle sadece yemek yapmak, banyoda duş almak, yatak odasında uyumak ve salonda akşamları oturmak gibi, şeylerin bulundukları mekanın içine işlemiş katı değişmeyen rollerine taktığım bir dönemdi.

İlk iş kardeşlerime birlikte hazırladığımız ilk öğle yemeğini, bütün odaların kapılarının toplandığı girişte yemeyi önermek oldu. Mutfaktaki yemek masasını portmantonun o alanı süsleyen tek mobilya olduğu, aşağı yukarı 8 metrekarelik girişte normalde sadece geçmek için kullandığımız bu alana yerleştirip yemek fena mı olurdu ? Kabul ederlerse yaşayacağım mutluluğu ve heyecanı görmüş olacaklar ki hadi bir deneyelim dediler. Peynirli makarnayı salon ve yatak odasından süzülen güneş ışığının aydınlattığı masada yerken bunu anneme anlatmamaya karar verdik, muhtemelen saçma bulacaktı.

Planlama literatüründe, bir mekana müdahale etmek, onu değiştirip kendi ihtiyaç ve estetik zevkiyle yoğurarak dönüştürmek o mekanı sahiplenmek, onu « yaşama » nın yollarından biri olarak kabul edilir. Şu karantina günlerinde yaşadığım yere yaptığım müdaheleleri düşünüyorum da bu anı onların anasıdır. 

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Nous étions seules à la maison avec mes 2 jeunes sœurs. Je devais avoir 11-12 ans. Je ne me souviens pas où étaient mes deux sœurs aînées et mes parents. Je regardais mon nouvel espace de liberté élargi avec une excitation incroyable. Pendant l’absence de ma mère, j’étais la nouvelle autorité dans la maison, pour un temps limité. Ce fut l’un des premiers moments où j’ai ressenti très clairement la liberté. Je pouvais faire tout ce que je voulais, dans n’importe quel lieu. C’était une période où j’étais préoccupée par une série de rituels ancré aux lieux et aux objets. Tous les repas dans la cuisine, cuisiner avec des appareils de cuisine, la salle de bain pour prendre une douche, la chambre pour dormir, le salon pour se reposer. Bref, il y avait des endroits où se trouvaient les choses, dans leurs rôles immuables et cela me dérangeait.
Le premier travail consistait à proposer à mes sœurs de prendre le premier déjeuner que nous avions préparé ensemble, dans l’entrée où toutes les portes des chambres étaient rassemblées. Serait-il correct de placer la table à manger de la cuisine dans ces 8 m2 que nous utilisons normalement uniquement pour passer ? Si elles acceptaient, elles verraient le bonheur et l’excitation que je vivrais, alors elles ont dit “essayons”. Nous avons décidé de ne pas en parler à ma mère en mangeant les pâtes au fromage, sur la table éclairée par la lumière du soleil glissant du salon et de la chambre ; elle trouverait probablement cela ridicule.
Dans la littérature de l’urbanisme, intervenir sur un espace, le changer et le pétrir avec ses propres besoins et goûts esthétiques est considéré comme l’un des moyens d’habiter cet espace.
Je pense aux interventions que j’ai faites chez moi pendant les jours de confinement, ce souvenir doit en être la base.

intérieur 02

plongée dans les entrailles de l’immeuble. un corps que l’on découvre, on on apprend chaque jour à se connaître. la perception est nouvelle.

le samedi matin sous le plancher il semble y avoir une chorale dont l’existence m’était jusqu’ici inconnue. des cris qui viennent des profondeurs de la cage d’escalier et résonnent jusque dans la chambre. des foulées d’un joggueur qui confond désormais l’escalier avec une piste verticale de course. des chasses d’eau qui rugissent. des soupirs infinis. des coups secs répétés, tard le soir, chaque soir : violence conjugale ou ébats sexuels ? une perceuse qui tourne en plein après-midi. l’irruption de bruits venant d’appartements de l’immeuble mitoyen.

le silence n’existe pas. si les rues sont désertes, elles nous révèlent que l’immeuble ne l’est pas. tant mieux. c’est qu’ils ne sont pas partis à la campagne.

Se laisser habiter par cette période

Chaque jour ressemble au précédent dans la forme mais pas dans le fond

Dans cette 3eme semaine de confinement, j’ai décidé d’aimer mes « nouvelles » habitudes ancrées à la nature des objets, à leur place, aux coins réorganisés pour être y vivre longtemps, sinon changés en fonction du mouvement du soleil. 

Je réfléchi davantage à l’amélioration des lieux en terme d’usage pratique et mental. 

Les « devant fenêtre » portent, depuis 3 semaines, une importance non négligeable. Les chaises complètent le confort de ces nouvelles installations modulables. Chaque nouvel élément ajouté dans ces coins apporte à l’harmonie d’ensemble plus de confort et de sens. 

Je réfléchi également à la forme d’expression de mon « journal de confinement » de manière à ce qu’elle continue de me nourrir intellectuellement et qu’elle me rappelle à quel point cette période pourrait être féconde.
Je voudrais qu’ici tout le monde s’exprime à sa manière, en prenant la liberté la plus complète sans juger la perception de l’autre. 

La leçon

De ma fenêtre, je vois encore le même type. Cette fois-ci, il est sur son vélo. L’autre jour, il marchait avec une femme. Hier, je l’ai croisé rue Pixérécourt. Il est clair qu’il abuse.

Comme le primeur improvisé. Comme ma cousine, qui se plaint de ne pas pouvoir sortir, alors qu’elle habite seule dans 100 m2. Comme les élèves, qui prétendent ne pas avoir reçu les consignes ou ne pas arriver à se connecter.

C’est moi qui vit le mieux. J’ai compris la situation, j’en ai perçu les subtilités internationales. Je suis au courant des implications socio-économiques de cette crise-sans-précédent. Je fais preuve, au quotidien, d’un équilibre parfaitement dosé de courage, de sérénité, de dignité mais aussi de révolte ; parce qu’on ne saurait accepter l’entrave, mais parce que j’ai compris à quel point elle nous révélait.

D’ailleurs, nul besoin pour moi d’en faire la démonstration. Il me suffit de convoquer le moindre argument d’autorité. Il me suffit de puiser dans l’immensité des références qui peuplent mon esprit pour faire face et pour analyser.