L'apprentissage de Maurice Lasalle

à Berlin et Londres, d'octobre 1911 à août 1914.

 

A l’époque, la formation au commerce se fait par l’apprentissage. Maurice effectue une série de stages dans des banques en Allemagne, puis en Angleterre. Il lui faut apprendre la langue de ces pays. Le négoce en vins se fait pour une bonne part à l’exportation (les vins mousseux de Sillery sont réputés jusqu’en Amérique). L’Allemagne et l’Angleterre sont bons clients. Il part pour l’Allemagne, où il est à Berlin dès octobre 1911. Il a alors 16 ans. Il réside chez un particulier, Monsieur Riese, non loin de la porte de Brandebourg et du Reichstag. Il a l’intention d’apprendre l’allemand très vite. Le 12 octobre il écrit à ses parents qu’il compte changer de banque : dans celle où il travaille, on y parle trop français. Il voyage beaucoup. Parmi les courriers adressés à ses amis à cette époque se trouve une carte postée d'Helsingborg en Suède. En mai 1912, ses parents lui rendent visite à Berlin. En août, il rentre à Sillery pour un séjour d’un mois. Il en profite pour revoir amis et famille. Après deux années il quitte l’Allemagne.

Fin 1913 il est à Londres où il travaille et continue d’étudier. Il a alors 18 ans. Il loge dans une pension, au nord de Londres, avec d'autres étudiants. Peu avant Noël, un jeune Allemand, parmi les pensionnaires, reçoit un colis de sa famille. Ils sont tous invités à partager les victuailles. On fait des photos. Sur la table, au milieu de la bande de fêtards, trônent des bouteilles de Stout. L’ambiance est à la franche rigolade. Il règne une bonne entente entre ces étudiants d’Europe du Nord qui passent ensemble un joyeux Noël en cette fin d’année 1913. Ils sont jeunes, pleins d'avenir, heureux de vivre dans une Europe en paix.

Une des dernières cartes postales envoyées de Londres par Maurice Lasalle à sa famille est datée du 4 juin 1914. L’attentat de Sarajevo aura lieu trois semaines plus tard, le 28 juin. La mobilisation met fin à son apprentissage. Maurice est incorporé dans l’armée française en novembre 1914.

Carte postale de Dinant (Belgique) envoyée par Maurice Lasalle, 15 ans, le 7 juin 1911, à Gaston Chardonnet, 15 ans, qui habite avec sa mère Estella Boudville, veuve de Florentin Chardonnet, chez les parents d'Estella à Prunay.1
Maurice est ami avec la famille Chardonnet. La mère de Maurice, Mathilde Henrion, est originaire de Prunay où ses parents sont cultivateurs.
 
1 Sur le recensement des habitants de la commune de Prunay en 1896, Chardonnet Florentin, 25 ans, cultivateur, est marié à Estella Boudville, 23 ans. Leur fils Gaston est âgé de 3 mois. Sur le recensement de 1901, Estella, 28 ans, et son fils Gaston, 5 ans, habitent chez les parents d'Estella : Edmond Boudville, né en 1842, 59 ans, patron meunier et Céleste Marteau, née en 1844 à Tauxières, 56 ans, sa femme. Florentin, le père de Gaston, est décédé. Sur le recensement de1906, Estella et son fils Gaston habitent toujours chez les parents d'Estella à Prunay.

Maurice LASALLE à Berlin à partir d'octobre 1911

Carte postale de Berlin envoyée le 12 octobre 1911 par Maurice Lasalle, 16 ans, logé depuis peu chez Monsieur P. Riese, 17 Neustädtische Kirchstrasse, Berlin N.W.7, à Madame Estella Boudville, veuve Chardonnet et son fils Gaston, 16 ans. Eux-mêmes viennent de quitter Prunay où ils résidaient chez les parents d'Estella, pour s'installer au 168, rue de Vesle à Reims.

Berlin, le 12 octobre 1911

 

 

 

« Chers amis,

 

Nous voici tous installés, vous à Reims et moi à Berlin, chose que nous n'aurions pas crue si on nous l'avait dit il y a 4 ou 5 ans. J'espère que vous vous plaisez bien dans votre nouvelle résidence. Moi, je crois que je vais quitter la banque où je travaille parce qu'on y parle trop français et je vais être probablement quelque temps sans place. Gaston doit avoir maintenant terminé son apprentissage, mais être quand même resté chez son patron. Je n'ai pas encore donné beaucoup de nouvelles à part chez nous c'est que d'abord le temps manque et que le soir on est fatigué. Quand vous écrirez chez mon cousin Edmond, vous voudrez bien leur faire des amitiés de ma part. La ville est assez belle ici mais est loin de valoir Paris, mais les rues sont plus propres. Il n'y a qu'une belle rue qui ne vaut pas les promenades de Reims, la foule à part. Si vous me répondez, mettez des timbres assez pour que je ne paie pas de surtaxe, ce qui est déjà arrivé. Je souhaite que vous soyez en bonne santé et je vous quitte en vous embrassant de tout mon cœur.

 

  1. Lasalle

chez M. P. Riese – 17 Neustädtische Kirchstr.

Berlin N.W.7 Allemagne »

 

 

Carte postale de la Nationalgalerie de Berlin envoyée le 7 mars 1912 par Maurice Lasalle,

à ses amis Estella et Gaston Chardonnet (son fils).

 

 

 

Carte postale de Helsingborg (Suède), envoyée par Maurice.

La date semble être le 13 mai 1912.

 

 

Carte postale envoyée le 24 mai 1912 de Berlin où les parents de Maurice lui rendent visite.

La carte est signée de sa mère Mathilde, de son père Henri et de lui même.

 

 

Carte postale de Frankfurt-am-Main envoyée par Henri Lasalle le 28 mai 1912 ,

sans doute lors du retour de Berlin.

 

 

Carte postale envoyée le 4 août 1912 de Berlin par Maurice Lasalle à ses amis Chardonnet.

Il y annonce son arrivée en France dans huit jours pour un séjour d'un mois.

Maurice Lasalle à Londres, années 1913-1914

 

 

Carte postale envoyée de Londres par Maurice Lasalle, le 30 décembre 1913, à Estella Boudville, veuve Chardonnet et son fils Gaston à Reims.

Maurice et ses camarades à la pension d'Highbury Grove à Londres

 

Voici trois photographies, présentées en cartes postales, envoyées de Londres par Robert Gross à ses parents, M. et Mme Gross, 43 Place Luton à Reims. Robert travaille chez Weiss & Biheller et réside dans la même pension que Maurice Lasalle au 31 Highbury Grove dans le nord de Londres. Ils y vivent avec d'autres résidents, tous jeunes étudiants ou stagiaires. Les photographies montrent des moments de la vie des jeunes pensionnaires. Parmi eux : Maurice Lasalle, Robert Gross (non identifié) et un jeune Allemand.

 

Photographie prise le 18 décembre 1913 - les huit pensionnaires portent un toast face au jeune Allemand qui a partagé son colis. Des bouteilles de Stout sont sur la table. Maurice Lasalle, 18 ans, est debout, à l'arrière-plan, juste devant le cadre au mur.

Cette carte postale a été écrite le mardi 30 décembre au soir

et envoyée le mercredi 31 décembre 1913 par Robert Gross à ses parents.

 

 

 

(cachet anglais) LONDON.N DEC 31 13 (mercredi) – (cachet français) Reims 1-14

Londres mardi soir

Chers parents,

 

Je vous écrivais dimanche. J'ai reçu hier soir le colis annoncé. Je n'ai rien payé pour douane mais le paquet a été ouvert. Malgré cela rien ne manquait.

Veuillez me donner 3 adresses, M. Schreiber, M. Blachère et M. Citreux : elles me manquent.

Depuis 2 jours froid de loup ici. Je vous envoie photo faite il y a une quinzaine au magnésium, un soir où nous avons mangé de la saucisse reçue par un Allemand et bu de la bière.

Je vous embrasse très fort

Robert

Photographie prise le 24 décembre 1913 et envoyée par Robert Gross à ses parents le 5 janvier 1914. Les pensionnaires prennent la pose en jeunes gens de bonnes familles.

Maurice Lasalle est accroupi à droite sur la photo, devant le fût de bière.

A gauche sur la photographie, à son côté, se trouve peut-être le jeune Allemand.

 

 

(cachet anglais) LONDON.N JAN 5 – (cachet français) REIMS 6 – 1 – 14

 

Lundi 5.1.14 Chers parents,

 

Je venais de vous écrire le 30 décembre, vous demandant 3 adresses lorsque je reçus une carte de papa. J'ai aussi reçu le journal. Samedi dernier tous les employés ont encore été payés comme d'habitude. Biheller1 est absent en Allemagne. Je crois que Weiss l'attend pour donner les augmentations, mais moi je ne l'ai pas attendu : j'ai été trouver Weiss, lui ai rappelé notre entretien et demandé s'il était disposé ou non à me donner plus. Là-dessus il m'a fait envoyer le caissier et un quart-d'heure après, celui-ci m'a remis 5 shillings me disant que maintenant j'aurai 35 shillings soit 150 par mois. J'ai été trouver Weiss et l'ai remercié. « All right, hat er geantwortet.2 Si je ne m'étais pas remué je n'aurais rien eu car avec cette race là, il faut leur tirer tout du nez. J'ai reçu pas mal de nouvelles ces jours derniers en réponse à mes cartes de visite, entre autres lettres, Argançon, Léon Darsonval, Herlisheim, Latz, Morrot, Dupont, J. Duriez. J'ai vu Bégoud samedi, je vais chez lui demain soir. Je vous envoie photo au magnésium prise la veille de Noël. Nous avons du mauvais temps changeant, le matin pluie à torrents, soir gelée. De cette façon j'ai attrapé un rhume de cerveau. J'enverrai cette carte demain matin.

 

1 Weiss & Biheller est une entreprise de fabrication de chandeliers en activité ininterrompue depuis le XIXe siècle.

Aubrey Sanford, commercial de l'entreprise qui voyageait à travers l'Europe pour ses employeurs, s'installa à New-York en 1913 pour représenter sa maison. Il racheta la firme peu de temps après.

Robert Gross semble avoir été en contact, fin 1913/début 1914, avec les fondateurs de l'entreprise dans leurs bureaux de Londres. Dans sa correspondance, il fait référence à Weiss qui attend Biheller, alors en voyage en Allemagne.

Adresse actuelle : Weiss & Biheller, 440 Nepperhan Avenue, Yonkers NY 10701

 

2 C'est bon, a-t-il répondu.

Photographie prise le 18 décembre 1913 -

les pensionnaires dans la chambre de Maurice Lasalle, malade.

Carte postale envoyée le 24 janvier 1914 par Robert Gross à ses parents.

 

 

« (cachet anglais) HOLLOWAY. N 26 JAN – (cachet français) REIMS 27 - 1 – 14

Londres samedi 24.1.14 Chers parents,

J'ai reçu tout à l'heure, en rentrant du bureau, la lettre de papa avec extrait de mon compte courant. Il fait très froid ici depuis quelques jours et surtout aujourd'hui. Les Anglais n'avaient pas eu cela depuis longtemps je crois. A part cela, je vais assez bien, seulement un peu enrhumé mais il n'y a rien de bizarre avec ces changements fréquents de températures. J'ai reçu des nouvelles de Morrot puis de Piper et beaucoup de cartes de visite en réponse aux miennes. De Félix j'ai reçu aussi une lettre et je vais lui répondre. De Marcel rien. A-t-il été augmenté ? Au bureau j'ai toujours beaucoup à faire mais je préfère cela, le temps passe plus vite. Je vous envoie une autre photo faite ici au magnésium, dans la chambre de l'un des pensionnaires. J'ai cassé la plaque dimanche dernier, elle est tombée de la table. Dans l'attente de vos nouvelles, je vous embrasse affectueusement.

Et la lolotte ?

Robert »

Commentaires sur la correspondance de Robert Gross à ses parents.

Ces trois photographies, éditées en cartes postales, ont été prises fin décembre 1913 dans la pension d'Highbury Grove avec un flash au magnésium. Ces cartes postales proviennent des archives de M. Jean-Marie Loret, neveu de Maurice Lasalle.

Il semblerait qu'après la mort au combat de Maurice Lasalle, le 26 septembre 1915, les parents de Robert Gross aient donné aux parents Lasalle ces photographies qu'ils ne possédaient pas. Maurice, alors âgé de18 ans ne leur avait pas envoyées. Il ne voulait peut-être pas montrer à sa mère ces moments de détente étudiante où l'on buvait beaucoup de bière. Ses parents n'ont vraisemblablement découvert ces moments de la vie de leur fils qu'après sa mort.

Les textes au dos des photographies avaient été recouverts par la famille Gross d'un feuillet collé. Ils ne voulaient pas gêner les parents Lasalle par le contenu d'un courrier qui ne leur était pas adressé. Avec l'autorisation de Jean-Marie Loret, il a été procédé au décollement de ces feuillets par vapeur d'eau. L'opération n'a pas endommagé les documents et a permis de découvrir ce qui était masqué. Un siècle plus tard, ces cartes sont une source de renseignements sur le temps d'apprentissage de Maurice, à l'étranger.

Nota - Robert Gross ne figure pas sur le site de Mémoire des Hommes.

 

 

Carte postale de Londres adressée à la famille Chardonnet, datée du 4 juin 1914,

signée de Maurice Lasalle et de son père Henri

en visite à Londres chez son fils.

 

 

Carte postale envoyée à Maurice Lasalle le 21 septembre 1915 par Auguste Péron, depuis l'hôpital auxiliaire n° 252, 56 Boulevard des Invalides à Paris,

cinq jours avant que Maurice ne tombe à l'ennemi.

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