14h00 — Les allemands nous lancent cette fois une bombe ; nouveau combat à coups de pétards.

16h00 — Une mine saute à nouveau. Longue fusillade à la suite.

20h00 — Le calme est presque complet ; quelques coups de fusil seulement.

20h30 — Je suis au créneau. Un coup formidable retentit, puis suit une avalanche de terre ; je m’abrite dans une petite niche ; un morceau de terre me tombe sur l’épaule, je me soulève et me trouve projeté à terre ; je me relève, vais chercher un sac de pétards, puis, revenu à ma place, j’amorce les pétards que mon voisin lance sur les tranchées allemandes. Croyant que le coup de mine serait suivi d’une attaque, notre 75 commence à donner et arrose copieusement d’obus la tranchée allemande.

La nuit étant venue, des fusées jaillissent de tous côtés pour éclairer le théâtre de la lutte.

21h00 — Le combat continue, acharné, à coups de bombes et de pétards ; nul ne sort des tranchées ; les allemands sont à six ou huit mètres de nous.

21h15 — Le feu de l’artillerie a cessé, celui de l’infanterie ralentit. 21h30 — Le calme est revenu ; des fusées éclairent toujours.

24h00 — Tout est calme ; un homme surveille.

Mercredi 2 juin 1915

6h00 — La nuit a été assez calme après l’affaire de 21h. La fusillade est assez vive, comme tous les jours, d’ailleurs, au lever du jour.

6h30 — Les allemands nous jettent des bombes, nous répondons par des pétards. Ils réussissent à abattre un pan de mur de sacs de terre, mais ils ne peuvent sortir de la tranchée.

7h00 — Le mur est reconstruit rapidement,

bien qu’une violente fusillade soit dirigée sur ceux qui travaillent et qui se dissimulent tant bien que mal.

7h30 — Une autre compagnie vient nous relever ; sans bruit. Pour ne pas attirer l’attention des allemands, nous défilons vers la deuxième ligne ; pourtant les bombes et grenades lancées

par les allemands ne tardent pas à pleuvoir sur nos remplaçants ; nous nous baissons machinalement pour éviter les éclats.

8h00 — Enfin nous sommes installés en seconde ligne, à l’abri des bombes et grenades ; mais il y a encore le « crapouillot », une sorte de torpille aérienne, qui nous menace. Je me suis trouvé un abri tant bien que mal, où je pourrai me reposer dans une très mauvaise position ; bref, il n’y a pas grand choix.

9h00 — Un premier « crapouillot » s’abat à quelque deux cents mètres de nous ; nous sommes avertis

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par un coup de sifflet d’un veilleur désigné dans chaque escouade. Plusieurs suivent, et chaque fois c’est la fuite vers un endroit à l’abri.

9h30 — La terre tremble deux secondes, puis une immense colonne de fumée et de terre s’élève en l’air pour retomber aussitôt, et on se cache comme on peut pour ne pas recevoir un bloc de terre sur le dos. Tout cela énerve considérablement et coupe l’appétit.

12h00 — Tranquillité relative ; chacun en profite pour dormir et se reposer.

15h00 — Nouvelle et courte alerte de « crapouillots ».

Nuit — Nuit calme ; nous couchons à même sur le sol qui n’est ni plat, ni sec ; et puis nous sommes tout équipés, prêts à voler au secours de la première ligne. On fait de petits sommes et on s’éveille plus fatigué que la veille.

Jeudi 3 juin 1915

5h00 — Nous sommes déjà éveillés par un bombardement matinal ; nous devons aller en première ligne à 6h.

6h00 — Nous irons seulement en première ligne après la soupe. Allons, quelques heures de répit encore !

8h00 — Quelques bombes, sans effet sur nous ; toujours ces « crapouillots » que l’on voit arriver et que l’on évite à tout prix.

10h00 — La soupe est mangée, nous passons en première ligne ; ce n’est plus tout-à-fait le même secteur ; je suis mieux placé que la première fois.

12h00 — Violent combat à ma gauche, avec grenades et « boites à singe ».

14h00 — Je remonte le boyau et passe par-

dessus une civière ; tout d’abord je ne distingue pas, puis m’étant retourné, je vois bien que je suis passé sur le corps difforme d’un soldat qui vient d’être haché par une machine infernale. Il a les jambes et la poitrine tailladées et les traits méconnaissables ; des mouches charbonneuses l’ont déjà envahi.

15h00 — Le calme est presque complet. Allons-nous être attaqués ce soir ?

20h00 — Contrairement à notre attente, mais avec plaisir, nous constatons que l’ennemi se tient tranquille. La nuit sera calme.

Vendredi 4 juin 1915

4h00 — Suis éveillé par un camarade, cependant rien de nouveau. Nous comptons sur la

relève à 6h.

6h00 — Le bruit court que nous ne serons relevés que ce soir. Depuis quelques heures, un allemand a repéré mon créneau et tire dessus continuellement ; les balles frappent sur l’acier, donnant un son agaçant qui m’énerve.

8h00 — Enfin nous sommes relevés, et à vive allure nous suivons le boyau de communication qui conduit en réserve à l’arrière.

8h30 — Arrivons à Beaumanoir, en arrière.

10h00 — Mangeons la soupe à Beaumanoir, puis repos sur l’herbe, sous les arbres, près des gourbis.

12h00 — Sommes toujours ici. Paraît que

que nous allons au repos à Ronchamps, ce soir à 18h. C’est là déjà que nous étions au repos il y a quatre jours. Le bruit court que nous changeons de secteur.

18h00 — Sommes prêts à partir, mais le signal n’est pas donné.

18h45 — Nous partons pour Ronchamps. Des brancardiers emportent un cadavre. Il fait une forte poussière qui coupe la respiration.

19h30 — Arrivons à Vienne-le-Château, faisons halte un instant ; corvée d’eau commandée ; cette eau malheureusement sent le permanganate qu’on y ajoute pour la stériliser. Si seulement on pouvait avoir un quart d’eau bien fraîche !

19h45 — Nous reprenons notre marche et atteignons Ronchamps à la nuit.

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20h30 — Nous sommes réinstallés et sommes bientôt tous étendus sur la paille.

Samedi 5 juin 1915

6h00 – Réveil ; nous sommes plus heureux que d’habitude ; ce n’est plus le sifflement des balles et l’éclatement des obus comme les jours précédents, mais un calme reposant et complet. La journée passera sans incident.

21h00 — Je me suis couché et sommeille depuis un instant quand je suis réveillé par un bombardement intense. Nos canons, dissimulés dans un bois non loin de l’endroit où nous

sommes, tirent sans arrêt. Les allemands ont tenté d’attaquer, sans doute ; c’est peut-être le contrecoup de la reprise de [illisible] que nous venons d’apprendre avec stupeur.

Dimanche 6 juin 1915

8h00 — Est-ce aujourd’hui que nous partons ? Non, demain nous changeons de secteur. Une corvée de ravitaillement part à Florent, je commande du lait condensé avec lequel nous espérons pouvoir faire le lendemain du chocolat au lait.

10h00 — Je me sens fatigué aujourd’hui, c’est un reste de l’énervement des trois jours passés au feu. De plus, j’ai une forte diarrhée.

12h00 — Le journal arrive, on se l’arrache, on le parcourt avidement, mais toujours ces articles

monotones qui nous intéressent peu ou point. La question à l’ordre du jour est de savoir si les russes pourront se maintenir sur la défensive et arrêter la marche du flot austro-allemand. Chacun se demande quand et comment se terminera la guerre ? Tous donnent leur avis, nul ne sait une réponse plausible. Le fait est que rien ne laisse prévoir une fin prochaine, bien au contraire, mais voilà l’époque des grandes chaleurs et nous en souffrirons autant que du froid.

17h00 — La corvée rentre et me rapporte ce que j’avais demandé.

19h00 — Je vais assister à un petit match de football entre fantassins et artilleurs. Ces artilleurs sont vraiment heureux et n’ont que peu à craindre, ils le disent eux-mêmes.

Lundi 7 juin 1915

5h00 – Réveil ; cette fois encore, je me trouve fatigué. Il doit y avoir revue dans la journée. Départ à 16h.

6h00 — Nous allons à quatre choisir un emplacement sous bois, où installer notre feu pour faire le chocolat ; chacun y met du sien et après une demi-heure, nous avons chacun un litre de chocolat au lait très appétissant et qui nous rappelle un instant

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