DE LENFANT DE SILLERY AU NOUVEAU COSMOPOLITE (1895- 1914)

Grâce à Jean-Marie Loret, descendant de la famille Lasalle et habitant toujours Sillery, nous pouvons retracer la vie de Maurice Lasalle avant son engagement dans la Grande Guerre. De fait, l’accès à ces sources privées nous renseigne sur ses nombreuses activités malgré son jeune âge. Maurice Lasalle est né le 16 août 1895 à Sillery. Le recensement de population effectué en 1911 l’identifie comme un « enfant », étant alors âgé de 16 ans. Il a les cheveux châtain clair, le visage ovale et mesure 1,72 m (en décembre 1914) d’après la description présente dans sa fiche matricule. Il est le fils de Henri Lasalle (1867 – 1945), vigneron, tonnelier puis négociant en vin à Sillery, et de Mathilde Henrion (1874 – 1958), fille de cultivateurs de Prunay (Marne).  Ils se sont mariés le 7 juillet 1894 à Prunay (Marne). Adèle Henriette Mathilde Henrion, 26 ans, était alors décrite comme "sans profession" et demeurait à Prunay, tandis que Charles Henri Lasalle, également âgé de 26 ans et demeurant à Sillery, exerçait la profession de tonnelier. Sa sœur, Reine-Marie, est née le 6 janvier 1903.

Dans le Sillery de 1911, il y a au total 620 habitants, répartis en 171 ménages dans 129 maisons. Les tranches d’âge témoignent d’une forte proportion d’enfants (de 1 à 19 ans) dont fait partie Maurice :

 

 

 

Nés au cours des années

1910 à 1911

12

1891 à 1909 (1 an à 19 ans)

230

1871 à 1890 (20 ans à 39 ans)

160

1851 à 1870 (40 à 59 ans)

153

1850 et antérieurement (60 ans et plus)

65

Total

620

Les Lasalle constituent une famille établie à Sillery depuis plusieurs générations. Henri Lasalle, le père de Maurice, vivait chez ses parents au n° 29 de l’actuelle rue du Canada.  Une fois marié, Henri s’installa avec son épouse Mathilde dans un logement situé route de Châlons, un peu plus loin que celui où résidaient ses parents. Il était voisin de la famille Trousset. C’est là que naquit Maurice en 1895. La famille est apparaît alors dans le recensement de 1896. Quelques années plus tard, en 1901, toujours à Sillery, Henri et Mathilde achetèrent une habitation située rue Fortel. Ils sont toutefois relevé à leur ancien adresse lors d'un recensement effectué durant l'année 1901. Leur nouvelle demeure comprend les deux maisons à droite, dont les pentes du toit sont tournées vers la rue sur la carte postale ci-contre :

 

Carte postale : « SILLERY – Hôtel de la Marine » (Coll. Claude Poinsenet)

Cette carte postale montre l’actuelle rue du Petit-Sillery vers 1910, se trouvant juste avant la montée du pont métallique du canal. Cette partie du village fut construite vers la fin du XIXe siècle. Ainsi, les matériaux de construction étaient de meilleure facture que ceux de l’ancien village. L’Hôtel de la Marine (comprenant un café) était très fréquenté par les mariniers et conducteurs de chevaux du chemin de halage. Maurice passa ainsi son enfance et son adolescence à cet endroit. À proximité du canal, il dut entendre ces hommes de passage tracter leurs bateaux à cheval, parlant notamment le flamand, l’allemand ou divers patois du nord de la France.

Groupe de trois photographies de Maurice Lasalle (Archives familiales de Jean-Marie Loret)

Ces trois photographies, malheureusement non datées, montrent Maurice Lasalle enfant, à gauche (environ 5 ans) et au centre (environ 8 ans), puis adolescent (environ 14 ans). Sur la photographie se trouvant au centre figurent ses parents, sa sœur n’étant probablement pas encore née. Nous pouvons dès lors affirmer que la famille Lasalle était relativement aisée, car elle avait de fait l’occasion de se faire photographier. Maurice fréquenta l’école communale. Toutefois, nous manquons d’informations dans la période comprise entre les dénombrements de population de 1906 à 1911. C’est probablement durant ce cours laps de temps, marquant le passage de l’enfance à l’adolescence pour Maurice, que Henri Lasalle établit son négoce en vin. De fait, le père changea de statut professionnel d’après les recensements (de tonnelier à négociant en vin), offrant à son fils et à lui-même des projets professionnels de plus grande envergure. La famille Lasalle était alors, depuis plusieurs générations, constituée de tonneliers. A ce titre, Henri est déclaré comme tonnelier sur le recensement de 1906 et sur celui de 1911 il est déclaré négociant. À l’image de certaines maisons de champagne ayant des vignes implantées à Sillery, à l’instar de la maison de champagne Jacquesson, Henri Lasalle créa la maison Lasalle-Henrion. De fait, le terroir de Sillery, situé en partie sur la montagne de Reims, jouit d’un certain prestige. Ainsi, Henri Lasalle avait déjà préparé des étiquettes de Champagne ainsi que des cartes de représentants afin de mener à bien son négoce en vin mousseux :

Étiquette de Champagne Lasalle-Henrion et carte vierge des représentants de la « maison »

Il est très probable que Maurice Lasalle travaillait à la culture de la vigne pour se faire quelque argent de poche pendant son adolescence. Toutefois, la famille Lasalle n'était pas propriétaire de vignes. La formation au commerce se faisait alors par beaucoup de pratique et le négoce en vin était une activité liée à l’exportation, avec une clientèle étrangère (États-Unis, Allemagne, Angleterre) friande des vins mousseux. Maurice, bon élève et doué, prolongea l’effort de son père en entreprenant des études dans le milieu de la vente. Ainsi, d’après Maurice Loret, il fit ses études dans une école de commerce rémoise avant d’effectuer une série de stages à l’étranger. Toutefois, nous ne disposons d’aucune information concernant l’école fréquentée à Reims. Maurice Loret affirme qu’il put obtenir des « bourses » pour séjourner hors de France. Ces années passées à l’étranger servirent à apprendre les langues anglaise et allemande en vue de pouvoir dialoguer avec une clientèle anglophone et germanophone.

Ainsi, nous retrouvons Maurice Lasalle à Berlin, dès le mois d’octobre 1911. Alors âgé de seize ans, il réside chez un particulier, un certain P. Riese, au 17 Neustädtische Kirchstraße. En plein centre de Berlin, à proximité de la porte de Brandebourg (actuel quartier du Mitte). Dans la lettre de Maurice Lasalle envoyée le 12 octobre 1911, ce dernier donne son ressenti à propos de la ville allemande : « Je crois que je vais quitter la banque où je travaille parce qu’on y parle trop français et je vais être probablement quelque temps sans place ». Dès lors, nous connaissons son activité et le but de ce séjour : travailler dans le milieu bancaire et apprendre la langue de Goethe rapidement. Dans cette même lettre, il donne son avis sur la ville : « [...] La ville est assez belle ici, mais est loin de valoir Paris, mais les rues sont plus propres. Il n’y a qu’une belle rue qui ne vaut pas les promenades de Reims, la foule à part. » Maurice resta environ une année à Berlin, son père et sa mère lui rendirent visite au mois de mai 1912. De fait, Henri Lasalle envoya deux cartes postales, l’une le 24 mai de Berlin et la seconde le 28 mai de Francfort. Au milieu du mois d’août 1912, Maurice rentre à Sillery pour un mois. Nous ne savons pas s’il revint à Berlin par la suite.

Maurice Lasalle est en Angleterre à partir du mois de décembre 1913. Âgé de 18 ans, il était pensionnaire à la Highbury Grove School. Cette école est située, comme son nom l’indique, dans le quartier de Highbury (étendu sur 2 kilomètres carrés), lui-même appartenant à la subdivision administrative londonienne de Islington. Le développement de ce quartier se fit en deux temps : par l’érection de villas italianisantes jusque dans les années 1870 au sud puis par la construction de maisons alignées au nord jusqu’en 1918 environ. Nous disposons de quatre courriers envoyés avec photographies à la fin de l’année 1913 par Robert Gross à ses parents rémois. Robert était un camarade de Maurice, complice d’une vie londonienne trépidante. À l’aube de l’année 1914, l’heure est aux festivités :

Lettre de Robert Gross à ses parents, envoyée le 30 décembre 1913, photographie datée du 18 décembre 1913 (Coll. Jean-Marie Loret).

Sur la photographie ci-dessus, nous reconnaissons Maurice Lasalle, dorénavant moustachu et souriant. Il se trouve ici au centre, au fond de la pièce en compagnie de ses camarades. Robert Gross, probablement présent sur ce cliché, mais dont nous ignorons l’apparence, envoie à ses parents une « photo prise il y a une quinzaine au magnésium, un soir où nous avons mangé de la saucisse reçue par un allemand, et bu de la bière ». Deux bouteilles de bière Stout sont à ce titre mises en évidence. Malgré un cadre et un code vestimentaire soignés, l’ambiance semble extrêmement détendue, un autre cliché vient confirmer cette atmosphère d’euphorie :

Lettre de Robert Gross à ses parents, envoyée le 15 janvier 1914, photographie datée du 14 décembre 1913 (Coll. Jean-Marie Loret).

Cette photographie ci-dessus prise six jours plus tard ne change ni de cadre ni de protagonistes : les sept étudiants en commerce ont tous un verre à la main. Seuls deux d’entre eux fixent l’objectif : au centre de la photographie, nous trouvons Maurice Lasalle, verre portée de la main droite, devant le fût de bière sur lequel un camarade est assis. Toujours aussi insouciante, la bande d’étudiants semble avoir toutefois soigné la pose pour cette photographie.

Figure 31 : Lettre envoyée par Robert Gross le 24 janvier 1914, joint d’une photographie datée du 26 décembre 1913 (Coll. Jean-Marie Loret).

Sur cette photographie figurent huit personnes. Maurice Lasalle est alité, ses camarades étant à son chevet, toujours avec un air joyeux. D’après les mots de Robert Gross, il semblerait que les étudiants fussent victimes de rhumes fréquents à cause du froid. Il indique également : « Je vous envoie une autre photo prise ici au magnésium dans la chambre d’un des pensionnaires ». Il s’agirait ainsi de la chambre de Maurice Lasalle, et le magnésium étant le procédé photographique pour immortaliser l’instant.

La dernière lettre de Maurice Lasalle envoyée de Londres date du 4 juin 1914. Rien ne présupposait que, quelques semaines plus tard, le 28 juin, l’assassinat d’un archiduc austro- hongrois l’engagerait dans un conflit mondial. D’après Maurice Loret, Maurice Lasalle, resté à Londres au moment de la déclaration de guerre du 3 août 1914, aurait manifesté auprès de ses parents l’envie de s’engager dans l’armée britannique lui offrant un poste d’interprète : preuve que ses séjours linguistiques furent utiles. Toutefois, il semblerait qu’il en fut dissuadé par ses parents qui lui conseillèrent de revenir en France : sans doute estimaient-ils que son devoir fût de servir dans l’armée française. Quel fut donc le parcours de Maurice Lasalle de retour dans son pays natal, après avoir passé plusieurs années à l’étranger, en Allemagne et en Angleterre ?

Lettre de Maurice Lasalle envoyée à la famille Gross datant du 30 décembre 1913, de même pour la photographie. Il s’agit du dernier cliché de Maurice Lasalle avant son engagement dans le conflit (Coll. Jean-Marie Loret).

Sources :

Archives Départementales de la Marne – Dénombrement de population de 1911, Sillery (Canton de Verzy) – 122 M 349

Archives Départementales de la Marne – Série 1 R 1413 – Matricule n°467 au bureau de recrutement de Reims. 

Archives familiales Lasalle-Loret

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