MONTMARTRE (rue)

IIe Arrondissement. Commence 126 r. Rambuteau et 1 r. Montorgueil ; finit 1 bd Montmartre et 29 bd. Poissonnière. Longueur 939 m ; largeur minimum 15 m.

Cette rue était déjà ainsi appelée en 1200, puisque c’était le chemin qui conduisait à Paris, de l’abbaye de Montmartre ; elle était alors bâtie jusqu’à la porte Montmartre de l’enceinte de Philippe-Auguste, à la hauteur du n°30. Elle continua de l’être au fur et à mesure que cette porte fut repoussée vers le nord, soit jusqu’à hauteur du n°82 en 1830 et du n°156 en 1635.

On l’appela de la Porte-Montmartre au XVe siècle et Montmarat pendant la Révolution.

Le voisinage des Messageries (cf. n°115) fut cause de l’existence dans cette rue d’un très grand nombre d’hôtels meublés, tels les suivants : grand hôtel d’Angleterre (n°56), hôtels de France et de Champagne réunis (n°132), de la Jussienne (n°47), de Rome (n°136), Saint-Eustache (n°92), du Tyrol (n°162), du Vivarais (n°82), des Voyageurs (n°112) …

N°1. – Emplacement de la crypte de la chapelle Sainte-Agnès, berceau de l’église Saint-Eustache (cf. r. du jour).

N°15. – Emplacement de la maison où naquit, en 1577, le capucin François Leclerc du Tremblay, dit le Père Joseph, le plus dévoué des agents de Richelieu, surnommé « l’éminence grise ». Il mourut, en 1638, dans les bras de Richelieu comme il venait de recevoir le chapeau cardinal.

N°30.  – Emplacement de la porte-Montmartre de l’enceinte de Philippe Auguste, ouverte au XIIIe siècle et démolie vers 1550 (inscription).

N°41 bis. – Vieille et petite maison (un seul étage).

N°47. – Vieille maison, siège, depuis sa fondation, en 1879, jusqu’en 1892, du Musée pédagogique de la Ville de Paris où était réuni tout ce qui concernait l’enseignement primaire.

N°56. – Vieille maison ; porte ; une fenêtre par étage. Au fond de la cour, hôtel meublé d’Angleterre ci-dessus indiqué.

N°62. – Vieil hôtel ; porte.

N°64. – Emplacement de l’hôtel de l’amiral de Tourville (1642-1701). (Inscription.)

N°69. – Le prolongement de la rue du Louvre a fait disparaître ici, en 1913, une rue appelée, vers 1550, du Rempart parce qu’elle longeait l’enceinte de Charles V, puis du Puits.

Transformée en impasse en 1641, ce fut le cul-de-sac du Bout-du-Monde, appellation due au voisinage de la rue du même nom (cf. r. Léopold-Bellan), puis impasse Saint-Claude et, depuis 1867, l’impasse Saint-Sauveur.

N°70. – Emplacement en 1676, de l’hôtel du duc de Béthune-Charost, petit-neveu de Sully, qui avait épousé, en 1657, une fille du surintendant Fouquet. Son fils, gouverneur de Louis XV enfant, le vendit, en 1735, au directeur de la Monnaie, qui le céda au receveur général des finances Rouffiac. Celui-ci le vendit, en 1768, à la famille Rondel dont les héritiers le cédèrent, en 1780, au conseiller de Brétignières qui l’incorpora dans le passage du Saumon qu’il venait d’acheter et dont il suivit le sort (cf. r. Bachaumont). Le portraitiste Dubuffe qui eut dans sa clientèle le roi Louis-Philippe et la reine des Belges habita cet hôtel de 1831 à 1841. Cet hôtel appartint, en 1853, comme le passage du Saumon au général Mahmoud Ben Aïad, puis, en 1884, à son fils, Ahmed Ben Aïad, lequel le fit démolir, en 1899, avec ce passage qu’a remplacé la rue Bachaumont.

N°76. – Le critique et littérateur Jean-François de Laharpe (1739-1803) aurait habité vers cet endroit en 1777.

N°82. – Emplacement, au carrefour des rues Montmartre et d’Aboukir, de la porte Montmartre de l’enceinte de Charles V. construite en 1830, murée en 1408, reconstruite en 1425, refaite en 1618, elle fut démolie en 1634 lorsqu’elle fut remplacée par la porte Montmartre de l’enceinte de Louis XIII située plus au nord.

N°91. – Emplacement du débouché de la rue Saint-Pierre-Montmartre (cf. r. Paul-Lelong). Face à l’actuelle rue Paul-Lelong débouchait le cul de sac des Commissaires, reliquat de la rue de l’Arche, appelé cul-de-sac de l’Epée-Royale en 1647, cul-de-sac Ragouleau en 1663 et, enfin, des Commissaires.

N°92, 94, 96, 98, 100, 102. – Vieilles maisons.

N°112. – Hôtel meublé où Mistral descendit en 1859 lors de son premier séjour à Paris (inscription).

N°115. – L’ouverture, en 1895, de la rue Réaumur a fait disparaître le cul-de-sac Saint-Pierre, autre sortie de l’hôtel du marquis de Bretonvilliers, petit-fils du financier Samuel Bernard, dont l’entrée principale était au n°28 de la rue Notre-Dame-des-Victoires. Le roi acheta cet hôtel pour y installer la Ferme générale des messageries royales, plus tard Messageries impériales, qui eut aussi une seconde sortie à cet endroit. Ce cul-de-sac, ouvert en 1622, s’était alors appelé des Masures étant situé sur un ancien clos de ce nom ; on l’appela ensuite Neuve-Montmartre, des Marmousets (1663), puis Gourtin, Saint-Pierre-Gourtin et, enfin, Saint-Pierre. La famille du sculpteur Le Hongre (1609-1690) l’habita. Cette ouverture a aussi fait disparaître l’ex-n°122 où logea, vers 1775, la Montansier (1730-1820) avec Neuville, et l’ex-n°124 où habita Isaac Strauss, chef d’orchestre des bals de la Cour.

N°117. – Emplacement (approximatif), vers 1844, du siège du journal Le Constitutionnel.

N°118. – Emplacement d’une maison dont la façade était garnie, encore au début du XXe siècle, de 32 pendules (huit par étage) ; cette maison avait appartenu à une horlogerie fondée, en 1790, par le suisse Wagner dans la rue voisine du Cadran, ainsi que l’on appelait, en 1807, la section de la rue Saint-Sauveur comprise entre les rues Montmartre et des Petits-Carreaux. Un bureau pour la traite des noirs aurait siégé, avant la Révolution, dans la maison qui précéda celle-ci.

N°119. – Emplacement d’une maison, avec une enseigne de 1720 A la Grâce de Dieu, qui a été démolie en 1963.

N°129. – Emplacement d’une maison construite, vers 1660, par Jean Boullier, l’architecte de l’hôtel Salé, ensuite propriété de sa fille qui épousa le fils de François d’Orbay et la vendit en 1714. On y voyait, en 1840, le magasin de nouveautés A Saint-Joseph.

N°136. – Vieille maison ; hôtel meublé de Rome vers 1800 ; sa façade est décorée de huit statues et de deux bustes.

Nos 140 à 144. – Emplacement du cimetière Saint-Joseph de la paroisse Saint-Eustache.

Le cimetière Saint-Joseph. – La paroisse Saint-Eustache était fort étendue ; aussi à une époque où, dans les enterrements, les corps étaient le plus souvent portés à bras, la fabrique qui disposait du cimetière des Innocents pour les paroissiens habitant la région sud-est, chercha à ouvrir un autre cimetière dans la région nord, trop éloignée des Innocents. A cet effet, elle acheta, en 1625, une étroite bande de terrain comprise entre les rues du Croissant, Montmartre et du Temps-Perdu (Saint-Joseph).

Une petite chapelle fut ensuite édifiée dans ce cimetière le long de la rue du Temps-Perdu et à l’angle de la rue Montmartre (n°140) sur laquelle était son entrée, aussi entrée du cimetière. Sa première pierre (une ancienne pierre tombale du cimetière de la r. du Bouloi) fut posée, le 14 juillet 1640, par le chancelier Pierre Séguier, aux frais de qui elle avait été construite ; elle fut bénite par Tonnellier, curé de Saint-Eustache et dédiée à saint Joseph, d’où le nom que prit alors la rue du Temps-Perdu. C’était une chapelle succursale de Saint-Eustache où, seuls, des services funèbres étaient célébrés. Elle devint, en 1792, le lieu de réunion de la section du faubourg Montmartre, appelée plus tard Brutus ; le Conservatoire de musique l’utilisa en 1794, puis elle disparut en 1800.

Le cimetière, que quelques maisons le long de la rue Montmartre (nos 142, 144) séparaient cette rue, avait une superficie d’environ 510 mètres carrés ; il était divisé en deux parties ayant respectivement 250 et 260 mètres carrés. Il recevait une moyenne de 300 corps par an, ce qui fait qu’il en avait absorbé près de 40 000 lors de l’enquête de 1763. Cela était beaucoup pour son peu d’étendue, entouré comme il l’était de rues étroites, aux maisons très élevées. L’enquête le trouva naturellement, infecté.

Fermé en 1781, à la suite de l’affaire du cimetière des Innocents, il disparut en 1796. Citons, parmi les personnes qui y furent inhumés : le conseiller d’Etat de Laubardemont, mort en 1653 ; le lieutenant de police Gabriel de La Reynie, mort en 1709, à 84 ans, et, surtout, Molière.

Molière mourut en 1673, à 51 ans. Le clergé de Saint-Eustache ayant refusé de lui donner une sépulture chrétienne, vu l’ex-communication que la profession de comédien faisait peser sur lui, sa femme Armande Béjart, secondée par le curé d’Auteuil, alla trouver Louis XIV qui intervint auprès de l’archevêque de Paris. D’où cette ordonnance de Mgr du Harlay : « Nous avons permis au sieur curé de Saint-Eustache de donner la sépulture ecclésiastique au corps du défunt Molière dans le cimetière de la paroisse, à condition néanmoins que ce sera sans aucune pompe et avec deux prêtres seulement et hors des heures du jour et qu’il ne se fera aucun service solennel pour lui, ni dans la dite paroisse, ni ailleurs. »

Les choses se passèrent cependant autrement car le cortège funèbre qui prit le corps au domicile mortuaire de Molière (40 r. de Richelieu) comprenait, en plus de trois ecclésiastiques, « quatre prestres qui ont porté le corps dans une pièce de bois couverte du poelle des tapissiers ; six enfants bleus portant six cierges dans six chandelliers d’argent, plusieurs laquais portant des flambeaux de cire allumés. Le corps a été porté au cimetière de Saint-Joseph et enterré au pied de la croix. Il y avait grande foule de peuple et l’on a fait distribution de 1000  à 1200 livres aux pauvres qui s’y sont trouvés, à chacun 5 sols. »

Armande Béjart fit venir une grande dalle de pierre qu’on plaça au milieu du cimetière, au-dessus de la sépulture de Molière. Cette pierre fut fendue par le milieu deux ou trois ans après la mort du poète, à la suite d’une louable action de sa veuve : « Il y eut un hiver très froid ; la veuve de Molière fit voiturer 100 voies de bois dans ledit cimetière, lequel bois fut brûlé sur la tombe de son mari, pour chauffer tous les pauvres du quartier. La grande chaleur ouvrit cette tombe en deux », rapporta, en 1732, Titon du Tillet qui ajouta : « J’ai appris d’un ancien desservant de la chapelle qui me dit avoir assisté à l’enterrement de Molière, qu’il n’était pas inhumé sous cette tombe mais dans un endroit plus éloigné attenant à la maison du chapelain. »

La paroisse Saint-Eustache utilisait, parallèlement au cimetière Saint-Joseph et au cimetière de Saint-Jean-Porte-Latine (cf. r. du Faubourg-Montmartre), le cimetière des Innocents où La Fontaine avait été inhumé en 1675.

Or, en 1730, l’abbé d’Olivet écrivit, dans son Histoire de l’Académie française, que La Fontaine « avait été enterré à l’endroit même où Molière l’avait été vingt-deux ans avant ». Cette erreur fut communément admise et reprise par la suite. Aussi, lorsque vint la Révolution, des recherches furent entreprises pour exhumer du cimetière Saint-Joseph les corps de Molière et de La Fontaine. Comme on croyait – à tort et d’après Tillon et Tillet – que Molière reposait dans un « angle du cimetière », on exhuma à cet endroit, le 6 juillet 1792, des ossements que l’on mit dans une bière de salin qui fut déposée dans la cave sépulcrale de la chapelle.  Puis, le 21 novembre suivant, on chercha La Fontaine au pied du crucifix et on trouva des ossements qui peuvent d’ailleurs être ceux de Molière ou ceux d’autres personnes inhumées, comme lui, au pied de la croix centrale du cimetière. Ces ossements furent pareillement recueillis dans une autre bière déposée dans la cave de la chapelle. On commit donc là une double erreur puisque Molière avait été inhumé au centre du cimetière et que La Fontaine l’avait été dans le cimetière des Innocents.

Les deux bières restèrent abandonnées pendant sept ans. A la démolition de la chapelle (1800), la municipalité de l’ex-3e arrondissement les livra à Alexandre Lenoir qui, persuadé que les corps qu’elles renfermaient étaient ceux de Molière et de La Fontaine, transféra ceux-ci avec soin, le 18 floréal de l’an VII, dans des sarcophages qu’il fit spécialement exécuter pour eux, l’un en thermidor de l’an VII, l’autre en vendémiaire de l’an VIII et qu’il déposa dans une des cours de son Musée des monuments français où ils restèrent jusqu’à la suppression du musée. Lors de celle-ci, les sarcophages furent conduits, le 6 mars 1817, d’abord à Saint-Germain-dès-Près où l’on célébra une messe pour Molière et La Fontaine et, de là, au Père-Lachaise où ils sont encore. En réalité, il ne faut voir en eux que des cénotaphes.

Lorsqu’on érigea, en 1844, la fontaine Molière (cf. r. de Richelieu), on envisagea d’y transporter les restes du poète, mais il ne fut pas donné suite à cette suggestion, car des doutes s’étaient déjà élevés sur l’authenticité des restes.

En 1806, on installa sur les emplacements de ce cimetière et de cette chapelle un marché, dit Saint-Joseph, qui, ouvert tous les jours, vendait des comestibles de toute espèce ; il s’étendait entre les rues Saint-Joseph et du Croissant. Restauré en 1843, il fut démoli en 1882 et remplacé par un immeuble où était l’imprimerie Paul Dupont. Différents journaux (le Radical, l’Aurore, l’Univers, le Jockey, la Partie, la Presse, l’Echo de l’Armée …) y eurent leur siège jusqu’en 1914.

N°146. – Café à l’enseigne A la chope du Croissant, où l’homme politique Jean Jaurès fut assassiné le 31 juillet 1914, à 55 ans (inscription). Le Journal des Voyages, fort célèbre à la fin du XIXe siècle, eut ses bureaux au-dessus.

N°149. – Ancienne brasserie du Coq d’Or, de 1872, disparue en 1957, que fréquentèrent fort les journalistes de la rue du Croissant.

N°156. – Emplacement de la porte Montmartre de l’enceinte de Louis XIII, donc de la troisième porte de ce nom. Cette porte, construite en 1635, fut démolie, comme les portesGaillon et Richelieu en 1700-1701 et remplacée par une grille de fer.

N°162 bis. – Balcon du troisième étage.

N°163. – Vieille maison. Cabaret-concert de la Pie qui chante avant 1914.

N°169 (et 1 bd Montmartre). – Emplacement d’un hôtel de Seigneulay en 1728.

N°170. – Emplacement, à l’angle de la rue d’Uzès, des Magasins de la Ville de Paris, fondés en 1841, l’un des premiers grands magasins de nouveautés du règne de Louis-Philippe.

Son hall était immense. Sa publicité est encore lisible aux différents étages des façades.

N°172. – Emplacement de l’entrée de l’hôtel d’Uzès qui, bâti vers 1767, en remplacement d’un hôtel ayant appartenu au marquis de L’Hospital, gouverneur de Toul, fut l’une des premières constructions de Ledoux. Son portail (démoli en 1853) en forme d’arc de triomphe, était encadré de deux hautes colonnes surmontées de trophées ; il ouvrait sur une avenue intérieure, logue de 80 mètres, que l’hôtel fermait à l’autre extrémité. La façade de cet hôtel était précédée d’un portique saillant formé de quatre colonnes d’ordre colossal ; elle était encadrée par deux ailes où alternaient des statues et des arcades. A l’opposé, une façade de même style, mais plus longue et ornée de six colonnes, donnait sur un vaste jardin s’étendant jusqu’à la rue Saint-Fiacre. Ce splendide hôtel fut attribué aux bureaux des Domaines en 1795, à ceux de l’administration supérieure des Douanes, puis à chaque banque Delessert. Benjamin Delessert y mourut en 1847, à l’âge de 74 ans. Hôtel démoli en 1870 dans un but spéculatif : percement de la rue d’Uzès et lotissement du terrain.

N°178. – Ancienne maison du Petit Journal avant son installation rue Cadet. Imposte de la porte;