Châlons, mardi 26 septembre 1916. 10 heures le matin

Mon cher Henri,

Quoique ce ne soit pas le jour de t'écrire, il me semble qu'à cette date si terrible pour nous, je veux t'envoyer quelques mots que peut-être je ne t'adresserai que demain ; le voilà donc arrivé ce jour d'anniversaire brillant et beau, comme s'il ne rappelait pas pour tant de coeurs des deuils cruels et inoubliables. A pareille heure, l'an dernier, notre Maurice sans doute vivait encore ; peut être était-il plein d'espoir et s'apprêtait- il à nous l'écrire. Et quelques instants ou quelques heures après, il tombait foudroyé ; pauvre petit si doux, si aimant, si simple, la dure vie n'a fait que l'effleurer, pourquoi ne savons nous pas nous dire que son sort est le meilleur ; qu'il ne connaîtra plus rien des misères et des laideurs de la terre ; c'est nous surtout que nous pleurons ; c'est pour nous que nous le voulions et c'est si naturel ; redressons nous sous l'épreuve, soyons fiers de lui toujours et quand même, c'était

 

un fils modèle ; il a passé en faisant le bien et son souvenir au fond de nos cœurs, aura malgré des regrets cruels une douceur inaltérable.

Hier j'ai reçu une bonne lettre de Maurice Georgen qui n'oublie pas les dates tu la liras samedi avec plaisir ; ce matin Stella m'a envoyé une carte me souhaitant bon courage. Hier soir j'ai eu enfin des nouvelles de Madame Viaud, je t'envoie sa lettre à laquelle je viens de répondre tout de suite, ces pauvres femmes sont bien déçues et puis l'envoi du colis les contrarie ; il va être perdu peut-être. Ce matin à 7 heures nous sommes allés à la messe ainsi que les tantes ; après midi, je retournerai un peu à l'église, je prierai de tout mon cœur pour tous nos pauvres morts. Il y a 43 ans à pareil jour, mon pauvre papa pleurait le meilleur des pères et moi aujourd'hui je pleure le meilleur des fils.

11 heures

On dit ce matin que le second fils Rafflin est tué dans la Somme, sa pauvre mère n'a plus de nouvelles et il paraît que cela ne fait pas de doutes. Quel malheur encore pour cette pauvre femme ! Monsieur Dusigne vient d'entrer chez mon oncle et nous a montré une petite photo de notre maison à Prunay ; elle paraît dans un état lamentable et on ne la reconnaît qu'à cause du voisinage qui semble moins atteint. Monsieur Dusigne t'envoie le bonjour, son fils va mieux le père Sénéchal est malade, sa femme est encore là.

Je te quitte en attendant un peu plus tard ; après midi je répondrai à la tante Marie et à Madame Georgen.

Bon courage.

6 h et demi. Voilà la journée qui se passe, j'ai écrit mes 2 lettres, puis avec un peu de travail et ma station à l'Eglise, elle n'a pas été trop difficile. Pourtant je me sens le cœur gros en songeant à ce que j'éprouvais l'an dernier à pareille heure ; quelle appréhension et quelle émotion ! pourtant c'était encore du bonheur puisque c'était encore mélangé de tant d’espoir !

Je te quitte et terminerai seulement demain ; peut-être ai-je tort et l'attends-tu avant. Tu as oublié ton bonnet et cela t'aura contrarié, j'espère que tu auras pu y parer.
J'ai vu sur les nécrologies de l'Echo, la mort du fils Lenoir tué à 25 ans (fils du Député). Bonsoir

- Mercredi 5 h et demi

Mon cher Henri, j'ai reçu ta lettre ce matin sans surprise ; il me semblait bien que tu m'avais écrit hier et tu as dû compter sur la mienne aujourd'hui : tu vois que j'ai eu la même pensée que toi ; l'arrive en retard pour essayer de t'en dire plus. Je suis heureuse que tu sois allé à la messe hier et

je te prie de remercier pour moi Madame COCHET qui a eu la bonté de t'accompagner. Fais tout ton possible pour venir dimanche ; je serai bien contrariée si tu ne venais pas, d'autant plus qu'il y a une cérémonie. J'espère que tu arriveras à te mettre en règle. J'ai reçu ce matin le colis de Madame VIAUD et lui ai récrit une seconde fois ; c'est un tableau en verre gravé où se trouve un drapeau et une branche verte avec l'inscription au-dessus : "A un héros". Je l'ai bien remerciée et lui ai dit que nous le porterions au prochain voyage.

Voilà un boche au-dessus de CHALONS en ce moment, on le canonne fortement.

La famille SUVIOT vient ces jours ci, pense à la machine (mon oncle l'a dit aussi). Je termine vite car Madame VASSILLIER est venue passer la journée avec nous et je vais la reconduire. J'aurais voulu encore t'écrire, mais il se fait tard, il a fallu que j'aille promener les enfants.

Nous t'embrassons. Mathilde.

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