paroles prononcées par un supérieur à son subordonné produisent toujours sur ce dernier une excellente impression.

15h00 — Nous avons liberté pleine et entière, aucun ordre. Le temps est assez beau et on peut s’étendre à nouveau sur l’herbe.

20h00 — L’après-midi s’est passé tranquille. Un appel très sérieux est fait, puis on apprend officiellement qu’il y aura demain marche de quinze kilomètres.

Jeudi 29 Juillet 1915

5h00 — Le café est pris rapidement, puis les hommes bouclent leurs sacs et se préparent pour la marche.

6h30 — Départ de la Compagnie, direction Passavant. Le temps est très beau et il fait bon marcher sous les arbres. Nous passons à Villers-en-Argonne, puis laissons à un kilomètre à gauche Passavant, passons au Chemin, puis rentrons à Bournonville, pas trop fatigués. Ces marches sont, paraît-il, des marches d’entrainement. Elles ne sont pas trop goûtées des hommes, ce que je comprends, car je connais le poids du sac.

10h00 — La soupe est prête. Rien n’est prévu pour l’après-midi.

15h00 — Je passe l’après-midi sur l’herbe à lire.
20h00 — Demain, marche à nouveau.

Vendredi 30 juillet 1915

6h30 — Départ pour la marche, direction Sivry-sur-Ante. Au cours de notre marche, nous rencontrons toutes les compagnies du Régiment, ce qui prouve que tout le Régiment a reçu l’ordre de faire des marches.

10h00 — À notre rentrée à Bournonville, nous recevons l’ordre de nous tenir prêts à partir et de ne pas quitter les cantonnements, car nous devons embarquer le soir même. Stupéfaction générale, on était loin de s’attendre à un départ aussi précipité, mais il n’y a qu’à se conformer aux ordres et se tenir prêts à partir.

11h00 — Les discussions vont leur train. Chacun veut savoir la direction que nous allons prendre ou le secteur que nous allons occuper, mais a vrai dire nul ne sait, c’est peut-être même aux Bois de la Gruerie que nous retournerons.

14h00 — Pas de nouveaux ordres. On n’est même plus certains que c’est par chemin de fer que nous voyagerons.

16h00 — Le bruit court que nous allons encore au repos. On croit que c’est au Camp de Mailly que nous allons.

17h00 — Ordre est donné que le rassemblement ait lieu a 21h pour que le départ soit à 21h15.

17h30 — Pendant le dîner la conversation roule sur notre départ. Le Sergent-major nous apprend que l’heure du départ est remise à 22h45 et que l’embarquement en chemin de fer aura lieu a Vieil-Dampierre à 1h du matin.

20h00 — Je fais mes adieux à la famille chez laquelle nous cantonnions. Ces braves gens paraissent peinés de notre départ.

22h00 — Les corvées de chargement des wagons et la garde de police partent à l’avance.

22h45 — Rassemblement des compagnies puis départ immédiat. Nous suivons exactement le Sème itinéraire que pour la marche de ce matin, jusqu’à Ante. Nous sommes éclairés par un clair de lune magnifique et tous les hommes sont gais et chantent pour s’entraîner. On est très bien, il ne fait pas froid à marcher.

Samedi 31 juillet 1915

0h00 — Minuit. La nuit est devenue plus froide, nous nous dirigeons vers Vieil-Dampierre dont nous apercevons déjà les lumières de la gare.

1h00 — Nous faisons halte, croyant à une pause de courte durée et nous étendons dans l’herbe qui est humide. Je sommeille d’abord puis m’éveille, gelé, on n’a pas encore donné le signal du départ. Vraisemblablement il y a encombrement dans la gare et notre embarquement s’en trouve retardé ; les officiers eux-mêmes ne savent pas à quelle heure nous embarquerons.

2h00 — Nous sommes toujours sur la route à faire les cent pas, car le froid est très vif. C’est bizarre qu’on nous laisse aussi longtemps dans cette situation. Les voitures du Bataillon et les chevaux des officiers sont embarqués déjà, comment se fait-il qu’on nous laisse là ?

4h00 — Enfin, l’ordre est donné de mettre sac au dos, ce que l’on exécute vivement, car on ne demande qu’a partir. Nous entrons dans la petite gare, puis gagnons le quai le long duquel sont rangées les voitures qui doivent nous emmener. Ce sont de vulgaires wagons à bestiaux sans paille ni bancs, d’où j’en déduis que le trajet à effectuer sera court. Nous nous casons comme nous pouvons à quarante par wagon, et le train part presque aussitôt dans la direction de Sainte-Menehould où nous arrivons bientôt. Nous attendons tous anxieusement quelle

direction nous allons prendre maintenant : Châlons ou Verdun ? C’est Châlons, mais ceci ne nous dit toujours pas où nous allons.

— Valmy. Beaucoup de soldats, gare régulatrice pour les blessés.

— Somme-Bionne. Somme-Tourbe : le pays est rasé et présente un aspect affreux, on dirait qu’une trombe monstrueuse est passée là, brisant tout sur son passage. De nombreuses maisons de planches, toutes du même style et bien alignées, ont été construites

à peu de distance de l’ancien village pour recevoir les familles sans abri.

— Suippes. Le village est assez éloigné de la gare et est cache par des arbres, mais on distingue cependant qu’il a beaucoup souffert du bombardement.

— Cuperly. Toujours des territoriaux qui se sont construit des gourbis et qui vont et viennent dans les champs. Ici nous apprenons par des hommes du génie que notre 2ème Bataillon est débarqué ce matin à Saint-Hilaire-au-Temple, c’est donc que ce serait là le terme de notre voyage ; cependant nous traversons cette station, puis Bouy, à grande vitesse, et je voudrais que le train ne s’arrêtât plus avant Sillery ; malgré cela, je sais parfaitement que l’on ne peut dépasser Mourmelon, et suis tout heureux de me sentir plus près de la maison.

7h00 — Mourmelon. Le train est aiguillé sur la voie de garage et le débarquement commence et est très activement mené. Trois pas seulement me séparent d’Ambonnay où est papa, et je distingue facilement Verzy et les taches blanches que forment les carrières de terre sulfureuse au sommet de la Montagne de Reims. Etre si près de chez soi et ne pouvoir y aller, c’est un vrai supplice de Tantale. Mais je me sens le cœur plus

léger d’être dans ma région. Peut-être le hasard voudra-t-il que je combatte mur notre propre sol. Je le souhaite.

8h00 — Etendus sous les arbres le long de la route qui va au Grand Mourmelon, nous attendons des ordres pour gagner un cantonnement quelconque et mangeons quelques vivres. Je trouve un ravitaillement d’aviation qui va a Ambonnay et lui remets un mot pour papa.

10h00 — Départ. Traversons le camp jusqu’à Mourmelon-le-Grand, puis ce village également, et marchons à travers le camp sous un soleil bridant et dans une plaine sans arbre. Brisés par la chaleur, nous cheminons vers l’inconnu, les officiers eux-mêmes semblent ne pas savoir exactement où ils nos conduisent.

11h00 — Pause d’un quart d’heure, toujours en plein soleil.

12h00 — Arrivons près de gourbis en construction, c’est là que nous allons cantonner ; il faudra aménager ces habitations, d’ailleurs il n’y a de la place que pour la moitié de la Compagnie et le reste devra coucher sur le gazon, sous les sapins. On s’installe comme on peut, je me mets a même sur la terre pour dormir un peu car je n’ai pas fermé l’œil la nuit dernière.

14h00 — Pour la première fois depuis que je suis sur le front, je vois, a l’aide des toiles de tente et de piquets, confectionner des tentes, qui, dans les bois, serviront d’abris à ceux qui

ne peuvent habiter dans les gourbis.

Moi-même, avec un adjudant, un sergent et leur ordonnance, je me construis un abri de ce genre pour Être moins à l’air pendant la nuit. D’ailleurs la chaleur est telle qu’un orage est à craindre et bien que nous soyons étrangement habitués aux douches célestes, nous aimons à être à couvert.

20h00 — Aucun ordre. On ne sait rien sur ce qui doit avoir lieu demain.

Dimanche 1er août 1915

5h00 — Je m’éveille les pieds gelés. Nous prenons le café.

7h00 — L’ordre est donné de construire de nouveaux gourbis pour les sections non abritées la nuit dernière, et de faire disparaître les toiles de tente qui nous font repérer par les avions. Immédiatement, les hommes se mettent à l’œuvre, arrachent des mottes de gazon pour en faire un mur, et notre gourbi est en bonne voie lorsque l’ordre arrive de déménager pour se rendre dans d’autres gourbis, presque terminés, à quatre cents mètres de là. On s’exécute, les officiers casent les sections et le Commandant de notre Compagnie nous désigne un gourbi, qui est très vaste en effet, et où tous les sergents tiendront à l’aise, mais qui se compose en tout et pour tout d’un mur haut de cinquante centimètres : voilà notre habitation et il ne faut pas compter sur les hommes pour

en continuer la construction, les leurs ne sont pas terminées et il faudra les agrandir. Enfin nous nous abriterons comme nous pourrons, et je crois bien qu’envers et contre tout, il faudra employer les toiles de tente recouvertes de branchages.

8h00 — Il n’y a toujours rien. Nous ne savons ce que nous ferons les jours prochains. Il pleut et nous couvrons en hâte notre soi-disant gourbi avec six toiles de tente.

Lundi 2 août 1915

7h00 — Des hommes désignés dans chaque section commencent à bâtir notre gourbi, en empilant des mottes de gazon. Le travail va très lentement et le mur est branlant. Nous avons de piètres maçons.

15h00 — Le Général remet la Médaille Militaire à deux sergents des 9ème et 11ème Compagnies, et à cet effet ces deux compagnies sont passées en revue. À la suite de la prise d’armes, le Général réunit tous les officiers du Régiment.

16h00 — Le Général aurait dit aux officiers que demain nous partons pour cantonner à Mourmelon-le-Petit, et que les jours suivants nous irions creuser un boyau très long et très large, du côté de Baconnes, boyau qui permettra d’évacuer en voiture les blessés du front.

18h00 — Notre gourbi est loin d’être terminé et nous coucherons à l’air encore cette nuit.

Mardi 3 août 1915

8h00 — Le temps n’est pas très beau, mais à 8h30 nous aurons rassemblement pour aller à l’exercice.

9h00 — École de compagnie, ensuite rapport sous la pluie battante ; le Lieutenant nous apprend que la nuit prochaine, à 2h, nous partirons poursuivre les travaux de terrassement que les deux premiers bataillons ont commencés. Le travail sera dur, parait-il, et il compte sur notre bonne volonté. Le travail sera de huit heures avec une heure de pause pour manger les vivres que l’on touchera avant le départ. La pluie tombe avec une telle force que l’on est obligé de se disloquer et de rentrer dans les gourbis au pas gymnastique.

15h00 — Chacun fait la sieste car les heures de repos cette nuit seront courtes.

19h00 — Tout le monde est au nid. D’après des camarades du 1er Bataillon qui sont allés au boyau, le chemin est long et les boches envoient des obus de temps à autre.

20h00 — Les quelques militaires se trouvant au front depuis six mois consécutifs, et ayant droit à une permission, sont prévenus de se tenir devant le bureau du Colonel à partir de 1h du

matin ; ils avaient déjà été avertis officieusement, mais c’est si bizarre au Régiment!.. Enfin cette fois c’est certain, ils partent, aussi ne se sentent-ils plus de joie.

Mercredi 4 août 1915

1h00 — Je suis éveillé par la distribution des vivres. Les permissionnaires sont déjà partis. Nous touchons un morceau de viande très petit, puis un litre de café. La Compagnie est ensuite rassemblée ; on s’y reconnaît à peine tant la nuit est noire ; je crains que nous n’ayons de la pluie en route.

2h00 — Départ à travers le camp. Nous passons à Mourmelon, puis revenons sur nos pas pour nous diriger ensuite vers le front ; je crois que celui qui nous conduit n’est pas très sûr de lui.

3h00 — Pause. On s’aperçoit que deux compagnies sur quatre manquent à l’appel. Encore le manque de liaison.

3h30 — Les deux compagnies retardataires étant enfin retrouvées, nous reprenons la marche en avant. Le jour monte, on marche plus sûrement sous les sapins, pour se dissimuler aux vues de l’ennemi qui occupe les crêtes en face.

4h25 — Après bien des allées et venues sous bois, nous sommes enfin arrivés sur l’emplacement du travail. Le boyau à continuer est très large. Nous allons chercher les outils, pelles et

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