pioches, et le travail commence immédiatement. À peu de distance, six cents mètres environ au nord, on aperçoit devant un groupe de sapins de petite taille une ligne blanche qui se prolonge indéfiniment à gauche et à droite ; c’est le parapet crayeux de notre première ligne. Beaucoup plus loin maintenant, à quatre ou cinq cents mètres des nôtres, on distingue les lignes allemandes ; dans le fond c’est la butte de Moronvilliers où s’étagent des tranchées et des tranchées allemandes.
9h00 — Trois obus tombent derrière nous et presque aussitôt nous apprenons qu’un adjudant et un sergent de la lierne Compagnie ont été blessés. Un dragon passe près de moi ; je sais que c’est son régiment qui tient une partie du front que nous avons devant nous et je lui pose
quelques questions. Depuis février ils n’ont eu aucun combat et par conséquent leurs pertes sont pour ainsi dire nulles ; il y a des fusillades de temps à autre, mais la distance séparant les deux lignes ne permettant pas d’employer les torpilles aériennes, les crapouillots, les bombes et toute la série infernale des engins, il ne se produit jamais de boucherie comme à Bagatelle ou à Marie-Thérèse. Un tel secteur serait pour nous un paradis. Pour le moment nous n’avons pas à nous
10h00 — Pause d’une heure pour prendre quelque nourriture.
12h00 — Départ. Le retour se fait par une chaleur accablante et là où nous passions sous bois ce matin, nous passons à la lisière maintenant qu’il fait bien clair ; je ne comprends pourquoi et me demande si les allemands ne nous voient pas des crêtes de derrière. Au lieu de prendre un chemin de traverse qui se trouve à l’abri de l’ennemi et qui nous raccourcirait d’une demi- heure, nous allons à nouveau passer dans Mourmelon.
14h00 — Enfin nous arrivons. Coup sur coup, je vide trois quarts de café froid qui restait dans un seau, puis prends quelque repos ainsi que tous les camarades qui n’en peuvent plus. Les hommes qui ont, eux, travaillé sept heures, doivent être exténués.
19h00 — On se couche déjà. Demain, repos avec petit exercice l’après-midi.
Jeudi 5 août 1915
5h00 — Réveil. Café. Pas d’ordres, on fait la grasse matinée.
7h00 — L’ordre paraît maintenant que la soupe sera mangée à 9h et que le départ pour le boyau en cours de terrassement aura lieu à 10h. Le repos est supprimé. Tous les sergents n’étant pas nécessaires, cette fois nous
établissons un tour, je suis du nombre de ceux qui restent aujourd’hui.
10h00 — La soupe prise « sur le pouce », les camarades partent. Le soleil est toujours très chaud.
15h00 — Rien de nouveau ; on sommeille dans les gourbis aérés par dix ouvertures.
20h00 — On s’étend. C’est notre tour demain d’aller au fameux boyau. La manutention de Mourmelon est en train de brûler, paraît-il, suite de bombardement.
22h00 — J’entends vaguement les camarades qui rentrent. Il y aurait eu deux nouveaux blessés, mais aucun de la Compagnie.
Vendredi 6 août 1915
6h00 — On fait la grasse matinée, avant de partir à notre boyau du côté de Baconnes.
9h00 — La soupe est prise rapidement, puis on s’équipe.
10h00 — Départ, mais cette fois sans passer par Mourmelon. Il fait une chaleur accablante.
15h00 — Le travail avance rapidement. Ce matin il y a eu deux tués et six blessés à la 3e Compagnie par suite du bombardement.
20h00 — Aucun incident à signaler. Nous n’avons pas reçu d’obus. Le retour s’effectue en silence.
22h00 — Rentrée au cantonnement.
Samedi 7 août 1915
8h00 — Je vais trouver le Commandant de Compagnie pour obtenir une permission de la journée de demain, pour voir mon père à Mourmelon. Le Lieutenant m’accorde cette dernière, mais je dois retourner au boyau aujourd’hui même afin d’être libre demain.
10h00 — Je reprends le chemin du boyau. Il fait toujours aussi chaud.
12h00 — Le travail commence ; nous recevons quelques obus, mais sans nous occasionner de pertes.
22h00 — Nous rentrons au cantonnement et je trouve sur mon sac une permission de la journée pour demain.
Dimanche 8 août 1915
8h00 — Je suis debout et me nettoie comme je puis avec de l’eau qui me reste dans un bidon. Il y a une assez grande distance de nos gourbis à la pompe la plus rapprochée.
8h00 — Je pars pour Mourmelon. J’avais hier remis une lettre à un ravitaillement dans laquelle je fixais un rendez-vous à papa ; je n’y trouve personne et vais et viens en attendant.
10h30 — Enfin je vois arriver papa et je cours à lui ; il désespérait déjà de me trouver. Lui aussi m’avait fixé un rendez-vous par l’entremise d’un ravitaillement, mais ni l’un ni l’autre nous n’avions reçu les lettres. L’essentiel est que nous soyons maintenant ensemble ; je
n’aurais jamais songé il y a quelques semaines à peine que nous aurions pu nous rencontrer au cours des hostilités ; nous sommes des privilégiés. Après nous être promenés longuement malgré la chaleur accablante, nous déjeunons à l’Hôtel de l’Europe, luxe inconnu pour moi depuis longtemps. Il y a beaucoup d’embusqués qui déjeunent là également. Le repas terminé, nous prenons la direction de Mourmelon-le-Petit, faisons une longue sieste sur l’herbe, puis gagnons la gare. Un gendarme, bon enfant celui-là, me permet d’accompagner papa sur le quai. Nous espérons nous revoir avant mon départ de la contrée. Pour ma part, je compte bien obtenir une permission pour Ambonnay. Après le départ du train, je rentre au camp où j’apprends que cette nuit à 2h, je vais au boyau avec la Compagnie.
21h00 — J’essaie de m’endormir pour être dispos à l’heure du départ.
Lundi 9 août 1915
2h00 — Départ pour le boyau.
9h00 — Comme à l’habitude, le travail marche activement. Le boyau est creusé par petits secteurs, les parties se trouvant dans des clairières sont laissées pour être creusées de nuit.
12h00 — Nous quittons l’ouvrage ; la chaleur est très forte.
Le 1er Bataillon qui arrive pour nous relever a l’air harassé ; le soleil ne nous ménage vraiment pas. Par bonheur les canons restent muets.
14h00 — Rentrée au cantonnement. Les hommes se jettent sur les seaux d’eau préparés à leur intention et je ne sais ce qui me retient d’en faire autant, tellement j’ai la gorge sèche.
17h00 — Chacun se repose ; cette nuit, les hommes retournent au boyau ; c’est mon tour de rester ici.
18h00 — J’apprends qu’il y a eu hier à Mourmelon grand conseil de la Division, mais bien entendu, les résultats ne nous sont pas communiqués. Le Général Sarrail qui commandait notre Armée est passé au commandement des troupes de l’Expédition d’Orient. Il est question qu’il nous emmènerait avec lui ; je crois que c’est un bruit douteux.
21h00 — Chacun se repose.
Mardi 10 août 1915
2h00 — Je suis éveillé par les camarades qui vont au boyau, mais je ne tarde pas à m’endormir à nouveau.
9h00 — J’ai pu obtenir une permission de la journée pour demain, pour me rendre à Ambonnay. Je ne puis compter sur une bicyclette, aussi je devrai partir tôt de crainte d’être obligé de faire la route à pied.
14h00 — Les hommes rentrent du boyau.
18h00 — Rien de nouveau. Nous nous demandons comment il se fait qu’on nous laisse aussi longtemps sans combattre. Que nous prépare-t-on ? Des troupes sont massées ici au camp et sont occupées aux mêmes travaux que nous, à d’autres endroits du même secteur. On ne peut appeler ce séjour ici du repos, car c’est très fatigant pour tous d’aller au boyau et d’y travailler sept heures.
Mercredi 11 août 1915
5h30 — Je m’éveille et me tiens prêt à partir, car je ne veux pas perdre un seul instant. Alors que tous les camarades sont encore endormis, je quitte le bivouac et gagne Mourmelon-le- Grand aussi vite que possible. Passé cet endroit, j’ai la chance de pouvoir monter dans une voiture de ravitaillement qui m’emmène à Mourmelon-le-Petit. A peine descendu, je remonte
en autobus jusqu’à Livry ; là, je fais trois cents mètres à pied, puis remonte en auto jusqu’à Vaudemanges ou je retrouve une voiture pour Ambonnay. J’ai vraiment toutes les chances et je m’étonne en arrivant là qu’il ne soit que 8h. La journée se passe le plus agréablement du monde, au bureau, au cellier, à la cave. Je suis reçu à bras ouverts, si j’ose dire. Le petit-fils du propriétaire nous
photographie mon père et moi. L’heure du départ arrive, Mr. Cochet pousse l’amabilité jusqu’à me reconduire en voiture jusqu’à Mourmelon-le-Petit. Arrive là, je fais deux kilomètres à pied, puis retrouve une ambulance qui m’amène tout près du bivouac.
21h00 — Je m’étends sur la paille, heureux de ma journée et regrettant seulement de ne pouvoir recommencer.
Jeudi 12 août 1915
9h00 — Le temps n’est pas très engageant ; chacun reste dans son gourbi à se reposer et faire sa correspondance.
15h00 — Dans les gourbis on écrit toujours ; dehors sous les sapins il y a des joueurs de cartes. Cette nuit à 2h, je pars une nouvelle fois pour le boyau. Des ordres très sévères ont été donnés pour que les hommes marchent en ordre, car il a été remarqué que les jours précédents, des traînards restaient derrière chaque section.
20h00 — Ceux qui doivent partir cette nuit se couchent ; les autres continuent d’interminables parties de cartes.
Vendredi 13 août 1915
2h00 — Les distributions des vivres pour la journée sont faites. Nous partons par une nuit très noire, on voit à peine à quelques pas devant soi ; heureusement la colonne marche lentement et on parvient à rester en liaison.
3h00 — Halte sous bois. La nuit est toujours aussi noire.
3h30 — Nous rencontrons des équipes de terrassiers qui ont travaillé pendant la nuit. Le jour commence à paraître.
4h00 — Arrivée sur les lieux. Distribution des outils et mise en marche du travail.
9h00 — La pluie tombe à flots et nul gourbi où se réfugier. Bon gré, mal gré, il faut se laisser tremper. La pluie cesse quand je commence à sentir la fraîcheur sur les épaules.
12h00 — Retour. Marche lente qui nous permet de faire marcher les hommes en ordre. 14h00 — Arrivée au cantonnement. On se déséquipe.
14h10 — « Equipez-vous ! ». Il y a prise d’armes et remise des citations à l’ordre du jour.
14h30 — Le Bataillon est réuni en carré. Le Commandant lit les citations. Le Commandant de notre Compagnie est cité à la suite des combats des 13 et 14 juillet. Un sergent de chez nous est également cité, puis un caporal qui a été tué et un homme qui a eu les deux pieds coupés : triste compensation.
15h00 — Cette fois nous pouvons nous reposer, un peu de bouillon est distribué aux hommes afin de
leur permettre d’attendre la soupe de 17h.
18h00 — La pluie m’interdit une promenade projetée au 2ème Bataillon. Des bruits courent que nous n’allons plus rester bien longtemps ici.
Samedi 14 août 1915
6h00 — Réveil ; la journée ne s’annonce pas très belle. Le départ de la Compagnie pour le boyau n’aura pas lieu à 10h ce matin comme on le prévoyait, mais à 18h ce soir, pour travailler de nuit.
9h00 — Le temps s’élève. Dans le camp, des compagnies font l’exercice ; dans toutes les directions, on entend les clairons et tambours qui s’exercent, les musiques des différents régiments qui répètent, et on se demande si c’est bien la guerre. Les quelques coups de canon, très espacés d’ailleurs, que l’on entend au loin, passent presque inaperçus. Des bruits persistants de départ prochain circulent.
14h00 — Il paraît que nous partons demain ou après pour Athis ou Condé-sur-Marne. Doit-on ajouter foi A ces bruits ? Peut-être, car il est bien certain que nous ne pouvons nous éterniser ici.
16h00 — Revue en capote et brodequins graissés, passée par un sous-lieutenant. Ensuite rassemblement privé des caporaux par le Commandant de Compagnie intérimaire qui leur