Cartographier un paysage urbain – protocole enquête marche dans tokyo

Francesca Fanciulli, Jeanne Leman, Mathieu Longlade, Magdalena-Laëtitia Ndiki-Mayi.

Objectifs

Réalisé pendant le confinement/crise sanitaire, il s’agit ici d’une expérience de cartographie sensible d’un parcours virtuel dans la ville de Tokyo. C’est à travers une vidéo de marche dans la mégalopole que les enquêtés vivent l’itinéraire urbain. L’objectif de cette mini-enquête était de récolter les ressentis et perception de cet itinéraire à travers un protocole définis en amont.

photo extraite de la vidéo

Processus de créations et attentes

Pour ce faire, nous avons d’abord amorcé une discussion sur la vidéo en elle même et sur les thématiques ou formes de perceptions que nous aimerions interroger chez les enquêtés. 

La forme du parcours urbain dans la vidéo est assez linéaire et que l’environnement filmé est assez dense en informations, notamment visuelles. Nous avons ainsi fait le choix de questionner les enquêté sur des repères localisés le long du parcours. C’est à ce moment que nous avons choisi la constante dans le protocole d’un fond de plan très simple, représentant le parcours effectué par la caméra dans la ville. 

Il nous a semblé que l’intérêt serait alors de voir à la fois les éléments remarqués et marquant pour les observateurs. Cela nous donnait également la possibilité de les interroger sur ce que ‘’signifiait’’ les repères annotés: quelles sensations, émotions, ressentis associés aux objets et repères localisés. 

Nous avons donc choisi, dans un premier temps, de demander aux observateurs d’associer un sentiment ou une émotion au repère. Nous ai ensuite venu l’idée de la couleur, comme un indicateur supplémentaire de la perception de l’itinéraire. 

Il nous a semblé que ce processus nous permettrait ainsi de récolter des données traitables relativement facilement (il s’agit de trois mots associés à un point, nécessitant peut être moins d’analyse que des phrases par exemples). Cela nous permettait également d’avoir des données localisées grâce au référentiel du fond de plan. Le protocole nous ai apparue suffisamment simple pour être réalisé dans un temps assez court (20 min), temps suffisant pour que les enquêtés puissent à la fois redessiner le fond de carte, regarder l’extrait vidéo, et annoter leurs perceptions.

Fond de plan avec exemple

Protocole:

Durée : 20min

Les enquêtés visionnent une partie de la vidéo : à partir de 3 min jusqu’à 8 min.

Un plan simplifié du parcours effectué par la caméra est fourni sur un google drawing. Les enquêtés peuvent ainsi le reproduire, à la main, chez eux sur une feuille. Il leur est ensuite demandé de localiser sur ce plan des repères visuels ou objets (ex : la pluie, un vélo), et ensuite d’y associer une émotion ou un sentiment (ex : tristesse, enfance) et une couleur (ex : bleu, vert). La couleur doit simplement être écrite, pas besoin d’écrire avec un stylo de couleur.

Il sera enfin demandé à chaque enquêté de prendre une photo ou scanner son plan annoté et de nous l’envoyer soit par mail, soit via un drive. 

Cartes réalisées par les enquêtés

Carte sensible et son procédé de création:

La carte synthétique de l’expérience a été réalisée en regroupant les informations des 9 cartes des enquêtés; car si chacun a réalisé cette expérience de son côté il nous semblait important d’avoir un document commun parlant d’une expérience partagée. 

Nous sommes reparti du même fond de carte que celui proposé lors du protocole et avons reporté les sensations et couleurs associées conformément aux données collectées. La carte sensible finale sera semblable à une nébuleuse abstraite de couleurs et de mots dans laquelle les objets visuels ou repères associés ne seront pas représentés mais induits.

Cartographie finale du paysage urbain de Tokyo.

Synthétisation cartographique des données collectées

En observant la carte, des couleurs ressortent davantage que d’autres. Le bleu est la couleur principale, elle est associée à un champ lexicale de la quiétude (sensible, attention, calme, apaisement) et peut être également mis en lien avec le climat pluvieux. La deuxième couleur est noir où l’on relève le champ lexical de l’émotion négative (ennui, mélancolie, austère). On attribue volontiers ce champ lexical à la présence de la pluie, la présence de nombreuses personnes et le déroulement continue sur plusieurs minutes d’une marche qui ne semble pas apporter davantage d’informations. Enfin le rouge qui s’associe au champ lexical du désagrément (dégoût, danger, impatience, faim). Quant à la répartition des mots le début du parcours montre l’immersion dans un endroit inconnu (désorientation, curiosité, surprise). Puis, l’avancée dans le grande avenue montre une certaine pérennité du champ lexical de la quiétude interrompu à certains moment par le champ lexical du désagrément. On peut objecter que celui-ci se manifeste au croisement de passages piétons (où l’on doit faire attention au passage de véhicules ou attendre la possibilité de traverser) et de commerces alimentaires (possibilité de restauration).

SYNTHèSE – UN MONDE D’INTERSTICES, Apport de la logiqUE floue pour l’ analyse des cartes interpretatives – Françoise pirot

L’article « Un monde d’interstices : Apport de la logique floue pour l’analyse des cartes interprétatives » publié en Septembre 2011 dans le numéro 209 de la revue du Comité Français de Cartographie (CFC), a été rédigé par quatre géographes (Clarisse Didelon, Sophie de Ruffray, Mathias Boquet et Nicolas Lambert). Cet article a pour but d’exposer la méthodologie basée sur la logique floue et plus précisément sur la théorie des sous-ensembles flous, mise en œuvre pour analyser et interpréter les différentes limites des régions représentées et dessinées au niveau mondial sur les cartes mentales produites par des enquêtés visualisant leur vision du monde. Ces cartes obtenues sont des cartes mentales interprétatives

Cet article est composé de deux parties. La première partie présente d’une façon très détaillée et très claire les différents types, usages, concepts, propriétés des cartes mentales avec leurs avantages, leurs inconvénients et les problèmes posés par celles-ci. Les différentes cartes mentales sont : les cartes cognitives, les cartes à main levée, les cartes interprétatives et les reconstructions de cartes. Ensuite, les auteurs mentionnent qu’une enquête interprétative à l’échelle mondiale a été réalisée sans en donner de détails et que la question posée aux enquêtés portait sur leur vision, leur interprétation du monde en dessinant sur un fond de carte imposé leur division du monde en régions qu’ils devaient ensuite nommer. Dans le cas présent, l’objet d’étude est l’espace étudié dans sa globalité et non l’individu. De plus, le concept, la notion de région variant d’un enquêté à un autre, il s’ensuit que l’imprécision et l’incertitude des limites des régions, la localisation et la morphologie des régions deviennent des spécificités des cartes mentales interprétatives notamment à l’échelle mondiale. Ainsi, la carte mentale interprétative d’un ensemble d’individu peut-être formalisée comme un espace géographique flou.

La deuxième partie est consacrée, dans un premier temps, à la présentation de la méthode mise en œuvre basée sur la logique floue pour prendre en compte les spécificités des cartes mentales interprétatives. En effet, en mathématiques, la théorie des sous-ensembles flous introduite par Zadeh en 1965 a pour objectif de formaliser les processus très proches de la pensée humaine, les catégories aux limites incertaines et/ou aux valeurs approximatives, les stades intermédiaires. La notion d’ensemble flou permet de définir une appartenance graduelle d’un élément à une classe, c’est à dire appartenir plus ou moins fortement à cette classe. L’appartenance d’un objet à une classe est ainsi définie par un degré d’appartenance. La fonction d’appartenance, fondamentale en logique floue, permet ainsi d’inclure ou d’exclure c’est à d’intégrer une région interprétative du monde.  Dans le cas présenté dans l’article, chaque région dessinée par un groupe d’individu représente un ensemble flou qui implique la définition d’une fonction d’appartenance comprise dans l’intervalle [0,100]. Cette fonction d’appartenance permet de définir un degré d’appartenance qui correspond à une valeur de vérité. Ainsi, si la fonction d’appartenance est nulle, alors la maille de la grille représentant l’espace géographique n’appartient à aucune région interprétative, si elle est égale à 100, alors l’unité élémentaire (maille) est incluse dans une région interprétative, si elle est comprise entre 0 et 100 alors on « indique » un degré d’intégration de l’unité élémentaire dans la zone interprétative.

Cette formalisation permet de prendre en compte la différenciation, l’imprécision des limites et le caractère recouvrable de l’espace. La différenciation introduit la notion de gradient spatial, l’imprécision des limites permet de visualiser les zones les plus mal perçues du monde et le caractère recouvrable c’est-à-dire de chevauchement de l’espace permet la mise au jour de lieux ayant plusieurs appartenances représentant les zones interstitielles.

Puis, dans un deuxième temps, elle est consacrée à la mise en œuvre de la théorie des sous-ensembles flous (logique floue) en vue de la formalisation d’une régionalisation floue du monde. Dans une première étape, des régions vont être sélectionnées pour être analysées. Pour ce faire, deux approches vont être mises en œuvre  pour le choix des régions à analyser à savoir l’approche topologique et l’approche toponymique. L’approche topologique consiste en la sélection d’un lieu précis et/ou d’un pays sans tenir compte des dénominations tandis que l’approche toponymique consiste en la sélection de régions en fonction de leurs noms. Les « régions » retenues sont celles dont la fréquence des noms attribués est la plus importante.

La mise au jour des zones interstitielles (intersection entre deux régions) est obtenue en mettant en œuvre deux opérateurs de la logique floue appelés T-normes. Ceux-ci vont permettre de réaliser des intersections c’est-à-dire de représenter les points qui appartiennent à des ensembles simultanément. Les opérateurs sont la T-norme de Zadeh : [T = min (x,y)] et la T-norme probabiliste {T = x*y] où x et y sont des valeurs d’appartenance. La T-norme de Zadeh propose une vision minimaliste des intersections et met en valeur les zones d’intersection les plus fortes. Ainsi, la T-norme de Zadeh donne la valeur d’appartenance minimale commune entre les régions intersectées,

La T-norme probabiliste, quant à elle, met en valeur les intersections où les valeurs d’appartenance à deux ou plusieurs zones sont proches et élevées c’est-à-dire les zones de forte hésitation.

Les deux T-normes illustrent la mise au jour des discontinuités spatiales ainsi que les zones interstitielles. En conclusion, les auteurs indiquent que l’utilisation de la logique floue dans l’analyse des cartes interprétatives donne des résultats encourageants. En effet, les zones d’interstices et d’indétermination mises au jour pourraient révéler des zones de fortes tensions. Par ailleurs, la logique floue va permettre de comparer les cartes interprétatives présentant des limites « floues » avec celles produites avec des limites figées comme celle de S. Huntington. De plus, elle peut traiter des corpus importants de cartes interprétatives

CARACTÉRISER LES ACTIVITÉS AUTOUR DE LA MARCHE_protocole d’enquête

GROUPE C : Alba Perset et Célia Lebarbey (avec Fabricio Villamil)

Le protocole proposé pour l’enquête de la vidéo d’une marche silencieuse sur la place Jamaa Lafna à Marrakech cherchait à mettre à jour les critères marquants de l’ambiance produite dans un lieu par les activités. La question centrale était donc :
Quels sont les éléments récurrents et marginaux dans la caractérisation de l’ambiance perçue d’un lieu, qui s’inscrivent dans la mémoire?

Nous nous sommes proposées d’enquêter les personnes en leur demandant de produire une carte suite à la visualisation de l’ensemble de la vidéo, disponible au lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=rYSMZguAa7U

Les enquêtés pouvaient prendre des notes lors du visionnage, avec l’indice thématique du titre, qu’il s’agissait d’être attentif aux activités. La carte devait être réalisée ensuite de mémoire selon les consignes suivantes :

Enquête (20min)
→ en vous basant sur votre mémoire, tracez une carte schématique du parcours/itinéraire globale en distinguant 5 moments marquants : des moments et lieux au cours de la promenade où l’ambiance produite par les activités est différente. 
Contraintes : Format A4 / Tracé à la main / Outils libres

→ Notifier sur la carte, les caractéristiques retenues des activités croisées à ces 5 moments/lieux distincts en partant d’une liste non-exhaustive proposée ci-dessous et en y apportant d’autres caractéristiques si besoin : types d’activités / leurs acteurs / formes d’occupation de l’espace / sonorités
Représentation libre (textes, pictogrammes, dessins, etc.)

Exemple de carte réalisée lors de l’enquête : carte n°8

Le protocole s’appuyait donc sur des constantes et des variables, que l’analyse des résultats se propose ensuite de préciser et nuancer.

Constantes
– indice thématique des activités
– format, dessin à la main, temps donné après visionnage de la vidéo
– tracé d’un parcours, choix de 5 moments différents
– 4 caractérisations possibles des activités

Variables :
– choix des moments
– caractérisation libre des activités

Exemple de carte réalisée lors de l’enquête : carte n°4

Les 11 cartes produites ont été décryptées au regard des constantes données (parcours / 5 moments / 4 caractérisations des activités) qui ont pu, dans leurs variabilités d’expression, être regroupées dans un tableau de croisement visible ci-dessous. Celui-ci permet de distinguer trois “pôles” de caractéristiques: les récurrences majoritaires qui qualifient fortement le parcours et les activités, les éléments notables qui reviennent plusieurs fois sans être majoritaires et enfin, les exceptions ou détails relevés qui apparaissent alors comme très spécifiques.

> TABLEAU DE CROISEMENT SELON LES CARACTÉRISTIQUES DECRITES DES 11 CARTES 

Une majorité de tracés du parcours de la marche sont circulaires plutôt que linéaires (6/11). Cependant, seules 3 représentations sur 11 ne mentionnent pas le retour au point de départ et la perception de ce mouvement global de la promenade. Une carte a par exemple été recomposée par collage, peut-être pour permettre de revoir l’ordre et la disposition du parcours une fois celui-ci tracé.

La demande d’un choix de 5 moments le long de la promenade était laissée assez ouverte à l’interprétation. Si ce chiffre correspondait à un nombre de séquences ou temps forts sur lesquels nous étions tombés d’accord (même si nous avions pu relever d’avantages de moments), il avait été posé de façon finalement un peu arbitraire. Nous avions parlé de “moment” et de “lieux” à sélectionner pour leurs différences d’ambiance en terme d’activités. Une grande majorité de réponse a effectivement distingué plus ou moins 5 moments identifiables par des numéros, par des coupures, par ces cercles… mais qui correspondent parfois à des instantanés, parfois à des séquences continues. Dans le premier cas, il s’agit de points marquants isolés du reste de la marche dont les caractéristiques sont absentes, dans le second, on peut supposer qu’il s’agit du découpage de l’ensemble de la vidéo (temps et déplacement) en parties, dont les caractéristiques sont inscrites de façon plus diffuse et constitues une sorte de moyenne.

Les activités relevées sont très majoritairements commerciales et notifiées par leurs produits, puis par leur secteur (restaurant, hôtel, alimentation). Elles sont parfois caractérisées par leurs configurations spatiales dessinées (stands, tables, boutiques en plan schématiques) ou leur contexte urbain plus large (place, ruelles étroites, boutiques) avec une distinction forte entre l‘espace ouvert et lumineux de la place et le labyrinthe de ruelles couvertes plus sombres de la médina. Il est intéressant de noter que des éléments architecturaux comme le minaret ou les arches, qui ne relèvent pas directement des activités présentes, sont parfois notifiés, certainement pour donner un cadre de repères élargi. De même la mention de la météo, de l’aspect du ciel n’est pas majoritaire mais revient plusieurs fois avec des détails différents (5/11). Enfin des détails d’objets mobiliers, de couleurs ou de textures sont précisés de façon très variables selon les cartes : ici les chaises vides, là un mur ocre, ou encore un tabouret bleu qui ne passe pas inaperçu, ainsi que les drapeaux nationaux.

Les précisions quant aux sons élargissent davantage le spectre des “activités” : sont en effet mentionnées en majorité les chants et les mélodies musicales, avec même l’instrument précisé à quatres reprises. Ensuite les voix apparaissent et sont à trois reprises distinguées par leur langue, soulignant un certain cosmopolitisme plutôt touristique. Enfin, les bruits de moteurs font partie du paysage sonore sur une minorité de cartes (3/11). Dans une minorité de cas aussi est ajoutée la variation d’intensité des sons.

De même les acteurs de ces diverses activités sont caractérisés par leur nombre (“peu de gens”, “moins de gens”). En revanche, nous ne trouvons pas d’autres récurrences, même si des métiers sont mentionnés (vendeur, musicien) et de quasi personnages apparaissent : le charmeur de serpent, la petite fille qui marche seule. Nous avons ainsi été surprises de voir la présence d’un chat sur laquelle la caméra s’attarde effectivement, soulignée à trois reprises.

De l’ensemble de ces caractéristiques que nous avons fait émerger de l’analyse des cartes et leur confrontation sous la forme du tableau, nous proposons de retracer une carte sensible synthétique, qui permet une visualisation du lieu et son ambiance d’activités. Celle-ci est composée selon les trois “pôles” de critères marquants mis en exergue : les récurrences majoritaires, les éléments notables car répétés et les mentions marginales qui dénotent des attentions plus particulières et des anecdotes qui ponctuent la perception de façon significative.

> CARTE SENSIBLE SYNTHÉTIQUE :

La place Jamaa Lafna à Marrakech par ses activités, 
caractéristiques d’ambiance du lieu selon l’enquête de 11 personnes menée avec le protocole “Caractériser les activités autour de la marche”.

Groupe A_Poétique de la Cascade du Saut du Gendarme_Rendu Cartographique

Lissette Rosales Sánchez, Françoise Pirot, Mahdokht Karampour & Xinmin Hu

Objectif 

L’objectif de cet exercice est de représenter les perceptions et les ressentis des enquêtés-spectateurs-promeneurs lorsqu’ils parcourent virtuellement un itinéraire qui mène à la “cascade du Saut du Gendarme” en Martinique à travers la réalisation d’une carte sensible. L’enquête a été réalisée auprès de 10 personnes et la visite filmée dure environ 5 minutes.

La carte est une composition sensible d’un parcours commun. Comme résultat final, un récit multiple de ce trajet est alors attendu, à travers une carte commune poétique et hasardeuse. 

Attente du protocole

Au travers des questionnaires partagés avec les spectateurs, les enquêtrices envisagent d’accéder à une palette de ressentis personnels de chaque enquêté-promeneur, relevés à chaque étape de cette visite virtuelle. Au travers des questions, les sensations physiques, les ressentis climatiques, les sens principaux de l’odorat, de la vue, de l’ouïe et du goût sont convoqués afin d’aborder une multitude de ressentis. 

La contrainte de temps était un facteur à prendre en considération, aussi bien dans le recueil des données que dans leur traitement ainsi que dans la réalisation de notre carte collective.  

Une fois les ressentis répertoriés pour chaque portion du trajet, les enquêtrices souhaitent représenter l’ensemble du trajet par des nuages multiples et nuancés de mots qui se forment différemment, selon les mots partagés par les enquêtés et la fréquence de leur répétition.

Lors du traitement des questionnaires, la difficulté rencontrée est l’écart existant entre l’attente et le résultat concernant la question initiale que nous découvrons mal formulée au début du questionnaire. Les enquêtrices se rendent compte que, suite au manque de clarté aussi bien dans l’explication orale lors de la consigne au début de l’enquête que dans la formulation d’une des questions, celle-ci n’a pas été traitée entièrement par l’ensemble des enquêtés, ce qui a empêché d’accéder à davantage de réponses et donc de mots. Il aurait fallu être plus explicite aussi bien dans la présentation orale que dans le début du questionnaire afin que la consigne soit mieux suivie.

Processus de création et justification de la sélection des outils

Le processus d’élaboration du protocole de recherche pour l’actuelle cartographie sensible a commencé par la discussion sur l’objectif central à poursuivre avec cet exercice. En principe, la première question à répondre en équipe était : que voulons-nous traiter ? Parmi les idées qui ont émergé, on a pensé à la relation qui pourrait exister entre le fait d’avoir vécu le confinement proche ou loin de la nature et comment cela pourrait affecter la perception d’un tel lieu. On a également proposé d’aborder la perception par type de profession exercée par l’enquêté-spectateur, mais à la fin, l’équipe a décidé qu’elle se concentrerait sur la représentation et la recherche de points communs concernant les sensations et les perceptions que les différentes personnes évoquent en observant la vidéo et en enregistrant les éléments qui restent fixés dans leur mémoire.

La deuxième étape a consisté à déterminer comment ces informations seraient accessibles et comment elles pourraient être représentées dans une cartographie sensible. L’un des principaux obstacles a été de discuter de la question de savoir si les réponses des personnes interrogées devaient ou non être dirigées; alors, un questionnaire semi-directif a été choisi pour permettre d’établir un point de départ commun entre les expériences et de les comparer par la suite. Le questionnaire a été divisé en deux, pour la première partie sept points stratégiques ont été établis au cours du parcours et des questions ont été conçues sur les sensations physiques et les éléments qui ont le plus attiré l’attention des spectateurs pour chacun de ces points, de cette façon, nous pourrions représenter le parcours et y situer (dans l’espace) les sensations et perceptions partagées. La deuxième partie du questionnaire porte sur l’expérience en général et explore d’autres types de sensations liées au goût, à l’odorat, au son et au toucher en relation avec l’environnement, ainsi qu’un exercice de synthèse sur l’expérience.

Par la suite, on a établi comme base de la cartographie, la représentation du parcours affichée au début de la vidéo sur une carte du site, puis on a comparé toutes les réponses obtenues en transcrivant celles-ci dans un document Word. Ensuite, on a discuté de la meilleure façon de représenter visuellement ces réponses, on a discuté entre les dessins et les mots, on a choisi la représentation visuelle par des mots et on a proposé d’utiliser des “nuages de mots” qui est un outil permettant de représenter graphiquement des mots ou des concepts clés.

Pour son élaboration on a utilisé un logiciel qui, à travers un algorithme, génère la représentation des mots les plus utilisés dans un texte. Pour cela, il a fallu travailler et nettoyer les réponses pour obtenir les mots ou les adjectifs qui décrivent concrètement les sensations et les perceptions du spectateur.

Enfin, la cartographie a été établie en identifiant les sept points stratégiques et chacun des nuages correspondants, ainsi que les nuages générés par les expériences en général.

Description de la carte sensible

La carte intitulée «Poétique de la cascade du Saut du Gendarme» évoque d’une part les perceptions visuelles perçues par les promeneurs qui parcourent le lieu de la cascade du saut du gendarme en empruntant un chemin qui part de la route pour accéder, via des escaliers et un pont, à la cascade tout en profitant de la végétation environnante et des lieux de pique-nique pour ensuite revenir au point de départ, d’autre part les sensations physiques ressenties, les perceptions auditives, olfactives et gustatives perçues par les promeneurs durant leur circuit. La carte ainsi obtenue est une carte mentale interprétative car ce sont les appréciations concernant les lieux ainsi que leur ambiance conviviale et environnementale qui y sont visualisées et cartographiées.

Les informations qualitatives représentées sont issues d’une enquête faite auprès de 10 personnes. Cette enquête a été réalisée suivant un protocole établi par le groupe 1 et formalisé par un questionnaire soumis aux enquêtés après avoir visionné une vidéo intitulée « cascade du Saut du Gendarme »

Deux catégories d’information qualitative sont visualisées et cartographiées à des échelles de mesure différentes à savoir l’échelle de mesure nominale et l’échelle de mesure ordinale. La première catégorie correspond à l’information qualitative « objective » concernant le tracé du parcours emprunté par les promeneurs et les points d’ancrage spatial (route, escaliers, pont, lieux de pique-nique, cascade). Celle-ci est visualisée à l’échelle de mesure nominale ou d’équivalence car le tracé du parcours et les points d’ancrage spatial ont tous la même importance, le même poids. Le tracé du parcours est représenté par un trait linéaire ayant une épaisseur constante tandis que les points d’ancrage spatial sont représentés par des symboles figuratifs caractérisant chaque point d’ancrage spatial. 

La deuxième catégorie correspond à l’information qualitative « subjective » traduisant  les sensations, les émotions et les perceptions ressenties et perçues par les enquêtés dans le lieu de « la cascade du saut du gendarme ». Cette deuxième catégorie est un ensemble composé de deux sous-ensembles. Le premier sous-ensemble intègre les perceptions visuelles ressenties par les enquêtés. Celui-ci est représenté par des nuages de mots qui jalonnent le tracé du parcours entre chaque point d’ancrage spatial. Le deuxième sous-ensemble intègre les sensations physiques, les perceptions olfactives, climatiques, auditives et gustatives perçues par les enquêtés. Ce dernier est représenté par des nuages de mots positionnés de part et d’autre du tracé du parcours.

Les nuages de mots composant les deux sous-ensembles ont des formes et des couleurs différentes. Les mots des nuages sont composés de lettres dont la taille est proportionnelle à la fréquence des mots utilisés. Une hiérarchie, un ordre sont alors introduite dans le nuage de mots. Ainsi, dans les deux sous-ensembles, l’information qualitative est visualisée à l’échelle de mesure ordinale. Il y a autant de nuage de mots que de questions posées dans le questionnaire. Chaque nuage de mots visualise le contenu et/ou la synthèse des réponses faites à une question. Ainsi, le cœur du nuage de mots constitué par les mots dont la taille des lettres est la plus grande, met en évidence la ou les sensation(s) et perceptions dominante(s) pour une question donnée. Deux exemples : 1- le nuage de mots se trouvant au départ du parcours, est de forme oblongue et aux couleurs vives. Son cœur met en évidence les perceptions visuelles par les mots végétation, escaliers, marches, cascade; 2- le nuage de mots se trouvant à l’extrême droite de la route est de forme rectangulaire et aux couleurs pastels. Son cœur met en évidence des sensations et perceptions de chaleur, d’humidité, de température.

L’ensemble de tous les nuages de mots permet d’avoir une description et une interprétation globale des sensations ressenties, des perceptions et des impressions perçues au sein des lieux et des environnements de « la cascade du saut du gendarme » à savoir l’humidité, l’ambiance tropicale, la fraîcheur, les joies des baignades, repos, détente etc…

Légende de la carte mentale interprétative : «Poétique de la cascade du Saut du Gendarme»   

Confinement – Manon prud’homme (2)

Clémence de mars

La fin du mois de mars est incarnée par une douceur incroyable. Ici, la météo a rendu ce confinement plus doux. Partout, le temps semblait s’être arrêté. Ici, jour après jour, on remarquait notre paysage se transformer. Le vaste jardin de mon enfance commençait à s’épaissir : le saule pleureur que ma mère affectionne particulièrement reprenait vie, les arbres fruitiers de mon père fleurissaient, le chêne centenaire du fond du jardin et dans lequel j’avais rêvé de construire une cabane étant petite allait connaître un énième printemps. La douceur environnante permettait de créer une sorte de bulle extérieure, à l’heure où beaucoup de gens ne pouvaient pas profiter d’un jardin. Fin mars, l’intérieur, la maison était synonyme d’angoisse et de stress. Ma propre maison était associée au travail, aux rendus, au mémoire, au projet de thèse, aux demandes de bourses de doctorat. Et c’est ce à quoi s’est résumé mon confinement.

En avril, on perd le fil

Malgré la douceur printanière de l’extérieur, j’étais cantonnée chaque jour à un schéma rythmé et répétitif. Le mois d’avril a été éprouvant, en particulier à partir de la mi-avril. D’abord il y a eu l’élaboration d’un sujet de thèse auquel j’avais jusqu’ici assez peu réfléchi. Il n’avait pas non plus été beaucoup évoqué avec ma directrice alors il a fallu que l’on en discute, longuement et qu’on élabore ensemble un plan pour les trois années à venir. Parallèlement, j’avais commencé la rédaction de mon mémoire. Le 19 avril, j’avais bien avancé, mon premier chapitre était presque prêt et j’avais pu envoyer une première version de 36 pages de ce chapitre. À cela s’est ajouté les rendus des différents séminaires, des écrits, des oraux que j’ai eu du mal à préparer parce que je voulais et j’avais besoin de me focaliser sur mon mémoire et sa rédaction. J’avais la sensation de perdre le fil et de ne plus savoir où je devais regarder. J’ai eu du mal à me consacrer à quatre ou cinq tâches à la fois. Mais fin avril, le projet de thèse avait été envoyé à l’organisme qui pourrait la financer, les rendus étaient faits et envoyés et je pouvais enfin me consacrer entièrement à l’écriture. Lorsque je suis sortie pour souffler cinq minutes, le jardin s’était entièrement paré de ses feuilles et les fleurs des arbres avaient fanées. Le printemps était arrivé et il était définitivement là.

En mai, rien ne nous plaît

Début mai, ma rédaction avait bien avancée. J’étais contente, dans les temps et j’abordais cette rédaction avec une rare sérénité. Mais une douleur particulièrement désagréable avait fait son apparition depuis un peu plus d’une semaine. Elle ne partait pas, elle ne s’estompait pas et elle était inquiétante. Au fur et à mesure, la douleur si intense m’a donné de la fièvre, des nausées et des vertiges. Je n’avais plus d’appétit, chaque effort était insupportable et je n’arrivais plus à écrire. Après des examens à l’hôpital, on m’a donné un traitement, auquel j’ai fait une réaction allergique, et surtout du repos et une immobilisation totale. Je ne pouvais plus écrire. J’ai passé plusieurs semaines alitée. L’avance que j’avais mi-avril n’était plus. J’étais désormais en retard. Alors j’ai dû écrire malgré la douleur. J’ai travaillé 1 jour sur 2, alternant écriture et repos. Lorsque je pouvais je travaillais deux jours de suite mais ça restait rare.

Le 11 mai la France se confinait à l’exception de quelques régions, mais ici encore, cela ne changeait pas grand-chose. Le centre-ville des villes alentours reprenaient doucement vie mais rien de flagrant. Le lendemain j’étais parvenue à envoyer le second chapitre de mon mémoire. J’aurais dû envoyer une première version complète à cette date. Les dix jours qui ont suivi le déconfinement ont été synonyme du rush de mi-avril. Le traitement faisait doucement son effet et j’étais en mesure de travailler 2 jours de suite voire 3 ! Le 25 mai, j’avais réussi à faire une première version complète du mémoire.

Juin, tout va bien

Début juin, le cœur est presque léger. Je me suis octroyée quelques repas de retrouvailles avec mes amis d’enfance et donc quelques heures en dehors de ma maison/bureau. J’étais en attente des premières corrections de ma directrice qui sont arrivée le 4 juin. Il y avait un peu de travail de forme et un peu de fond mais dans l’ensemble le travail que j’avais fourni avait été récompensé. Je me suis attelée aux corrections pendant presque deux semaines jusqu’au dépôt final ce vendredi 19 juin 2020. J’ai retrouvé un peu de sérénité. J’ai retrouvé des membres de ma famille que je n’avais pas vu durant ce confinement. Je suis retournée sur la terrasse du bar que nous fréquentons avec mes amis. J’ai profité de quelques déjeuners en extérieur. J’ai repris ma voiture pour me déplacer. Finalement, ces quelques mois un peu spéciaux l’étaient à plusieurs niveaux. Pour l’ensemble des Français ils se sont appelés les mois de confinement. De mon côté, j’avais presque oublié qu’en dehors des murs, une épidémie faisait rage. La rédaction du mémoire, la préparation de la thèse et les différents rendus avaient créé une sorte de bulle de travail dans laquelle j’étais prise sans que je puisse vraiment soufflée. Cette bulle n’est plus et ça signe la fin d’un cycle et le début d’un nouveau à l’instar du printemps pour qui, épidémie ou non, suit son cours.