4h00 — L’ordre arrive de former les faisceaux et d’attendre. L’ordre de départ n’est pas arrivé. Les bruits les plus divers courent, comme d’habitude ; celui qui est le plus écouté est qu’hier le ballon d’observation a annoncé l’arrivée en auto d’une brigade allemande sur le front. En cas d’attaque, nous devons nous tenir prêts.

5h00 — Le Commandant passe et ordonne de se déséquiper, mais de se tenir toujours prêts à un départ prochain. Je m’assieds sur une borne ; à part nous autres qui sommes là, personne dans les rues. Les postes, l’Etat-major, le ravitaillement, tous les services militaires enfin, sont fermés et j’envie le bonheur des mobilisés qui, à cette heure matinale dorment encore bien tranquilles, dans un lit, derrière les volets clos.

6h00 — Pas de changement. Toutefois quelques fenêtres s’ouvrent et laissent voir des figures ensommeillées encore d’officiers d’administration.

7h00 — J’entre au cantonnement puis m’étends sur la paille en vue de dormir un peu, si possible.

9h00 — L’ordre est donné de rentrer sacs et fusils. L’alerte est passée ; nous rentrons, heureux d’en être quittes avec seulement trois heures de sommeil en moins.

11h00 — Soupe. Chaleur très forte.

15h00 — L’après-midi se passe comme hier, à rêvasser.


19h00 — Sieste sur l’herbe, autour d’un gâteau, en attendant la nuit.

21h00 — Nous reposons et espérons cette fois passer une nuit tranquille.

Samedi 10 Juillet 1915

6h00 — Café. Je suis prévenu qu’à 7h je dois me rendre avec une corvée de dix hommes au Major du cantonnement. À la hâte je me prépare et préviens à mon tour les hommes, car pendant les périodes de repos, ceux-ci ne trouvent rien de mieux que de s’esquiver dès le petit jour, pour éviter les corvées.

6h45 — Je rassemble ma corvée et me rends à l’endroit indiqué. J’y trouve un lieutenant de la territoriale qui s’occupe des corvées de quartier : ce doit Être un ancien gendarme à voir la façon dont il nous reçoit, ou bien il se figure que nous venons en punition. Bref, mes dix hommes reçoivent des pelles et des pioches, et tous ensemble nous gagnons le cimetière qui est tout près du village. Il y a là une immense fosse qui n’est pas encore creusée suffisamment et ce sera notre ouvrage de la terminer. Nous voici donc passés fossoyeurs ; nous sommes même obligés, avant de commencer les travaux, de remonter six cercueils vides. Le travail terminé, nous pourrons rentrer au cantonnement ; aussi les hommes s’y mettent avec ardeur.

Moi-même, je prends la pelle et la pioche pour passer le temps et me faire les bras.

9h00 — L’ouvrage avance rapidement. Il sera terminé d’ici une demi-heure. Le cimetière de Florent prend des proportions considérables ; là sont enterrés de nombreux officiers amenés du front ; beaucoup de soldats sont là aussi, qui sont morts de leurs blessures en passant au poste de secours de Florent.

9h40 — Le lieutenant territorial vient constater la bonne marche des travaux et nous dit de partir dès que tout sera terminé, ce qui n’est pas long.

10h00 — Nous déposons les outils au magasin et rentrons au cantonnement. Fendant notre absence a eu lieu une revue de bataillon : nous ne regrettons pas d’avoir été en corvée. Le 1er Bataillon du 94 vient d’arriver à Florent, au repos, et je rencontre une foule de camarades de la 31ème de Guer. Comme nous ils en ont vu de dures, de plus dures que nous même, car ils ont fait plusieurs charges à la baïonnette et leurs pertes sont assez sensibles.

11h00 — La soupe mangée, j’apprends qu’à 13h je dois retourner avec les sèmes hommes au Major du cantonnement ; ça n’est pas fait pour me déplaire, car le reste de la Compagnie fera l’exercice jusque 17h.

Je remarquerai simplement que pour un repos c’est bien du service. D’un sens c’est notre faute ; il y avait hier soir, paraît-il, de nombreux cas d’ivresse, et pour empêcher les hommes de s’enivrer on les emmène au-dehors : ce sont toujours les bons qui pâtissent pour les mauvais.

13h00 — Cette fois c’est pour creuser une tranchée destinée à recevoir les ordures ménagères que nous sommes emmenés au dehors du village, toujours par le même lieutenant. Il fait très chaud et les hommes murmurent, se plaignent de l’insuffisance de repos ; j’essaie de leur faire comprendre que la Compagnie étant de jour, c’est nous qui aujourd’hui devons faire les corvées ; c’est en vain. Il me semble pourtant qu’il est plus agréable de creuser des tranchées étant au repos que d’être en première ligne.

15h00 — Le travail avance relativement vite.

16h00 — Tout près de nous une compagnie fait des essais de pétards et de bombes ; c’est pour familiariser les nouveaux arrivés avec tous ces engins.

16h30 — Le travail est terminé ; un sergent de territoriale nous permet de rentrer. Nous remettons les outils au magasin.

17h00 — Nous mangeons la soupe. Des bruits circulent sur le jour de notre départ aux tranchées ; ils sont divers, mieux vaut ne pas les écouter.

18h00 — Je fais une promenade en compagnie de plusieurs camarades du 1er Bataillon. Nous nous racontons nos aventures. Il paraît que le 2e Bataillon serait relevé cette nuit et arriverait demain à Florent. Tout le Régiment serait ainsi au complet, à moins que nous ne partions d’ici là.

19h00 — Un Bataillon du ...ème de ligne part aux tranchées.

21h00 — Je suis à peine couché que quelqu’un passe et annonce que nous partirons à 3h du matin. Ce n’est pas officiel, mais ce n’est pas impossible non plus.

Dimanche 11 Juillet 1915

6h00 — Je suis encore sur la paille, donc nous ne sommes pas partis à 3h. Le café arrive. Une autre compagnie, celle de jour, envoie une corvée pour la fabrication des gabions : les hommes doivent comprendre cette fois que c’est chacun son tour. Je me prépare en vue d’aller à l’église ; je ne sais pas à quelle heure il y a une messe, mais je vais bien voir.

7h00 — J’entre à l’église ; une messe basse commence justement. L’église de Florent est une de ces petites églises de campagne, vieille, mais proprette, et où le calme est tel qu’on s’y croirait séparé de tout le monde extérieur. Il y a quelques officiers et des

hommes.

8h00 — Je rentre au cantonnement. Quelle n’est pas ma surprise en voyant apparaître bientôt Marcel Trousset, qui, revenu au front pour la troisième fois, est adjudant au 2ème Bataillon qui vient d’arriver à Florent. Il vient de faire cinq jours de première ligne à Marie-Thérèse. Je sors avec lui et rencontrons d’autres sous-officiers du 2ème Bataillon revenus nouvellement au front ; tous s’accordent à dire que la guerre de tranchées qu’ils retrouvent est toute différente de celle qu’ils avaient laissée ; elle est beaucoup plus terrible et plus meurtrière. Les torpilles aériennes (minens) sont ce qu’ils redoutent le plus ; ils n’ont pas trop souffert des mines. Tout le Régiment est au complet à Florent, il faut s’attendre à une revue du Colonel.

9h00 — Je ne fais pas dix pas dans la rue sans retrouver de nouveaux camarades ; les uns m’apprennent que certains sont blessés, les autres que certains sont tués. Le 2ème Bataillon semble croire qu’il faudra retourner sous peu aux tranchées en vue d’une attaque générale en Argonne.

10h30 — Soupe. Rassemblement de la Compagnie à 14h pour aller à l’exercice ; que chacun se tienne prêt.

14h00 — Nous gagnons un champ de manœuvre improvisé au pas cadencé et l’arme sur l’épaule. Heureusement, sacs et musettes sont restés au cantonnement.

15h00 — L’exercice n’est pas terrible, il consiste principalement à rester couché auprès des faisceaux et à faire la pause ; c’est ce qui me confirme que si on nous amène ici, c’est dans le but unique de nous tenir éloignés des marchands de vin.

15h30 — Petit exercice de tirailleurs avec lancement de pommes vertes. On entend le canon assez loin dans la direction de Bagatelle.

16h00 — Le Chef de Bataillon arrive, monté, et demande les gradés à lui. Il nous fait une petite théorie sur ces exercices de tirailleurs, puis, changeant de conversation, nous demande de donner aux hommes du « cran et de l’élan » ; il faut éviter la panique, car elle cause les pertes ; si l’on tient bon, l’ennemi ne pourra avancer et c’est lui qui subira les pertes les plus sensibles. Il nous parle également des dernières opérations en Argonne ; si nous avons dû céder du terrain là, c’est qu’une partie de notre artillerie avait été transportée dans la région d’Arras ; elle est revenue maintenant. Il dit quelques mots des obus asphyxiants que nous allons employer, parait-il fil y a déjà si longtemps qu’il en est question).

16h45 — Nous rentrons au cantonnement. Tout le long du chemin il y a des territoriaux qui travaillent

sur la route et font des rigoles sur les côtés, sans doute en vue de l’écoulement des eaux pendant l’hiver prochain. On rencontre des civils endimanchés, ils semblent perdus dans la foule des uniformes.

18h00 — En compagnie de quelques camarades du 1er Bataillon, je sors. Devant l’habitation du maire, où se tient l’Etat-major de la brigade, l’automobile du Général de Division stationne. Bientôt arrivent deux généraux qui prennent place dans la voiture qui part aussitôt. Il a dit y avoir ce soir entrevue des commandants de secteur et autres ; peut-être vient-on de prendre une décision sur les opérations ultérieures.

18h30 — Il y a deux soldats qui font les pitres sur la place. Bien entendu la foule des militaires les entoure.

20h00 — Je rentre pour me coucher. De la paille nouvelle a été étendue à ma place par dessus l’autre ; pourquoi avant de renouveler la litière, ne pas faire enlever l’ancienne où la vermine pullule ? Une corvée de gabions est commandée pour demain, c’est que nous restons encore.

21h00 — La tète sur mon sac et les jambes enfilées dans la toile de tente, j’attends le sommeil ; devant la porte il y en a qui bavardent sans cesse. Si je distingue bien, c’est sur les permissions que la conversation roule. Il parait en effet que dés maintenant il est possible

d’obtenir des permissions. Ceux qui sont sur le front depuis très longtemps et à qui ces permissions reviennent de droit discutent à qui mieux mieux et m’empêchent de dormir. Il est à craindre avec ces permissions que les premiers n’en abusent et n’en fassent ainsi priver ceux qui viendront ensuite.

Lundi 12 juillet 1915

5h00 — Je suis éveillé par le départ de la corvée de gabions ; on cherche des serpes, on crie, on ne trouve rien. Est-ce que cela ne devrait pas être prêt depuis hier ?

6h00 — Café au lait. À 9h30 nous aurons une revue d’armes par les Chefs de Section.

9h00 — Nous descendons nos armes et nous rassemblons ; la revue est rapidement faite par un sergent. Le Lieutenant demande les caporaux et nous prie de lui dire si nous avons des plaintes à formuler au sujet de la cuisine et du vin. Sur notre réponse négative, il s’en va. 13h00 — Rassemblement de la Compagnie pour l’exercice. Comme hier, c’est plutôt la pause que nous faisons.

17h00 — À notre rentrée de l’exercice, j’apprends que nous partons demain à 3h45 du matin pour La Harazée ; notre repos tire donc à sa fin.

17h30 — Pendant que la soupe est distribuée, j’entends une conversation a voix basse. C’est ce soir à 8h que le Bataillon

retourne aux tranchées et non demain. Rapidement la nouvelle circule et chacun s’empresse de monter son sac.

18h00 — Il arrive des casques en acier pour l’infanterie, qui sont distribués aussitôt. Ils se composent d’une calotte en acier épaisse de sept millimètres, entourée d’une bordure en tôle ; sur le dessus quelques ornementations, entre autres une grenade avec les initiales R.F. Certes ce casque sera très utile en cas de bombardement ; il nous garantira jusqu’à un certain point des éclats d’obus, et les balles ayant perdu de leur vitesse glisseront peut-être sur l’acier ; il reste à ce casque à faire ses preuves. Sa couleur est grise et sensiblement la même que celle de notre tenue. Je crains qu’il ne soit lourd à la tète et n’occasionne la chute des cheveux. Nous conservons nos képis qui serviront au repos.

19h00 — Ayant bouclé mon sac, je sors un instant faire mes adieux aux camarades des autres bataillons ; eux aussi croient partir bientôt, cependant que leur repos a été plus court que le nôtre.

19h45 — Rassemblement. Tous affublés du casque, nous défilons devant le Colonel, puis prenons la formation de revue ; le Général de Division va remettre la Médaille Militaire à deux soldats. À cet effet la musique du 94 est présente et exécute la « Marche du 94 », puis la « Marseillaise ».

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