Historique du fonds
Les travaux rassemblés ici ont leur origine dans l’étude sur les villes médiévales du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle entre Pampelune et Burgos, dont le bâti et le parcellaire semblaient être parvenus à la seconde moitié du XXe siècle sans avoir subi de profondes modifications. L’unité du parcours, que représentait le chemin des pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle dans les lieux habités qu’il traverse, a orienté le choix du thème de recherche. Le chemin de Saint-Jacques constituait, en effet, un lien entre toutes ces villes, soit que le développement du pèlerinage ait entraîné la fondation de ville neuve, soit que l’agglomération déjà existante ait été dynamisée par le passage des pèlerins. Les villes du chemin offraient, en 1979, un matériel remarquable à la recherche de la structure de la ville médiévale et des principales étapes de son évolution ultérieure.
Etablir une relation entre l’espace habité et le chemin des pèlerins de la frontière espagnole à la ville de Saint-Jacques-de-Compostelle offrait une double perspective qui ordonne l’ensemble des publications constituant ce dossier, consacrées en majorité, mais non exclusivement, à l’espace habité du chemin français en Espagne. Si cohérence il y a, malgré la prédominance des recherches sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, c’est donc en premier lieu celle des méthodes. Une première direction est celle de l’identification du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle dans le nord de l’Espagne basée sur l’analyse des cartes et des textes disponibles jointe à celle du terrain. L’analyse du parcellaire villageois ou urbain orientée vers l’urbanistique médiéval constitue la seconde. La dernière partie de cette synthèse est consacrée à l’application des méthodes utilisées sur le chemin de Saint-Jacques à l’étude de la ville Tolède par la recherche de l’habitat médiéval persistant dans le noyau ancien de la ville du XXe siècle.
1. Identification et cartographie du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle
Les pèlerinages ont occupé, au Moyen Age, une grande place dans la vie religieuse des Chrétiens qui, outre les sanctuaires locaux, visitaient les trois grands lieux saints de Jérusalem, Rome et Saint-Jacques de Compostelle. Ce dernier pèlerinage, mis en place plus tardivement, ne rivalise avec les deux autres qu’à partir du XIIe siècle. Au cours du XVIe siècle, la Réforme, en remettant en cause le culte des reliques, lui porte un coup sévère. Il reprend aux XVIIe-XVIIIe siècles, avant d'entrer de nouveau en sommeil jusqu'à la seconde moitié du XXe siècle. Au cours du Moyen Age, la grande majorité des pèlerins qui se rend à Saint-Jacques, souhaite s'assurer l'absolution de ses fautes et la remise de ses peines tandis qu’un petit nombre purge une peine de justice. Après des mois d'épreuves diverses, le pèlerin parvenu à Compostelle, se livre dans l'espace sacré à des rites de purification. Dans l'hospice, il prend un bain complet " en l'honneur de monsieur Saint-Jacques", puis reçoit des vêtements propres. Il visite l'église et les reliques. A la suite d’un séjour à Compostelle, qui ne dépasse habituellement pas quatre jours, le pèlerin reprend la route vers son pays, empruntant, parfois, un itinéraire différent de celui de l'aller.
C’est à Alphonse II d'Asturies que l’on doit la création du locus Sancti jacobi, point de départ de la ville de Santiago de Compostelle. En effet, il fait construire sur la tombe de Saint-Jacques, découverte au cours du premier quart du IXe siècle, une église qu'il dote d'un territoire d'un rayon de trois miles. A l'extérieur des murailles du noyau initial, le quartier, qui se développe, prend, avant la fin du Xe siècle, le nom de Compostelle. Cette petite ville constitue dès la fin du Xe siècle un lieu d'échange entre les mondes chrétien et musulman. Par ailleurs, durant la seconde moitié du IXe et la première moitié du Xe siècle, les asturiens et les galiciens s'installent progressivement dans le territoire qui s'étend entre la Cordillère Cantabrique et le Duero. Aux alentours de 854, ils réorganisent les anciennes villes romaines d'Astorga et de León dont les murailles ruinées servent de base aux nouvelles fortifications. La ville de León, successivement évêché puis première ville du royaume d'Asturies et de León, regroupe, dès le IXesiècle, des clercs, des guerriers, des commerçants, des artisans et des agriculteurs. Des monastères créent des foyers de colonisation et d'exploitation agraire. La nécessité de surveiller et de défendre le territoire récemment occupé, conduit à la mise en place des châteaux de Castrojeriz en 882, de Burgos et Grañon en 884. L'ancien axe transversal Lugo-Astorga-Briviesca, repris aux Arabes durant le IXe siècle, est consolidé au cours du Xe siècle. Plus à l'est, le fondateur de la nouvelle dynastie de Navarre, allié au roi d'Asturies et de León, prend la forteresse de Ruesta en 911 et s'installe dans le nord de la Rioja en 922. Le repeuplement des territoires repris par les chrétiens, amorcé dès le Xe siècle, a été freiné entre 977 et 1007 par les campagnes répétés d'Al-Mansur puis de son fils. Il se poursuit à l'arrêt de celles-ci. L'existence de pèlerins, en direction de Compostelle, ne nous est assurée par les sources narratives qu'à partir du milieu du Xe siècle. L'église de Saint-Jacques et la ville naissante de Compostelle ayant été détruites, en 997, au cours de la campagne militaire d'Al-Mansur, sont reconstruites, et voient affluer un grand nombre de pèlerins à partir du milieu du XIe siècle.
Le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle traverse actuellement cinq communautés régionales espagnoles : l’Aragon, la Navarre, la Rioja, la Castille et Léon, la Galice. L’étude des villes petites et moyennes, qui jalonnent le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, entre Pampelune et Burgos ayant montré que l’urbanisme médiéval était indissociable de la géohistoire des réseaux de circulation, nous avons été conduit à rechercher et à identifier le tracé ancien du “camino francés” dans le nord de l’Espagne.
1. 1. Identification de l’itinéraire
L’identification du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle pose d’emblée plusieurs questions. Tout d’abord, le chemin que l’on décrit, est-il le chemin de Saint-Jacques, ou bien un chemin comme les autres avec une histoire indéchiffrable ? Est-il unique ? Que connaissons-nous de son histoire alors que son origine tend vers un passé insondable ? Répondre à ces questions nécessite de réunir des connaissances très diverses. Il est nécessaire de faire appel à des données historiques afin de remonter dans le temps les étapes qui ont modifié le paysage lors de la construction de route ou de pont, ou du déroulement des guerres...,à des données chronologiques précises qui permettent de dater au moins l’utilisation du chemin sinon sa création. Distinguer un chemin médiéval d’un chemin plus récent ne peut s’appuyer uniquement sur les caractères physiques du chemin, le voisinage du chemin doit être étudié avec attention. Ainsi, le tronçon de chemin qui court entre les champs n’offre aucun caractère permettant d’affirmer à coup sûr qu’il existait au moyen âge, par contre la présence ou la survivance d’une fontaine, couverte d’une voûte gothique, citée par un pèlerin italien en 1357, rend hautement probable l’appartenance de ce tronçon au chemin médiéval. L’identification des chemins médiévaux doit faire largement appel aux documents historiques permettant de conclure à l’existence des chemins dans une période donnée. Ajoutons que la présence d’un chemin à une époque donnée n’implique pas que nous sachions à quelle époque ce chemin a été créé.
En 1949, L. Vazquez de Parga, J. Ma. Lacarra, J. Uria Riu ont publié une étude intitulée : “Las peregrinaciones a Santiago de Compostella”. De l’avis même de J. M. Lacarra, qui a encouragé notre entreprise, nombre de tronçons et de villages étaient cependant à retrouver. Nous appuyant sur l’étude de ces auteurs, nous avons repris la description du tracé ancien du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, dans le but de réaliser une carte à grande échelle (au 1/10 000), inexistante au début de notre recherche. L’identification du chemin et la réalisation de la carte ont impliqué, dans un déroulement non linéaire, trois étapes :
1. L’analyse des sources d’information disponibles
2. L’étude du territoire traversé par le chemin
3. La reconnaissance du chemin au sol.
1. 1. 1. Analyse des sources d’information disponibles
A la fin de l’année supplémentaire, accordée en 1983-1984, comme membre de la section scientifique de la Casa de Velazquez, j’avais fait le point sur les sources d’information disponibles. Les informations relatives aux IXe, Xe et XIe siècles sont fragmentaires et dispersées dans diverses sources narratives et documentaires. Elles sont plus nombreuses au XIIe siècle et dans les siècles ultérieurs. Citons les Annales du Règne de Navarre, de Najera, de l’ordre de Saint-Benoît, auxquelles il faut ajouter les guides des pèlerins, tel le “Liber Sancti Jacobi” ou “Guide du pèlerin”, écrit vers 1134 par le moine français Aimery Picaud.
Quant aux sources documentaires, inédites ou éditées, elles sont à rechercher dans la documentation des monastères, les collections diplomatiques et les cartulaires. Elles se répartissent dans divers dépôts. A Madrid, ce sont l’Archivo Historico Nacional (AHN), le plus riche de tous, l’Archivo historico militar, l’Academia de Historia et la section des Manuscrits de la Bibliothèque nationale espagnole. La section de “clero” de l’A.H.N. renferme les fonds des principaux monastères qui jalonnaient l’itinéraire des pèlerins : les monastères aragonais de San Juan de la Peña, de Santa Cristina du Somport, et de Santa Cruz de la Seros ; deux monastères de la Rioja : San Millan de la Cogolla, Santa Maria la Real de Najera ; et les monastères castillans de Sahagún, San Esteban de Nogales et Villaverde de Sandoval.
Aux documents trouvés dans les archives de Madrid, il convient d’ajouter les dépôts d’archives de province. En Aragon, les Archives de la Diputación Provincial de Zaragoza, de Huesca, de Jaca, et de Berdún constituent les dépôts principaux. Les archives de Jaca renferment, en particulier, « El libro de la cadena”, daté du XIIIe siècle. Des documents très intéressants pour notre thème figurent, en Navarre, à l’Archivo de la Diputación de Navarre, à Pampelune ; en Rioja, à l’Archivo de la Catedral de Santo Domingo de la Calzada. En Galice, nous avons consulté les dépôts des archives de la cathédrale de Lugo et Santiago ainsi que les Archives de l’Université de Santiago.
La documentation relative à la période du Xe au XIIe siècle se répartit ainsi :
144 documents relatifs au Xe siècle
584 documents concernant le XIe siècle
924 documents ayant trait au XIIe siècle.
Un grand nombre de ces documents est édité et a été utilisé dans l’étude de Vazquez de Parga et al. (déjà citée) ce qui ne retire rien de son intérêt. Le dépouillement, orienté vers la recherche des lieux que traversaient les pèlerins, a permis de retracer en pointillé le chemin d’une époque.
En outre, j’avais constitué un corpus de plans cadastraux urbains et ruraux, de cartes topographiques, de minutes au 1/2 000 et de cadastres ruraux établis après le remembrement. Il s’y ajoutait trois cents relevés planimétriques urbains au 1/1 000 ou au 1/500.
A partir du XIIIe siècle, les documents écrits, les itinéraires et les guides, nombreux entre les XIVe et XVIIe siècles, apportent des informations utiles sur la description du chemin et les toponymes. Les documents médiévaux mentionnent le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle sous les noms de “Camino de losperegrinos, camino francés, camino real francés, camino beati jacobi, caminum defrancos, la calzada, Strata publica Peregrinorum, vía francisca, vía SanctiJacobi...”. Des noms très proches survivent dans la mémoire des habitants des villages du chemin, par exemple : camino francés, camino de los peregrinos, camino real francés, la zapateria (la cordonnerie), San Lazaro, Hospital... La localisation de ces lieux a permis de dresser une carte historique à petite échelle du parcours des pèlerins.
Commencé pendant mon séjour à la Casa de Velazquez, le dépouillement des documents écrits et des documents graphiques, s’est poursuivi ultérieurement dans le but de répondre à quelques questions précises dont j’énoncerai les principales. Peut-on établir une correspondance entre les toponymes actuels et ceux en usage du Xe au XIIe siècle ? Les villes petites ou moyennes occupaient-elles les mêmes sites au Moyen âge ? On sait, par exemple, que Grañon comptait au Xe siècle une motte féodale et un petit village, plus tard la motte a disparu et un nouveau village, installé le long du chemin de Saint-Jacques porte le même nom. Au contraire, les deux petites villes de Berdun et Mianos initialement situées le long d’une voie romaine se déplacent sur un podium et s’entourent de fortifications dans le courant du XIIe siècle. Autres questions : quelle était la morphologie des villages et des petites villes aux Xe- XIIe siècles ? Dans quelle mesure, enfin, l’itinéraire du pèlerinage a-t-il accéléré les processus d’urbanisation ?
1. 1. 2. Etude du territoire
Le territoire, dans son état actuel, porte encore les marques des tracés anciens des XIe - XIIe siècles ou même d’époques antérieures. Soit que les chaussées aient persisté avec plus ou moins de netteté, soit que des chapelles ou des hôpitaux aient subsisté. L’étude du territoire a été réalisée sur des photographies aériennes verticales prises entre 1931 et 1956, à l’échelle du 1/30 000 et sur des vols plus récents de 1978 et 1986. Elle a été complétée par la comparaison des parcellaires antérieurs à la concentration agraire, entreprise dans les années 1960, au parcellaire actuel. La trace de chemins anciens abandonnés, parfois depuis des décennies est encore perceptible sur les photographies aériennes. Les photographies aériennes obliques ont complété l’étude du territoire.
L’analyse successive ou conjointe de la documentation historique, des parcellaires et des photographies aériennes permet soit de reconnaître le chemin dans le paysage récent ou actuel, soit de formuler des hypothèses concernant son tracé si celui-ci a été effacé.
Les textes ne mentionnent pas toujours si les pèlerins franchissent une rivière. Par exemple, aucun document n’indique que les pèlerins traversent le rio Aragon à Puente de la Reina(Aragon), par contre plusieurs documents nous apprennent l’existence en ce lieu d’une antique “sede regia” appelée Astorito ou Osturit. L’étroitesse de l’espace disponible entre le lit du rio Aragon et le flanc montagneux de Samitier conduit à situer cette propriété royale sur la rive droite du fleuve, ce qui entraîne que le pèlerin traverse le rio Aragon à Puente de la Reina (Aragon).
Ajoutons que les images satellites apportent une vision globale du territoire en particulier des masses montagneuses où apparaît clairement les passages les plus faciles, mettant ainsi en lumière les parcours médiévaux, qui ne suivaient pas le tracé le plus court. Le chemin français se situe en dessous de la courbe de niveau des neuf cents mètres d’altitude, qui marque la limite inférieure des automnes et des hivers froids et neigeux.
1. 1. 3. Reconnaissance du chemin au sol
La reconnaissance du chemin au sol constitue la dernière étape de l’identification, elle entraîne souvent à porter un nouveau regard sur les documents cartographiques et à conduire une recherche plus approfondie dans les sources narratives et documentaires. Nous avons parcouru le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle en notant l’état de l’ancien chemin et en confrontant les hypothèses formulées dans les phases précédentes avec les ultimes modifications du paysage. Les conversations avec les habitants des villages nous ont apporté des informations précieuses qui, dans certains cas ont permis de confirmer l’existence d’un tronçon de chemin ou d’un lieu-dit soupçonné mais disparu aujourd’hui. Un grand nombre de lieux dépeuplés au XIVe siècle ainsi que des restes archéologiques, des sources ou des ponts anciens ont ainsi pu être déterminés grâce à des enquêtes auprès des habitants.
1. 2. Itinéraire et territoire
Tout chemin est un élément vivant et pour cette raison subit des variations, le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle n’échappe pas à cette loi. Au début du pèlerinage, les chemins de St. Jacques correspondaient à des chemins préexistants.
Au nord des Pyrénées, il existait, dans la première moitié du XIIe siècle, quatre chemins principaux menant à Saint-Jacques que le moine Aimery Picaud décrit brièvement, vers 1138, dans son Guide du pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle. Ce sont, dans l'ordre du Guide :
1. La via tolosana, connue comme la route de Provence, traversait Saint-Gilles du Gard, Montpellier, Toulouse et suivait en Béarn, l'un des trois chemins vicomtaux sur lesquels ni pontage, ni péage n'étaient perçus. Le monastère aragonais de Santa Cristina du Somport y contrôlait, sur le chemin de Saint-Jacques, de nombreux ensembles hospitaliers : Lembeye, Aubertin, Saint-Christau, où le pèlerin trouvait l'hospitalité et la sécurité. Le pèlerin atteignait l'Espagne au col du Somport.
2. La via podiensis passait par Notre-Dame du Puy, Saint-Foy de Conques et Saint-Pierre de Moissac.
3. La troisième traversait Saint-Marie Madeleine de Vezelay, Saint-Léonard, en Limousin et la ville de Périgueux.
4. La quatrième, enfin, dite via turonensis, commence à Orléans, puis passe par Saint-Martin de Tours, Saint-Hilaire de Poitiers, Saint-Jean d'Angely, Saint-Eutrope de Saintes et la ville de Bordeaux.
Les trois dernières routes, qui se réunissaient à Ostabat, franchissaient le col de Cize et rejoignaient à Puente la Reina la première route, celle que prenaient les pèlerins venant de Provence, et ceux qui, venant du nord, descendaient la vallée du Rhône.
Jusqu’au XIe siècle, il semble que les pèlerins aient traversé les Pyrénées en empruntant les vallées étroites où de petits monastères carolingiens s’étaient installés entre les IXe - Xe siècles. La voie la plus fréquentée empruntait la voie romaine qui reliait le Béarn à la ville de Zaragoza par le col du Palo. Suivant la vallée d’Hecho, qui abritait le monastère de Siresa, elle débouchait dans la large vallée de Berdun, localement désignée sous le nom de la canal, près de Javierregay.
Deux autres voies rejoignaient l’itinéraire précédent dans la canal de Berdun : l’une, empruntant la vallée de Roncal, passait au monastère de Santa Maria de Fonfria, près de Salvatierra de Esca, tandis que l’autre descendait la vallée de Anso où s’élevait le monastère de Ciella.
Dans la première moitié du XIe siècle, l’autorité royale apporte des modifications au tracé du chemin. Vers 1030, Sancho le Grand oblige le chemin des pèlerins à traverser Nájera, la capitale de la Navarre, à laquelle il a accordé un fuero. Tandis que la fondation, en 1035, de la capitale du royaume d'Aragón à Jaca, par Sancho Ramirez, accentue la fonction d'échange dévolue à la vallée du Haut Aragón et joue un rôle décisif dans l'essor de la voie aragonaise du col du Somport au cours du XIe siècle. La construction de l’Hôpital de Santa Cristina sur le Somport, à 1 640 m d’altitude, renforce cette voie au cours du XIe siècle. La date de fondation du prieuré et de l’hôpital de Santa Cristina du Somport n’est pas connue. Cependant dans la mesure où un document mentionne que le roi Sancho Ramirez rend visite à l’hôpital de Santa Cristina en 1068, on doit considérer que la construction de l’hôpital est antérieure à cette date. Le chemin du Somport par Canfranc, où il existait dès 1062 un marché important, et où un hôpital est construit en 1095, prend de l’importance sur ceux des vallées pyrénéennes précédemment citées. Le long de cet itinéraire de nombreux villages se mettent en place marquant ainsi le territoire.
La nécessité d'assurer la sécurité des pèlerins et de les loger a favorisé la mise en place de structures d'accueil. Au milieu du XIe siècle, Garciá el de Nájera fonde à Nájera le monastère de Santa María et une auberge pour les pèlerins.
Au cours du XIe siècle, Saint Dominique et San Juan de Ortega construisent de nouveaux tronçons du chemin de St. Jacques. Si l’on sait que la chaussée édifiée par Saint Dominique s’étendait de la frontière de la Castille avec la Navarre, l’étendue de la chaussée édifiée par San Juan de Ortega n’est pas connue dans toute sa longueur. On lui attribue de petits tronçons : l’un de 2,5 kilomètres d’Agés à Atapuerca, l’autre de 6 km à partir de l’hôpital d’Atapuerca, qu’il fonda. En s’appuyant sur le travail de Lacarra (1949), nous avons retrouvé la trace particulièrement nette d’un chemin, qui des Monts de Oca, en passant par San Juan de Ortega, conduit à Burgos. Si l’on pense que pour construire un hôpital dans une région boisée et peu peuplée et l’intégrer dans une route très utilisée, il convient de le relier aux deux villages entre lesquels il se situe, il ne serait pas étonnant que la fondation de cet hôpital ait été liée à la réalisation d’une chaussée entre d’une part Villafranca de Montes de Oca, premier noyau habité à l’est et d’autre part Atapuerca, premier noyau à l’ouest. Dans cette hypothèse, le tronçon du chemin de Saint-Jacques construit à l’initiative de San Juan de Ortega aurait atteint une longueur d’environ 18 kilomètres.
Par la suite, les rois de Castille et León, de Navarre et d'Aragón ont contribué à l'amélioration du chemin des pèlerins. Alphonse VI supprime le péage que devaient acquitter les pèlerins et les voyageurs à leur entrée en Galice, près de Valcarcel. Il protège, dans la Rioja récemment conquise par les castillans, l'œuvre de Santo Domingo qui, après avoir construit un hôpital pour les pèlerins près du rio Oja, édifie un pont sur ce fleuve et trace une chaussée rectiligne entre Nájera et Redecilla del Camino. Le roi de Castille et León prend soin, selon la chronique de Pelayo d'Oviedo, de tous les ponts entre Logroño et Compostelle, dont ceux de Nájera, Santo Domingo, Burgos, Carrión, Ponferrada, Puertomarín, pour ne citer que les plus connus. En outre, il fonde des hôpitaux et favorise le peuplement des villes de Sahagún, Villafranca del Bierzo et Logroño. En Navarre et en Aragón, Sancho Ramirez conduit une démarche proche de celle d'Alphonse VI, en supprimant le péage sur les chemins de Jaca et de Pamplona et en favorisant les auberges des cathédrales de Jaca et Pamplona. Il crée les villes de Puente la Reina et d'Estella dont le rôle a été déterminant dans la fixation de l'itinéraire des pèlerins. Toutes ces actions menées au cours du XIe et au début du XIIe siècles ont contribué à aménager le territoire le long de l'itinéraire des pèlerins entre les Pyrénées et Compostelle. A la fin du XIe siècle, pèlerins et voyageurs venant de toute l'Europe circulent librement sur un chemin au tracé bien défini, désigné sous le nom de camino francés.
Dans le courant du XIIe siècle, Béarnais et Aragonais ont favorisé le chemin de Saint-Jacques par le Somport, au détriment de celui de Roncevaux. La voie de la rive gauche du fleuve Aragon, importante aux XIe - XIIe siècles, est encore appelée aujourd’hui Camino de Santiago. Le pèlerin du XIIe siècle y trouvait les soins et le couvert à l’hôpital d’Annol, mentionné en 1194, aux monastères de Santa Cilia de Jaca, de Santa Colomba de Arres, ou de Santa Maria de Artieda. Au niveau du monastère de San Juan de Ruesta, le chemin principal se dirigeait à Baños de Tiermas, dont le Guide de 1134 signale les bains royaux toujours chauds, franchissait le gué de l’Aragon et continuait sur la rive droite vers Yesa et Sangüesa (Navarre). Un chemin, plus court que le précédent passait au prieuré auberge de Santiago de Ruesta, édifié au cours du XIe siècle, franchissait ensuite la montagne de Ferenol, traversait les villages de Serramiana, Undues et Lerda avant d’entrer en Navarre et d’aboutir à Sangüesa, ville neuve du chemin fondée en 1122.
Edifiée sur la rive gauche du rio Aragon, autour de l'église Santa Maria la Real, la ville neuve de Sangüesa reçoit, en 1122, sa charte du roi de Navarre, Alphonse le Batailleur. Elle se développe rapidement et compte, aux XIIIe - XIVe siècles, de nombreux hôpitaux appartenant, pour la plupart, à l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Le pèlerin du XIIe siècle traversait Sangüesa, franchissait le rio Aragon sur le pont Santa Maria, construit en 1122, et se dirigeait vers Sangüesa la Vieja (aujourd'hui Rocaforte). Au-delà, le chemin ancien est en voie de disparition. Ayant traversé les monts d'Olaz, il descendait dans la vallée d'Ibargoïti que contrôlait, près de Zabalza, le monastère Santa Maria de Elizaberria, dépendance au XIIe siècle de celui de Leyre. Il traversait successivement les villages d'Izco, Salinas, Ibargoïti et la petite ville de Monreal, implantée sur la rive droite du rio Elorz. Il poursuivait sur les flancs de la sierra de Alaiz, traversait le village de Garitoain, possession au XIe siècle, du monastère de Sainte-Foy de Conques, puis les villages d'Otano, Yarnoz et Tiebas. De là, il descendait dans la vallée d'Ilzarbe vers Olcoz, Eunate ( dont le nom, en basque, signifie "la bonne porte") et se dirigeait vers la ville de Puente la Reina.
Peu avant d’entrer dans la petite ville de Puente la Reina l’itinéraire aragonais rejoignait celui de Roncevaux, qui passait par Zarapuz jusqu’à la fin du XIe siècle. Il était prévu d’y construire une ville étape. Ce projet est abandonné à partir de 1090, date de la création, par le roi de Navarre, de la ville d’Estella au pied d’un un rocher, à quelques kilomètres au nord de Zarapu. Les pèlerins délaissèrent le tronçon, qui de Villatuerta menait au monastère de Zarapuz, et dont la trace en est encore visible dans le territoire du XXe siècle.
A la fin du XIIe siècle, les relations entre le Béarn et le royaume d'Aragon s'étant distendues, la voie de Roncevaux gagne en importance, comme l'attestent les itinéraires de pèlerins dont aucun ne passe au Somport. Cependant, l'hôpital du Somport fonctionne jusqu'au milieu du XVIe siècle, et des pèlerins continuent à emprunter cette voie. De Puente la Reina, où se rejoignent les voies du Somport et de Roncevaux, un long chemin reste à parcourir au pèlerin venu d’Arles ou de plus loin peut-être, avant d’atteindre la but qu’il s’est fixé. Il doit, en effet, traverser la Rioja, la Castille, le Leon et une partie de la Galice.
Nous avons montré quelques exemples de l’évolution du tracé du chemin de Saint-Jacques au moyen âge ; certains de ces tracés successifs ont subsisté au XXe siècle, soit utilisés, soit à l’état de trace dans le territoire. Le territoire subit, au XXe siècle, des modifications parfois très profondes qui, en quelques années, modifient les rapports de l’ancien chemin avec son environnement. Nous retenons l’exemple de Sandoval. Les modifications actuelles des villes et du territoire dans son ensemble entraînent d’autres modifications de l’itinéraire du pèlerinage. Il est clair que certains tronçons isolés au milieu de terres agricoles sont abandonnés au profit d’un tracé moderne traversant des lieux habités. Il n’empêche que l’identification de l’ancien chemin de St. Jacques peut servir à plus d’un titre, en premier comme fond documentaire pouvant aider l’historien ou l’archéologue dans leurs travaux, en second comme outil de connaissance indispensable à celui qui a la charge de revitaliser un territoire ou un chemin. Enfin, l’identification argumentée peut procurer au pèlerin de St. Jacques d’aujourd’hui, une connaissance géohistorique du territoire qu’il traverse.
I. 3. Cartographie du chemin médiéval
Nous avons représenté l’itinéraire ancien de Saint-Jacques, identifié et retrouvé, sur un fond topographique au 1/10 000. Des fragments plus ou moins longs sont irrémédiablement inutilisables. A cela au moins trois raisons, d’abord le dépeuplement massif des campagnes, très sensible en Aragon, et en Castille et Leon, a entraîné un abandon de certains chemins. Plus récemment, la concentration parcellaire qui va jusqu’à modifier les reliefs, a réduit le nombre des chemins anciens, et remodelé le paysage. Des tronçons entiers du chemin français ont disparu dans cette vaste et énergique opération. En outre, l’extension des villes dans la campagne périurbaine a rarement tenu compte de l’ancien chemin de Saint-Jacques lors de la création de voies nouvelles d’accès à des villes comme Burgos ou Jaca, ou a isolé des quartiers entiers comme à Fromista.
L’état du chemin ancien présente, selon les autonomies, des différences qu’il nous paraît utile de signaler. Par exemple, en Aragon, le chemin ancien est très menacé bien que son tracé soit très vivant dans la mémoire des villageois et présent, bien sûr, dans la documentation. La création du barrage de Yesa, en 1960, a effacé plus de vingt kilomètres de chemin, provoquant la mort de petites villes de Ruesta, Tiermas et Baños de Tiermas. Par ailleurs, à l’intérieur de la ville de Jaca, sous l’impulsion de la spéculation immobilière, les quartiers anciens liés à l’itinéraire des pèlerins ont été récemment détruits. Le chemin de Jaca se dirige à Yesa, sans coïncider avec la grand route, après le passage d’un pont, il se divise en trois : le plus ancien va a Liedena par la montagne, le second suit la rive droite de l’Aragon, le troisième coïncide avec la draille de Leyre vers Sangüesa, sur la rive gauche de l’Aragon. Le chemin de Liedena a disparu par concentration agraire. Il traversait Liedena et se divisait, à son tour, en deux tronçons. Le premier, après avoir franchi le rio Irati par un gué ou un pont, passait au niveau de la villa romaine de Liedena. Son tracé s’observe dans le parcellaire antérieur à la concentration agraire. Le second tronçon suivait la rive droite de l’Irati avant de le traverser au niveau de la fosse de Lumbier.
En Navarre, le chemin de Saint-Jacques, après Garitoain, est parfaitement visible sur la photographie aérienne de 1965, il a disparu depuis dans sa totalité.
Beaucoup plus loin, le chemin ayant traversé Los Arcos, poursuit en ligne droite vers le village dépeuplé de Melgar. Le chemin de Melgar est très ancien. Le Codex calixtinus mentionne au XIIe siècle entre Torres del Rio et Los Arcos l’existence d’une “hospederia”. Au XIIIe siècle, un hôpital et une commanderie templière sont signalés à Melgar, enfin un pèlerin italien indique l’existence d’un village de Melgar entre Los Arcos et Torres del Rio. Nous en avons conclu que l’auberge du XIIe siècle et l’hôpital correspondaient au site de Melgar.
En Navarre et en Rioja, si l’on trouve encore de larges tronçons de l’ancienne chaussée pavée ainsi que des ponts, des fontaines et des ermitages, il n’en reste pas moins que la création de routes nouvelles, la concentration parcellaire et la croissance urbaine modifient le paysage, entraînant la disparition de tronçons entiers de l’itinéraire médiéval de Saint-Jacques-de-Compostelle. Dans l’autonomie de Castille et Leon, des fragments assez longs de l’ancien chemin ont disparu ; des quartiers anciens, liés historiquement au chemin, ont été détruits ou sont menacés de l’être dans les villes d’Astorga et de Ponferrada. Enfin, en Galice, le chemin ancien, en bon état persiste et est utilisable. On peut cependant craindre que la concentration parcellaire en cours de réalisation n’entraîne, comme dans les autres autonomies, un bouleversement du paysage et, en particulier, la disparition du chemin sous sa forme de chemin creux.
3. Territoire et peuplement : lieux habités et sites dépeuplés
Le pèlerinage coïncide, au nord de l’Espagne, avec les premières et timides occupations par les agriculteurs soldats chrétiens des terres reprises aux Arabes. La nécessité de surveiller la frontière entre les deux territoires chrétien au nord, arabe au sud, a entraîné la mise en place de forteresses.
Nous avons tenté de retrouver, dans la vallée du haut Aragon la place forte de Samitier, que le roi Sancho el Mayor donnait, de son vivant, avec celle de Loarre, à Gonzalo, roi de Sobrarbe et de Ribagorza. Les deux places fortes de Loarre et de Samitier se situent à l’intérieur de l'ancien comté d'Aragón, donné à Ramiro I. Le troisième fils de Sancho el Mayor, García, roi de Pamplune, a reçu lui aussi, à l'intérieur du futur royaume d’Aragon, deux enclaves centrées chacune sur une place forte : les places fortes de Petilla et de Ruesta. La forteresse de Ruesta, située sur la rive gauche du Rio Aragon et en bordure de la Canal de Berdún, a été construite par les Arabes au IXe siècle, abandonnée par eux en 911, puis reconstruite entre 1016 et 1018 par le roi de Navarre. Plus au sud, une place forte a été édifiée, à une date inconnue sur le piton rocheux qui domine la villa de Petilla signalée dans un document de l'année 938.
Il existe un parallélisme entre les deux couples d'enclaves confiés par Sancho el Mayor aux frères de Ramiro I d’Aragon. En effet, Sancho el Mayor a réservé à García une forteresse dominant la Canal de Berdún et une tour de vigie plus au sud, à proximité de ses récentes conquêtes sur les Arabes. Par ailleurs, il a réservé à Gonzalo une forteresse, Loarre, située dans une aire non encore stabilisée dans laquelle on pouvait prévoir de prochains affrontements entre chrétiens et musulmans, et la place forte de Samitier dont le site n’est pas connu. En ancrant ainsi chaque frère sur le territoire de Ramiro, Sancho el Mayor espérait, sans nul doute, maintenir une cohérence entre ses héritiers et assurer une meilleure défense de son royaume face aux Arabes. Le parallélisme entre les places fortes réservées implique que la place forte de Samitier ait eu une fonction analogue à celle de Ruesta, à savoir surveiller et défendre la Canal de Berdún. Ce raisonnement conduit à formuler l'hypothèse que l'enclave de Samitier, réservée à Gonzalo, se trouve sur la rive gauche du Rio Aragon et à la limite de la Canal de Berdún. C'est donc dans cette aire géographique que nous avons cherché les vestiges de la place forte de Samitier.
Le toponyme de Samitier qui fait allusion à deux saints martyrs espagnols Emetorio et Celedonio, était fréquemment utilisé, aux IXe- Xe siècles, à la limite des territoires chrétiens reconquis sur les Arabes. Actuellement dans le Nord-Ouest de l’Aragon deux lieux portent ce nom : l'un dans la juridiction de Boltaña, l'autre dans celle de Jaca, à l'intérieur du municipe de Bailo. Sur les cartes topographiques, on repère dans l'aire située entre Matidero et Vadoluengo, sur la rive gauche du Rio Aragon, et au Nord de Bailo, d'une part une colline boisée, le Mont de Samitier, d'autre part à proximité de ce dernier, la Venta de Samitier. Au milieu du XIXe siècle, Madoz mentionnait "la pardina de Samitier", comme appartenant aux Bénédictines de Jaca. A la fin du XVIIIe siècle, Samitier ou San Emeterio, est mentionné, parmi les villages dépeuplés, entre Arrés et Santa Cilia. Malgré cela le lieu signalé dans les textes de 1035, 1044, 1046 et 1062 n'avait pas été déterminé avec précision car sur le Mont de Samitier, nul ne paraît avoir trouvé de restes permettant de conclure à son occupation ancienne. Certains auteurs ont même écrit, un peu hâtivement peut-être, que le Samitier du texte de 1035 correspondait soit au château de Samitier, dans l'ancien territoire de Sobrarbe, soit à une chapelle nommée San Mitiel située au sud de Loarre.
Les habitants du village d'Arrés auprès desquels nous avons enquêté, nous ont informé qu'ils gardaient le souvenir de l'existence, face au Mont de Samitier, d'un pierrier où s'élevaient "un torréon con una capilla de San Cilano", à proximité de laquelle il y avait des sépultures. Face au Mont de Samitier, au sommet d'une petite montagne qui, à 851 mètres d'altitude, domine le Rio Aragon, nous avons découvert, en effet, sous une chênaie, les vestiges de deux ensembles de murs distincts, partiellement détruits. L’un des deux ensembles occupe une surface de six ares et peut correspondre à l'emplacement d'un château. Le second ensemble, à l'extrême pointe du relief, occupe un espace beaucoup plus réduit. Enfin, sur le versant sud subsiste un ensemble de murs en pierres sèches où nous voyons les restes d'un village disparu.
Le site du château de Samitier, au croisement de la vallée du Rio Aragon et du val d'Arbués, permettait de contrôler d'une part la voie Est-Ouest que représente la Canal de Berdún, d'autre part vers le Nord la vallée d'Hecho et vers le Sud le territoire de Bailo en direction de Loarre. L'ancienne voie romaine de direction Nord-Sud qui, de Zaragoza, menait par Huesca, Bailo, Hecho et le col du Palo, en Béarn passait au pied du relief. Au XIe siècle, face au château, sur la rive droite du Rio Aragon, s'élevait la propriété royale d'Astorito. Ce site place d'emblée le château de Samitier dans la ligne des garnisons militaires d'Atares et de Ruesta, pour n'en citer que deux, qui matérialisaient aux IXe siècle la frontière nord du territoire occupé par les Arabes puis reconquis par les Chrétiens. Pour ces derniers, cette frontière garde tout son sens en 1035, ce qui justifie que mention soit faite de Samitier et de Ruesta dans le document de Sancho el Mayor. Ultérieurement les Chrétiens ayant assuré leurs conquêtes vers le Sud et la limite Nord de l'occupation musulmane s'étant déplacée durablement au Sud de Loarre, Samitier, dont l'accès était peu facile, a perdu son importance, tandis que Ruesta, à la frontière navarro-aragonaise conservait la sienne.
Les pèlerins, qui, du Xe au XIIe siècle, entraient en Aragon par le col du Somport, parcouraient ensuite la Canal de Berdun, si elle n’était pas le siège de combats violents. Nous avons utilisé les documents dont nous disposions pour connaître l’évolution de l’habitat dans la canal de Berdun, et l’influence du pèlerinage sur cette évolution. Au début du XXe siècle, on comptait trente-six lieux habités dans la canal de Berdun, certains, avec seulement un ou deux feux, se sont éteints dans la seconde moitié du XXe siècle. Le chemin de Saint-Jacques, qui court d’Est en Ouest, sur les terrasses de la rive droite du rio Aragon, était appelée jusqu’au XXe siècle, “Camino Real”. Son tracé se superpose à la voie romaine du “territorium Aragonese” dont Huesca était la capitale. Les nombreux restes de l’occupation romaine, trouvés dans la canal de Berdun, traduisent l’existence d’un habitat dispersé de “villae”. Cet habitat a, sans doute, survécu durant la période wisigothique entre les Ve et le VIIIe siècles, sur laquelle il n’existe pas à ce jour de documentation. Sous l’occupation arabe, les habitants de la canal de Berdun étaient soumis au gouvernement arabe de Huesca. La documentation qui couvre le IXe siècle, est très réduite et nous ne connaissons pas la vie dans la Canal de Berdun pendant cette période. Cependant un document nous apprend que, le comte Inigo Jimenez donne à l'abbaye de Leyre, en 842, les villas de Yesa et Benasa avec tout leur terrain ; que de 858 à 893, des colons navarrais s'installent sur la rive droite de l'Aragon, au contact de la vallée d'Anso et de la Canal, à Binies, Tolosano et Orrios. Nous pouvons en déduire que des villae persistaient dans la Canal de Berdun à la fin du IXe siècle.
Au début du Xe siècle, en 911, le gouverneur arabe de Huesca attaque le royaume de Navarre, et face à la résistance navarraise, bat en retraite, abandonnant la forteresse de Ruesta au roi de Navarre. Ce dernier fonde alors un monastère entre la forteresse et le rio Aragon. Sept ans plus tard, grâce à l’intervention du comte d'Aragon, la frontière méridionale du comté d’Argon se déplace vers le Sud, dans la Sierra de San Juan de la Peña. En 920, la Canal de Berdun est redevenue chrétienne. Les documents de San Juan de la Peña, relatifs au Xe siècle, y mentionnent de nombreuses villae: Javier Martes, Berdun, Gisso, Alastuey, Martes, Ena, Catamesa, Benasa, Mianos et Miramont. On y connaît aussi les « terminos » de Caprunas, Genepreta, Malle Truie, San Vicentio. Comme au IXe siècle, les villae font souvent l'objet de donation aux différents monastères. Le monastère de San Pedro de Siresa reçoit, en 971, la villa de Javier de Martes, celle de Berdun et la basilique de Santa Maria. En 992, le roi de Pamplona et son épouse, fondent dans la Canal de Berdun le monastère de Santa Cruz de las Sorores, qu’ils dotent de nombreux villages, églises et terres. A la fin du Xe siècle, l’armée arabe, sous la conduite d'Almanzor fait une dernière incursion dans la Canal de Berdun et les vallées pyrénéennes. Entre 1016 et 1018, le roi de Navarre rétablit sa domination sur l'Aragon et reconstruit la forteresse de Ruesta.
Les textes du XIe siècle attestent l’existence sur chacune des rives du rio Aragon de lieux habités distants de 1,5 à 2,5 km, ce qui traduit l’augmentation de la densité de la population depuis le Xe siècle. Au début du XIe siècle, la Canal de Berdun, en raison de son habitat dispersé, présente une similitude avec la Gascogne du XIe siècle. De la lecture des textes du XIe siècle, nous retenons la présence des termes de podium, podium mayorem et de puyo. Certains de ces points hauts, difficiles d’accès, étaient occupés au XIe siècle, par des propriétés seigneuriale ou ecclésiastique. Celles-ci ont servi de refuge aux habitants de la campagne voisine, dispersés en zone ouverte, sur les terrasses fluviales, lors des guerres que se sont livrés le comte d’Aragon et le roi de Navarre. A la fin du XIesiècle, l’abbaye de San Juan de la Peña reçoit par donation nombre de villae et d’églises de la Canal de Berdun et joue le rôle de seigneur, prélevant la dîme, entretenant des soldats et prenant en charge la défense de ses propriétés et du territoire avoisinant.
En demandant dans le fuero qu’il accordait aux habitants de la nouvelle capitale du royaume d’Aragon, en 1035, de “cerrar las casas”, le roi Ramiro I définissait la forme d’un habitat défensif groupé. Ce conseil a, sans doute, été donné par Pedro I à ceux qui se proposaient de peupler Santa Cilia de Jaca. Ainsi, s’est mis en place progressivement un habitat défensif, constitué de maisons jointives, fermées sur leur face extérieure. Les propriétés déjà construites sur les points hauts ont souvent servi de noyau à ces nouvelles structures. Les affrontements dévastateurs, qui se sont succèdés de 1137 à 1146, entre les royaumes d’Aragon et de Navarre, ont favorisé le développement de ces agglomérations de type défensif. Au cours de cette période, en effet, le roi de Navarre et ses troupes traversent la Canal de Berdun jusqu’à Jaca en brûlant les bourgs. Le Burgo nuevo de Jaca ayant été incendié au moins deux fois, la construction des murailles de la ville, projetée dès 1131, est accélérée et les habitants du Burgo nuevo s’installent à l’intérieur du nouvel espace crée. Par ailleurs, la petite ville de Berdun, réédifiée sur un podium, reçoit dès 1158, le fuero de la ville de Jaca. Plus tard, en 1170, le roi d’Aragon, Alphonse II, autorise les habitants du bourg détruit de Mianos à s’installer sur le podium.
Il apparaît donc que la concentration de la population en bourgs défensifs s'est faite au cours du XIIe siècle. Cependant aucun de ces bourgs n’est protégé de murailles. La construction des murailles est, en effet, une opération coûteuse ; elle se réalise plus tardivement et n'affecte qu'un petit nombre de villes. Malgré tout, il semble bien que même à la fin du XIIe siècle, tous les habitants de la Canal de Berdun n'étaient pas regroupés en bourgs défensifs et qu'ils continuaient à vivre dans les lieux mentionnés au XIe siècle. Un exemple nous en est fourni par les habitants des términos voisins de Tiermas auxquels le roi Pedro II accorde des privilèges exorbitants afin qu'ils occupent le podium de Tiermas, en 1201. Fondée au XIIIe siècle, la ville de Tiermas a joué un rôle important dans la défense du passage de la Canal de Berdun. Le royaume étant entré en guerre contre la France, l'infant Alphonse demande, en 1283, aux habitants de Tiermas et de Ruesta de fortifier leurs villae et leurs châteaux. Cette même année, les Français traversent la Canal de Berdun et incendient les villages. Au cours de cette campagne, nombre de villages disparaissent : Arbe, Uyanda, Sosito, Assotillo, Miramont, Javier-Martes, Samitier, Artaso, Albes.
La ville de Tiermas est fortifiée sur ordre du roi d'Aragon, qui, en 1302, demande que les impôts, chevaux et autres tributs de Tiermas soient utilisés à la fortification de la ville. Mais la construction est lente : en 1319, le roi demande que les murailles soient achevées dans les six années à venir. Tiermas est la seule petite ville de la Canal de Berdun, hormis Jaca, qui montre une muraille édifiée en pierre de taille. On peut la rapprocher de la ville navarraise de Viana, qui, avec son château et ses remparts, devient à partir de 1219, l'une des places fortes de la Navarre. Mais à Viana, le parcellaire est régulier et la planification contenue dans le fuero de la ville. Rien de semblable à Tiermas, où le château, déjà édifié au centre du podium, a imposé l'organisation du parcellaire.
En conclusion, ce n’est pas l'itinéraire du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle qui a joué un rôle déterminant sur l'urbanisation de la Canal de Berdun. Au contraire, les guerres fréquentes, souvent dévastatrices, ont accéléré l'urbanisation de l'habitat. L'habitat défensif devient dominant au cours du XIIe siècle, sans exclure la persistance de petits groupes de maisons dispersées dans la campagne. L'observation du bâti et l'analyse du parcellaire ont montré l'existence de noyaux défensifs antérieurs à cette urbanisation.
On retrouve dans la Haute Rioja une évolution similaire à celle observée dans la Canal de Berdun, marquée par l'augmentation de la population entre les Xe et XIe siècles et l'existence de grands señorios monasticos ou catedralicios. A la fin du Xe siècle, le territoire de la Rioja traversé par le chemin de Saint-Jacques était occupé par un habitat dispersé. Au milieu de cet habitat déjà existant, des ermites, des ordres monastiques, souvent encouragés par le pouvoir royal, ont édifié des structures d'accueil pour les pèlerins. L’itinéraire du chemin français, long d'environ 800 km, croisait de nombreux cours d'eau dont la traversée à gué ou avec l'aide d'un passeur représentait une difficulté pour le voyageur. On comprend que de nombreuses structures élémentaires aient été mises en place près des rivières, avant ou après la construction de ponts au XIe siècle. Les structures élémentaires ont évolué différemment selon leur site et le devenir du territoire. Certaines se sont maintenues sans changement important durant le Moyen âge puis ont disparu avant le XXe siècle ou à ses débuts.
Nous avons tenu à réaliser un guide du chemin de Saint-Jacques de Compostelle comprenant une notice historique très complète. Chaque lieu mentionné au moyen âge y est indiqué, ainsi que l’évolution de l’habitat, des voies de circulation, et surtout la relation du lieu au chemin de Saint-Jacques. Nous sommes conscient de la difficulté d’étudier les lieux habités résiduels, cependant ils nous informent sur la distance entre deux lieux successifs, c’est-à-dire la distance maximum que les pèlerins parcourent sans rencontrer d’habitat..
L'origine des composantes de l’habitat dispersé est le plus souvent imprécise. En effet, en raison de la rareté des documents et de l'absence de fouilles, l'habitat rural antérieur au Xe siècle est mal connu. Cependant une étude réalisée en Haut Aragon apporte la preuve que des villae y existaient à la fin du IXe siècle. Les documents de San Juan de la Peña relatifs au Xe siècle attestent l'existence dans la Canal de Berdún, de nombreux lieux habités distants de 1,5 à 2,5 km. Leur nombre augmente entre le Xe et le XIe siècle.
Dans la Rioja Alta tout comme en Aragón une population rurale existait depuis le Xe siècle au moins. Au début du XIe siècle, le territoire de la Rioja Alta, qui appartient à de grands monastères comme ceux de San Millán de la Cogolla et San Martín de Albelda, est occupé par un habitat dispersé au milieu duquel s'élèvent quelques petites villes.
On peut donc considérer que le territoire traversé par le chemin de Saint-Jacques était occupé au Xe siècle et, peut-être avant, par un habitat dispersé. Celui-ci subit de grandes modifications au cours des XIIe, XIIIe et XIVe siècles. Les guerres, la volonté royale de créer des centres urbains, petite ville frontière ou ville-étape, les famines ou la peste noire ont provoqué la disparition d'un grand nombre de lieux habités. C'est en Galice que l'habitat dispersé a subsisté le mieux jusqu'à la seconde moitié du XXe siècle.
Si l'existence d'un habitat dispersé sur le territoire que traverse le chemin de Saint-Jacques dès le Xe siècle ne fait aucun doute on ne connaît pas, néanmoins, avec certitude, l'origine de l'habitat d'accueil mis en place sur le chemin de Saint-Jacques sous l'impulsion du clergé, des ermites ou des monastères. Occupe-t-il des lieux déjà habités ou au contraire a-t-il été créé de toute pièce au XIe ? Nous en sommes réduit aux hypothèses.
Les églises isolées sont rares, citons celles de Garitoain, propriété au début du XIe siècle de l'abbaye de Sainte-Foi-de Conques ; la Virgen del Puente qui appartient, à la fin du XIIe siècle, à l'ordre des Augustins. Parmi les hôpitaux isolés, nous retiendrons en Aragon ceux de Santa Cristina du Somport mentionné en 1076, d'Annol dont l'origine est inconnue mais qui appartient au XIIe siècle au monastère de San Juan de la Peña, en Galice de San Juan de Fabero, cité pour la première fois en 1203 comme hospitales Sancti Joannis et stractam peregrinorum, et l'hôpital de San Juan de Irago qui existait déjà en 1120. Parmi les rares abbayes-auberges, qui nous sont connues, signalons celle de Santiago de Ruesta, citée en 1098, et celle de Cebrero citée en 1072.
Certaines propriétés ecclésiastiques ou monastiques ont favorisé la formation de villages soit à leur proximité immédiate soit le long du chemin. Chaque structure élémentaire d'accueil (hôpital, église, auberge) a pu s'accroître d'un ou plusieurs autres éléments bâtis et s'entourer de maisons. Ainsi sait-on qu'en 1103 un ermite construit à Foncebadon une église, un hôpital et une auberge. Quelques maisons édifiées à proximité de l'église navarraise de Garitoain (propriété de l'abbaye de Sainte-Foi-de-Conques), sont à l'origine d'un village que ses habitants sont invités à abandonner, en 1236, pour peupler la petite ville et le château de Monreal. L'abbaye de Foncebadon est en ruines et le village-rue abandonné tandis que du village de Garitoain il ne reste aujourd'hui qu'une grange dont les murs montrent quelques pierres de réemploi du village disparu. D'autres structures d'accueil bien qu'ayant très vite pris une grande importance et occupé plus d'espace, tel l'hôpital de Santa Cristina du Somport qui prend le nom de monastère au début du XIIIe siècle, ont totalement disparu.
3.1. Noyau médiéval simple
La majorité des villages liés au chemin de Saint-Jacques, semble rattachée à une propriété d'origine monastique ou ecclésiastique qui a parfois persisté jusqu'au XXe siècle ou dont on retrouve la trace dans l'organisation du parcellaire. Le noyau médiéval le plus simple, dont le chemin de Saint-Jacques constitue l'axe, se compose de maisons groupées à proximité du chemin sur une longueur qui varie de cent mètres à deux kilomètres, d'un hôpital, et le plus souvent d'une église. Les villages galiciens de Ligonde, Cebrero, Leboreiro, Furelos et Calle de Ferreiros, tous cités au XIIe siècle, constituent des exemples d'un habitat villageois médiéval simple.
Le village de Ligonde qui s'étend sur plus de 2 km, constitue un habitat très ouvert allongé. Il est formé de petits groupes de maisons séparés par un ou deux champs. Chaque groupe représente une petite unité d'exploitation familiale agraire. L'ancien castrum associé à une petite unité d'exploitation subsiste à 300 m au nord du village. L'église du village qui, à la fin du XIIe siècle, appartenait à l'ordre de Santiago, est implantée à 50 m du chemin à Saint-Jacques. Ce village offre un bon exemple d'habitat villageois, intégré dans l'organisation plus vaste d'un territoire préexistant au pèlerinage de Saint-Jacques.
Au passage du col de Cebrero, le village du même nom, conservait, il y a encore quarante ans, un habitat ouvert groupé qui jouxtait la propriété monastique édifiée au XIe siècle. L'église monastique était celle du village. Celui-ci comprenait un petit nombre de maisons, construites à proximité du chemin de Saint-Jacques sur une longueur d'environ cent mètres. Aucun ordre apparent n'était visible dans la distribution des maisons de part et d'autre du chemin. Aux maisons primitives ovales ou circulaires, connues sous le nom de pallozas, se sont adjointes des maisons constituées de deux parties, l'une à plan rectangulaire, l'autre semi-circulaire. Ces dernières maisons traduisent la transformation d'anciennes pallozas. La limite de la parcelle n'est pas nette. L'espace utile aux travaux agraires et à l'élevage détermine l'aire de base. Un muret de pierre entourait cet ensemble de quinze maisons.
Un habitat groupé constitué de parcelles jointives, alignées le long du chemin s'observe dans les villages galiciens de Leboreiro, Furelos et Calle de Ferreiros. A l'origine du village de Leboreiro, mentionné en 1164 sous le nom de burgo de campus Leboreiro,la propriété ecclésiastique située à quelques mètres du chemin. Une quinzaine de petites fermes caractéristiques de l'habitat rural traditionnel galicien s'allongent sur cent quarante mètres le long du chemin. Un hôpital existait à Leboreiro en 1164. Une origine semblable peut être attribuée au village de Furelos, situé après le passage du pont. La rue principale est longue de deux cents mètres. L'hôpital des pèlerins s'élevait près du pont.
Le village de Calle de Ferreiros cité aussi au XIIe siècle, se présente comme un regroupement d'une quinzaine d'unités d'exploitation, distribuées le long du chemin de Saint-Jacques. Chaque unité entourée d'un muret comprend une maison d'habitation, un grenier à grain, une cour et une étable. Un chemin creux passe au pied de chaque muret. Les parcelles inégales sont arrondies. On retrouve une unité d'exploitation assez semblable à Peruscallo.
3.2. Le village à parcelles jointives groupées
De cet habitat groupé on peut rapprocher le burgo ou barrio, noyau habité qui s'étend sur 200 à 350 m. Le chemin de Saint-Jacques en constitue l'axe de circulation principale. Certains de ces villages sont constitués de parcelles jointives sur une longueur de cent cinquante à deux cents mètres. Leur croissance s'est faite par adjonction soit de tronçons de rues construits ultérieurement tels que l'on peut en observer à Hornillos et Rabanal del Camino, soit d'une zone périphérique comme à Burgo Ranero.
La propriété royale d'Hornillos est confiée en 1182 au monastère de Rocamadour à charge pour lui de repeupler le lieu. Une structure linéaire, longue d'environ cent quatre-vingt mètres, est mise en place le long du chemin et au pied de l'église édifiée sur un ancien castrum. A chacune des extrémités du village initial et le long du chemin de Saint-Jacques s'est ajouté un groupe de maisons. Hornillos comptait soixante-dix maisons au milieu du XIXe siècle.
Le village de Rabanal del Camino, quant à lui existait avant 1120, et abritait une importante commanderie templière. Il présente sur une longueur de cent mètres une structure médiévale planifiée à laquelle se sont ajoutées tardivement des tronçons successivement édifiées. Quelques maisons en toit de chaume subsistent encore.
Cité dans la documentation au XIIe siècle, Burgo Ranero ne reçoit un fuero qu'en 1386. Résultat d'une planification tardive ce village présente des maisons jointives à corral. Les maisons étaient édifiées en pisé.
3.3. Villages à parcelles en lanières
Une structure particulièrement adaptée à la rue unique et linéaire que constitue le chemin de Saint-Jacques est celle des parcelle jointives en lanières. Si cette structure se rencontre de l'Aragón à la Galice, elle est peu fréquente en Galice mais par contre très répandue en Navarre. Le village navarrais de Larrasoaña nous paraît constituer un bon exemple de cette structure. Le petit monastère de San Agustin, cédé en 1049 au monastère de Leyre, est à l'origine de la buena villa de Larrasoaña. La planification de la seconde moitié du XIIe siècle a délimité des parcelles en lanière d'une longueur maximum de quatre-vingt mètres. Les maisons, qui n'occupaient qu'une faible superficie de la parcelle, s'élevaient en bordure du chemin de Saint-Jacques. La rue était longue de deux cents mètres. La forme ovale du village encore observable sur le cadastre, traduit l'existence d'un ancien cerco.
D'autres villages, tels Burguete et Canfranc, présentent des parcelles régulières en lanière distribuées le long d'un unique axe rectiligne et à l'intérieur d'une forme rectangulaire. Les villae de Burguete et de Canfranc, qui ont en commun d'être fondées au pied des Pyrénées, en relation respectivement avec les hôpitaux de Roncevalles, édifié au col d'Ibañeta, et de Santa Cristina au col du Somport, étaient des lieux de passage important de pèlerins et de commerçants. Burguete se situe dans une aire ouverte tandis que Canfranc s'allonge au fond de l'étroite vallée du río Aragón. Ces deux villages, au cours de la seconde moitié du XIIe siècle, présentaient des maisons à pignons.
3.4. Vers la petite ville
L'analyse des lieux habités au long du chemin de Saint-Jacques conduit à considérer que le noyau urbain initial appellé selon les cas burgo ou barrio, s'étend sur une longueur de deux cents à trois cent cinquante mètres. Il est constitué de parcelles dont les dimensions ont été déterminées par celui qui a assumé le partage de la superficie donnée à peupler par le roi ou l'abbé du monastère. Il comprend parfois une église et se superpose alors avec la paroisse.
Les villes petites comprennent, à leur fondation entre le XIe et le XIIe siècle, un noyau urbain de base. Ce dernier est d'origine ecclésiastique, monastique, seigneuriale ou royale. A ce type correspondent des villes aussi différentes que Redecilla del Camino, Cacabelos, et Molinaseca.
Un découpage des parcelles initiales et un doublement de la rue principale peuvent traduire la croissance d'un village initialement à parcelles régulières en lanières comme cela est observable à Redecilla del Camino. Le nom de ce village apparaît dans la documentation à partir du XIIe siècle. Sa forme géométrique s'inscrit dans un rectangle. La rue principale, longue de deux cent quatre vingt six mètres, était encore bordée en 1983 de quelques maisons à encorbellement. L'église occupe le centre de la petite ville. Les parcelles longues d'environ quarante-cinq mètres, perpendiculaires à la rue principale, étaient régulièrement distribuées de part et d'autre de celle-ci. La population s'étant accrue au cours du XIIe siècle, le parcellaire déjà existant a été redécoupé au nord et une rue secondaire parallèle à la calle Mayor a été créée. Les fortifications édifiées au XIIIe siècle ont subsisté jusqu'au XVIIIe siècle. La structure de Redecilla del Camino est très proche de celle d’autres petites villes du chemin de Saint-Jacques. Nous en rapprocherons Cacabelos et Molinaseca, petite ville de montagne.
Le burgo de Cacabelos mis en place dès le Xe siècle à proximité du río Cua ayant été détruit au début du XIIe siècle, est reconstruit et repeuplé par des étrangers. Propriété de l'archevêque de Compostelle, la villa reçoit une carte de franchise du roi Alfonse VII en 1130. Le chemin de Saint-Jacques constituait l'axe de la villaqui s'étendait sur une longueur de trois cent-trente mètres. Ce n'est qu'au début du XIIe siècle qu'un pont en pierre est édifié sur le río Cua. Deux hôpitaux sont construits à l'extérieur de la ville, l'un à l'est, l'autre à l'ouest avant le pont.
Propriété royale, citée dès 1097, Molinaseca est donnée vers 1166 au Comte Ramiro, puis partagée entre deux monastères. Un fuero lui est octroyé en 1196. Elle se situe près du pont sur le río Meruelo, déjà édifié au début de la seconde moitié du XIIe siècle. En bordure de la rue principale, que constitue le chemin de Saint-Jacques, des maisons à pignons s'élèvent sur une longueur de trois cents mètres. Les parcelles régulières d'une profondeur de quarante-six mètres sont entièrement édifiées. Contrairement à Redecilla del Camino, les maisons sont séparées par des espaces mitoyens étroits. Molinaseca poursuit son développement au cours du XIIIe siècle et la paroisse de San Nicolas devient alors le quartier des Francs. Molinaseca conserve aujourd'hui encore les caractéristiques d'une ville du pèlerinage.
Le regard porté sur un transect long d'environ 900 km, au nord de l'Espagne, montre une densification de l'habitat au cours des XIe et XIIe siècles. Il conduit à distinguer, d'une part un habitat traditionnel antérieur au Xe siècle, d'autre part l'apparition d'une forme d'habitat groupé et régulièrement distribué le long du chemin.
Deux flux importants de population se sont succédés sur le chemin. Le premier, au milieu du XIe siècle, conduit d'une part au renforcement des modes de vie et de construction traditionnels, d'autre part à la mise en place de nombreuses structures d'accueil. Le second flux, qui s'étend de la fin du XIe à la fin du XIIe siècle, est plus ou moins important suivant les régions traversées, dense en Navarre et en Rioja, plus lâche en Galice. Il se traduit par une planification linéaire caractérisé par un découpage du terrain à bâtir en lanières plus ou moins étroites. Réalisée précocement en Navarre et véhiculée le long du chemin de Saint-Jacques, la planification en lanières peut être considérée comme une forme d'urbanisme médiéval.
3.5. Villes moyennes
Parmi les villes moyennes médiévales, qui sont formées dès le Moyen âge de deux burgos ou de deux paroisses ou de deux quartiers, nous avons distingué selon que les bourgs (barrio ou paroisse) sont alignés sur le chemin de Saint-Jacques ou sont associés différemment, des villes à structure linéaire et des villes complexes.
3.5. Villes moyennes à structure linéaire
Puertomarín, Puente la Reina et Santo Domingo de la Calzada constituent trois exemples ce ce types de ville.
De toutes les villes du chemin de Saint-Jacques, seule celle de Puertomarín conservait une structure à deux burgo, situés de part et d'autre d'une rivière. Le premier bourg, celui de San Pedro mis en place aux Xe-XIe siècles, sur la rive gauche de la rivière semble lié à la construction du pont sur le Miño, dont l’existence est attesté par les textes, en 1123, date à laquelle il est refait. L'église de San Pedro se situait à l'entrée de ce bourg. Le second s'édifie au XIIe siècle sur la rive droite de la rivière. L'église romane fortifiée dédiée successivement à saint Jean, puis à saint Nicolas, s'élevait à la fin du bourg dit de "Pons Minea" ou Portomarín. Le second bourg appartenait à l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem dont la commanderie implantée là, était chargée de conserver en bon état l'hôpital édifié en 1126, l'église et le chemin du pèlerinage. Le cascoviejo de Puertomarín constitué des bourgs de San Pedro et San Nicolas a disparu lors de la mise en service du barrage de Belesar.
La ville de Puente la Reina présente une origine et une évolution différentes. Les Francs s’y installent dès 1090. Le pont sur l'Arga est édifié à la fin du XIe siècle. Alphonse le Batailleur encourage le peuplement du lieu, cède un terrain qu'il possédait à l'est du río Arga et l'année suivante accorde un fuero aux nouveaux habitants. La ville médiévale comprend un ensemble rectangulaire de 453 mètres de long, groupant les paroisses de San Pedro à l'ouest, et de Santiago à l'est. Le chemin de Saint-Jacques, connu sous le nom de Rúa Mayor, en constitue l'axe principal. La paroisse de Santiago a été occupée antérieurement à celle de San Pedro. Dès 1235 les murailles entourent la ville qui, au cours du XIIIe siècle, s'étend à l'extérieur vers l'église du Crucifijo. Les parcelles de l'ensemble rectangulaire longues en moyenne de 60 m et large de 6,50 m étaient perpendiculaires à la rue principale.
Santo Domingo de la Calzada se situe à proximité du río Oja sur lequel Santo Domingo construit un pont, au début du XIIe siècle, ce qui entraîne une légère modification de l'itinéraire des pèlerins. Santo Domingo construit sur le chemin, avant le passage du pont, un hôpital puis une église. Le nouveau chemin, le pont, l'église attirent la population. Avant la fin du XIe siècle, il existe déjà un burgo au voisinage de l'église, il est entiérement loti, après la mort de Santo Domingo, en 1109. Le chemin de Saint-Jacques constitue l'axe de ce quartier désigné ultérieurement comme burgo viejo ; à la suite d’un incendie, ce quartier a été profondément remanié. En 1152, l'église est élevée au rang de collégiale. Le petite ville poursuit son expansion. En 1162, l'abbé don Pedro accorde aux gens nobles venant vivre à Santo Domingo de la Calzada, un terrain situé entre le puits et le pont. Un texte de 1162 mentionne que le terrain à bâtir fut divisé par "le Maître Garsion et sa perche" Le Maître Garsion construisit la cathédrale dont la première pierre est posée en 1168. Les parcelles du quartier neuf, Barrio nuevo, perpendiculaires à la rue principale, qui n'est autre que le chemin de Saint-Jacques et le traverse en son milieu, sont longues de 68m et large de 3,50 m. Le barrio nuevo, rattaché à la cathédrale, est entouré de fortifications. Le chemin de Saint-Jacques, les miracles de Santo Domingo, la situation de la ville dans une plaine prospère ont favorisé l'expansion de la ville. Aux deux barrio, alignés le long du chemin, s'ajoute entre le XIIIe et XIVe siècles, une structure urbaine régulière mise en place au sud de la ville du XIIe siècle et une rue parallèle à la rue principale. Des murailles en pierre sont édifiées dans la seconde moitié du XIVe siècle. Les grands marchés se sont déroulés derrière la cathédrale, à l’extérieur des murailles jusqu'au XIVe siècle. Le barrio nuevo, peu remanié jusqu'en 1980, montrait encore à cette date des maisons médiévales. La ville de Santo Domingo de la Calzada présente, au XIIe siècle et au début du XIIIe siècle, une structure linéaire composée de deux barrio différents dont la cathédrale représente le point d'encrage et le chemin de Saint-Jacques l'axe principal.
3.5.2. Villes moyennes à structure complexe
Estella compte au Moyen âge plusieurs quartiers mis en place sur les deux rives du río Ega. En 1090, le roi Sancho Ramírez décide, malgré les contestations des moines de San Juan de la Peña, d'édifier un château et de fixer à Lizarra, sur la rive droite du río Ega, une population de Francs à laquelle il accorde un fuero. La population s'étend le long du chemin de Saint-Jacques à la fois vers l'ouest le long de la calle San Nicolas, et vers l'est, sur la rive droite du fleuve, le long de la calle de las Tiendas. Les quartiers du Saint Sépulcre et de Sainte Marie se peuplent au XIIe siècle. La ville est plus étendue sur la rive gauche du río Ega où les habitants s'installent à partir de 1164. Un siècle et demi après l'initiative de Sancho Ramirez, Estella est constituée de différents quartiers habités, les uns exclusivement par des étrangers ou francs, les autres par des Navarrais et des francs. Les juifs étaient installés près du château. A la fin du XIIIe siècle, les divers quartiers se distribuent en trois unités administratives : la première la rúa de San Martín, peuplée de francs comprend les paroisse de San Pedro, San Nicolas, Santo Sepulcro et Santa María. La seconde regroupe les paroisses de San Miguel, San Pedro de Lizarra et San Salvador del Arenal. La troisième comprend seulement la paroisse de San Juan. La Plaza San Martín était le centre économique et politique de la ville. Le conseil de la ville se réunissait dans la casa de San Martín, face au Palais du roi de Navarre, édifié au XIIe siècle. Au XIIIe siècle, l'activité commerciale d'Estella est comparable à celle de Burgos. Estella montre l'exemple d'une ville planifiée, formée par addition de quartiers nettement dessinés et structurés. Sur la rive droite les quartiers offrent une structure linéaire dont le chemin de Saint-Jacques constitue l'axe ; sur la rive gauche les quartiers s'organisent autour de l'église et de la place adjacente.
Sangüesa, fondée en 1122 par Alphonse le Batailleur qui lui octroie un fuero semblable à celui de Jaca, s'installe sur la rive gauche du río Aragón. La ville neuve s'organise de part et d'autre d'un axe rectiligne, long de 330m qui s'arrête au pont de Santa María la Real, édifiée en 1122, à proximité du pont s'élève l'église Santa María la Real. Avant la fin du XIIe siècle, la ville de Sangüesa compte les deux paroisses de Santa María et de Santiago, elle s'entoure de murailles, à l'extérieur desquelles elle poursuit son expansion. Au XIIIe siècle, quatre ordres mendiants édifient leurs couvents hors les murs. De nouvelles murailles, prenant appui sur la première, entourent les quartiers récents. Du milieu du XIIe au XIXe siècle, la ville de Sangüesa a constitué une étape importante du chemin de Saint-Jacques.
3.6. Villes ou noyaux urbains anterieurs au XIe siècle
Sous cette rubrique sont regroupées, d'une part les villes d'origine romaine réappropriées dès le IXe siècle, d'autre part les villes développées à partir du système défensif du IXe.
Trois villes-étapes mentionnées dans le guide du pèlerin du XIIe siècle : León, Astorga et Pamplona correspondent à des villes d'origine romaine, réappropriées dès le IXe siècle. Chacune d'elles a intégré le phénomène pèlerinage de Saint-Jacques selon un mode différent.
La ville de León, capitale du royaume de León et d'Asturies, ne doit pas l'essentiel de son développement au pèlerinage mais en a cependant bénéficié. Elle reçoit une charte du roi Alphonse V en 1017. Dans le cours du XIe siècle un quartier nommé vico francorum se met en place contre le chemin de Saint-Jacques. Il a son église dédiée à Santa María del Camino. Le vico francorum et le quartier voisin de San Martin forment de 1114 à la fin du XIIIe siècle le Burgo Novo. Du quartier des francs, les pèlerins longeaient les murailles de la ville à l'ouest s'arrêtant si nécessaire à l'hôpital de San Marcelo déjà mentionné en 1096. A cet itinéraire extérieur à la ville, Fernando II substitue un cheminement intérieur permettant aux pèlerins de célébrer les reliques de San Isidoro. Désormais les pèlerins traversent le barrio nuevo, pénètrent dans la ville par la porte Cauriense, s'arrêtent au monastère de San Isidoro et sortent par la porte de Renueva. Ils atteignent le pont sur le río Bernesga en traversant le barrio de Renueva auquel le prieur du monastère de San Isidoro a accordé une charte de población en 1165. Le mur qui entoure le barrio nuevo ne devient commun à l'ancienne ville qu'au XIVe siècle. Le barrio nuevo et le barrio de Renueva, tous deux liés au développement du pèlerinage de Saint-Jacques, traduisent une urbanisation spontanée, tandis que l'itinéraire des pèlerins à l'intérieur de la ville répond à une volonté monastique soutenue par le roi.
Contrairement à la ville de León, le développement religieux et commercial de la ville d'Astorga, à partir du XIe siècle, peut être entièrement attribué au pèlerinage à Santiago. Il semble bien qu'Astorga ait reçu un fuero identique à celui de León mais seule une carte de privilèges accordée aux clercs nous est parvenue. L'itinéraire des pèlerins traversait la ville de part en part, de la puerta del Sol à l'est à celle del Obispo, à l'ouest, mais le tracé de la ville intramuros, comme celui de León, est antérieur au pèlerinage. Par contre, le long du chemin se sont mis en place deux quartiers : l'un à l'entrée la rúa de los Francos, l'autre à la sortie l'arrabal de Rectavia. Plus que dans la structure de la ville, c'est dans l'abondance des hôpitaux et des églises que l'on reconnaît l'influence du pèlerinage sur la ville d'Astorga.
A l'encontre des villes de León et d'Astorga, Pamplona n'a pas présenté un développement linéaire depuis sa réappropriation par les chrétiens au VIIIe siècle. Il ne semble pas que les murailles romaines aient servi de cadre à la nouvelle occupation. En outre, la cour de Navarre ayant abandonné Pamplona pour Nájera en 922, la petite ville de Pamplona est habitée pendant un siècle et demi par des agriculteurs regroupés autour des églises de Santa Cécilia et Santa María. Dans la seconde moitié du XIe siècle, Sancho el Mayor facilite l'installation des francs le long du chemin de Saint-Jacques, ainsi se met en place le burgo de San Saturnino (San Cernin). La ville de Pamplona redevient capitale de la Navarre à la fin du XIe siècle, elle s'ouvre sur l'Europe et bénéficie d'un développement commercial lié au passage des pèlerins et des commerçants le long du chemin de Saint-Jacques. Au XIIe siècle, la ville compte quatre burgos: : San Saturnino, La Navarrería, San Miguel et San Nicolas. Les pèlerins passaient soit dans l'espace conflictuel entre les burgos, soit à l'intérieur des burgos de San Cernin ou de San Nicolas. La ville de Pamplona continue son expansion au XIIIe siècle, un terrain sera loti dans la Navarreria en 1254, le long du chemin de Saint-Jacques : in vico pelegrinorum. Le burgo de San Cernin, mis en place dès le fin du XIe siècle, montre une structure complexe dont le chemin de Saint-Jacques constituait l'axe de symétrie.
3.7. Villes développées à partir du système défensif du IXe siècle.
Quelques villes du chemin des Saint-Jacques ont en commun la fondation, au VIIIe ou au IXe siècle, d'un château défensif sur une colline. Ce sont Nájera, Los Arcos, Burgos, Castrojeriz.
L'un des châteaux édifié au VIIIe siècle par les Arabes, sur le site haut de Nájera, est pris en 923 par les rois de Pamplona et d'Asturies. Sancho el Mayor octroie un fuero à la ville où il édifie son palais au XIe siècle. En outre, il contraint le chemin de Saint-Jacques à traverser la ville de Nájera mettant à profit le pont édifié sur le Najerilla et le site protégé de la ville. Le monastère de Santa María la Real, l'auberge et l'hôpital destinés à recevoir les pèlerins ont été édifiés au cours de la seconde moitié du XIe siècle. Le chemin de Saint-Jacques a été exploité par les rois successifs avec l'aide des moines de Cluny à partir de 1076, pour favoriser le développement de Nájera. La muraille édifiée au XIIe siècle entoure la ville haute, l'habitat troglodyte développé très tôt sur le versant abrupt de la Peña de Malpica et l'agglomération du XIe siècle développée entre le río Najerilla et la Peña de Malpica.
On peut rapprocher de Nájera, le cas de Los Arcos où existait avant le Xe siècle un château dont l'origine est inconnue. Près du château et sur les pentes de la colline, un habitat se met en place au Xe siècle, il constitue le barrio de Santa Eulalia. Au XIe siècle il s'accroît vers le sud et l'est en formant dans cette direction le BarrioNuevo. Peu à peu le noyau urbain se déplace et atteint les rives du fleuve. Le chemin de Saint-Jacques coïncide avec la Calle Mayor, sur une longueur de 550m. Les îlots qui bordent la Calle Mayor ont été planifiées au XIIe siècle. La ville reçoit un fuero en 1175. La ville de los Arcos était une étape du chemin. Un hôpital y est signalé au XIIIe siècle.
Burgos, comme nous l'avons écrit plus haut, naît avec la nécessité de surveiller la nouvelle ligne frontière dans la seconde moitié du IXe siècle. Le château est édifié sur une hauteur entourée de trois côtés par des cours d'eau. Le premier noyau urbain jouxte le château. Au début du XIe siècle le chemin de Saint-Jacques, appelé rúa vieja passait au pied de la façade nord de l'église de Santa María, traversait la partie haute de la ville, longeait le monastère clunisien de Santa Colomba et sortait de la ville au niveau de la porte San Martín. A la fin du XIe siècle, une agglomération regroupant surtout des commerçants et des artisans, se met en place dans l'interfluve entre les rivières Vena et Arlanzon. Le chemin des pèlerins traverse cette seconde agglomération sous le nom de rúa de San Lorente. A l'entrée, mais à l'extérieur de la ville, contre le chemin de Saint-Jacques, s'élevait l'église San Juan. Beaucoup plus tard, en 1283, Ferdinand III autorise le peuplement de la zone proche du nouveau marché et du couvent de San Juan, le chemin de Saint-Jacques qui la traverse prend le nom de rúa San Juan. Burgos présente une caractéristique particulière : le chemin de Saint-Jacques n'y a pas subi de déplacement au cours du Moyen âge. Il a constitué l'axe principal des quartiers successifs que l'expansion de la ville a engendré. Au vingtième siècle, le tronçon du chemin entre la cathédrale (l'église Santa María au XIe siècle) et la porte San Martín est déserté.
A Castrojeriz, comme à Burgos, le premier noyau urbain se met en place contre le château. Au milieu du XIe siècle une seconde agglomération se développe à mi-pente le long du chemin de Saint-Jacques. Bien que protégé par le roi au XIIe siècle Castrojeriz reste une petite ville. La muraille, édifiée en 1212, descend du château et entoure la ville, tout en laissant à l'extérieur, à l'est, le barrio del Manzano. Au XIVe siècle, la ville basse qui s'étendait sur 1,5 km, comptait quatre hôpitaux et quatre paroisses. Le rôle structurant du chemin de Saint-Jacques apparaît clairement dans la ville médiévale de Castrojeriz.
Si le château édifié au IXe siècle a été intégré dans la ville du XIe siècle, tant à Burgos qu'a Castrojeriz, il n'en est pas de même à Grañon. Le château construit sur le Cerro Grañon et l'habitat développé sur les pentes, à propos duquel il est fait mention de barrio en 991, ont été abandonnés, sans doute au cours du XIIe siècle au profit de la ville actuelle. Cette dernière, située au sud-ouest du premier site, a été planifiée entre la fin du XIIe et la première moitié du XIIIe siècle. La chaussée, construite au XIe siècle par Santo Domingo entre Nájera et Redecilla del Camino, constitue l'axe principal de la ville de Grañon. Un fuero, copié sur celui de Santo Domingo de la Calzada, a été accordé à la ville en 1256. La planification de la ville se fait symétriquement, par l'ouverture de deux rues parallèles à la rue principale au nord et au sud de celle-ci. A la fin du XIIIe siècle, la ville entourée d'une enceinte, a pris sa forme actuelle.
Conclusion
La période florissante du pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle n'a été qu'un épisode de l'histoire du nord de l'Espagne. Elle a duré du début du XIe siècle au milieu du XIIIe. Coïncidant d'une part avec l'ouverture vers l'Europe des royaumes de León et d'Asturies, de Castille, de Navarre et d'Aragón, d'autre part avec la pénétration des ordres clunisiens et cistersiens dans la péninsule ibérique, cette période a été une phase importante de peuplement, d'urbanisation et d'expansion de villes déjà existantes.
Le chemin de Saint-Jacques a joué un rôle déterminant dans l'organisation du territoire, en contribuant largement à hiérarchiser l'habitat dispersé, hérité du Xe siècle. Le peuplement le plus simple, au long du chemin de Saint-Jacques, s'est traduit par la création d'hôpitaux, d'auberges dans des lieux montagneux et difficiles à traverser. De petits monastères installés au début du XIe siècle, à proximité du chemin, ont été à l'origine de villages dont les habitants accueillaient pèlerins et marchands. C'est le long du chemin que se sont structurées de nombreuses villes nouvelles, parmi lesquelles celles de Santo Domingo de la Calzada, Puente la Reina, Sangüesa, Grañon, Ponferrada et Molinaseca.
Si l'implantation des villages ou des villes est très variée : terrain plat, pied de montagne ou fond de vallée, il apparaît cependant qu'un grand nombre de noyaux urbains se sont mis en place à proximité d'un pont, et parfois même des deux côtés d'un pont comme Puertomarín.
En protégeant les pèlerins, les rois ont favorisé l'économie sans oublier la défense du territoire, ainsi le site d'Estella a été choisi par le roi de Navarre car il offrait, avant tout, la possibilité d'édifier un château. Les ponts de Puente la Reina et de Sangüesa, utiles aux pèlerins, occupent en outre une position stratégique.
Fréquemment les villes petites et moyennes se sont mises en place sur un terrain royal ou monastique sur lequel les parcelles à bâtir ont été découpées régulièrement grâce à la technique de l'arpentage. Le chemin de Saint-Jacques constituait l'axe de ces noyaux urbains. A la structure linéaire de ces derniers s'ajoute parfois une planification comme à Puente la Reina, Redecilla del Camino ou Grañon.