le bonheur de la vie à la maison paternelle.

8h00 — Nous rentrons au baraquement. Nous éprouvons tous une certaine lassitude qui provient de la chaleur.

10h00 — Il y aura une revue générale à 14h. Une revue à l’arrière n’est pas quelque chose de bien ennuyeux ; chacun sait que son fusil doit être propre : quant aux effets, on ne peut nous demander du soigné quand on est obligé avec de passer dans tous les coins.

14h00 — En fait de revue, on nous demande ce qui nous manque et on nous prie de rester en tenue, le ministre de la guerre devant passer dans l’après-midi.

15h00 — Rapport. On nous dit quel secteur nous allons occuper : c’est à six ou sept kilomètres d’ici. Sera-t-il bon ou mauvais ? Le ministre de la guerre n’est toujours pas là.

16h00 — Rassemblement pour le départ. Pas de ministre, nous partirons bien sans cela. La chaleur est encore excessive et le sac bien pesant. Nous marchons longtemps tout en allant peu vite, et lorsque le signal du repos est donné, chacun s’étend rapidement pour reprendre un peu de force.

17h00 — Nous avons repris la marche en avant. Nous allons par un petit sentier étroit et descendant à travers la forêt. Nous atteignons enfin des gourbis ; ce ne sont pas les nôtres, il faut aller plus loin ; pourtant nous sommes bien fatigués, mais à quoi bon se plaindre ? Et puis, ce n’est la faute à personne.

18h00 — Nous sommes rendus dans nos gourbis et avons léché sacs, fusils, équipements et musettes. Pour ma part, je suis exténué ; nous manquons d’eau fraîche, mais enfin on peut se reposer. Notre gourbi est une excavation de quatre mètres sur deux, creusée dans le flanc d’un monticule, et dont le sol a été recouvert de branchages pour retenir la fraîcheur, puis de paille sèche. Il y règne une odeur de fumée à laquelle nous nous faisons. On y est à l’abri des balles et des obus, et c’est utile, car les allemands, ayant sans doute remarqué notre arrivée, commencent à nous bombarder. Ici, nous sommes en réserve et serons sans doute assez tranquilles. Combien de temps allons-nous y rester ?

20h00 — Nous avons pris place sur la paille et allons certainement bien dormir.

Mardi 8 juin 1915

7h00 — Le temps est déjà bien chaud. Nous avons touché de la paille sèche et propre ; il va falloir nettoyer les gourbis pour y étendre ensuite la nouvelle paille.

8h00 — Caporaux et soldats, sans distinction, nous grattons le sol de notre demeure souterraine ; le dessous est un véritable fumier avec des branchages enchevêtrés. Nous avons bien chaud.

10h00 — Le nettoyage est complètement terminé. La paille étendue, nous prenons un repos bien gagné. Entre temps, deux sections sont allées à La Harazée, en deux fois, pour en rapporter du bois ; la première fois, rien n’était prêt : corvée inutile ; la seconde fois, chargement terrible, les hommes reviennent exténués.

14h00 — Le temps devient orageux. Le bruit du tonnerre se mêle à celui du canon, la pluie menace de tomber.
16h00 — Le temps a l’air un peu remis, mais il fait lourd.

20h00 — Sur notre gauche, vive fusillade ; les mitrailleuses ne cessent de tirer. Est-ce une attaque ? Ceci ne

dure pas longtemps.

Mercredi 9 juin 1915

3h00 — Je sommeille encore. Une goutte d’eau me tombe sur la joue ; je ne bouge pas. Une deuxième goutte tombe ; dans mon sommeil, je crois qu’un camarade me fait une farce, mais pour qu’il en soit de ses frais, je me tiens toujours tranquille. Il pleut de plus en plus, et je finis

par me redresser ; quelle n’est pas ma surprise en entendant la pluie tomber à flots au-dehors. En une seconde je comprends : notre pauvre toit est inondé, l’eau le traverse et nous tombe dessus. Les camarades s’éveillent, un surtout est tout frais. À la hâte, nous détachons nos toiles de tente de nos sacs et nous en couvrons, mais la paille est déjà fraiche et la pluie tombe toujours.

4h00 — La pluie tombe moins fort ; chacun dort à nouveau.

5h00 — Le café arrive ; il recommence de pleuvoir et nous osons à peine sortir un genou de dessous la toile de tente. Le Sergent passe, j’entends qu’il prononce mon nom ; je l’appelle : c’est mon tour à être « de jour », parait-il. Je m’incline et me renseigne sur mes fonctions.

6h00 — Etant « de jour », je dois faire la tournée dans la Compagnie pour dresser la liste des malades à présenter au médecin-major. La pluie tombe toujours, le chemin est boueux, j’enfonce jusqu’à la cheville et vais à la recherche des escouades.

6h15 — Ma liste est prête. À 7h, j’irai conduire les hommes au Major. Entre temps, les camarades du gourbi sont entrés et sortis, et ont amené sur la paille déjà fraîche une certaine couche de boue qui lui donne l’aspect d’une litière. Je n’y regarde pas à m’étendre dessus, mais c’est égal : on ne peut se figurer ce que c’est lorsqu’on n’y est pas passé.

6h45 — Une nouvelle fois, je fais le tour de la Compagnie, cette fois pour rassembler les « hommes-visite ». La pluie vient de cesser, mais quelle boue !

7h00 — Tous mes hommes sont devant le Major, je n’ai plus qu’à attendre la fin de la visite. Je m’assois sur un talus. En passant, je dirai que le « bureau » où le major donne consultation est un gourbi un peu mieux installé que le nôtre, et un peu plus élevé, mais il est sous terre et n’a rien d’un palais.

8h00 — La visite terminée, je rentre au gourbi.

8h15 — Un appel : « Le caporal de jour ! ». Je cours, c’est encore un sergent : « Prenez quatre hommes de la 2ème Section et faites nettoyer le boyau qui mène à la route ». Je prends quatre hommes et vais reconnaître l’endroit. Le boyau est plein d’eau et on y enfonce dans la boue ; pour le nettoyage, nous ne disposons que de bêches de cinquante centimètres de haut. J’envoie chercher des pelles, et on commence. Tant bien que mal, on gratte, on pelle, on repousse l’eau.

9h00 — Nous avons atteint le bout du boyau qu’il a fallu laisser inondé, étant trop en contre- bas. En remontant le boyau, je remarque que là où j’ai fait enlever l’eau, d’autre est revenue de plus haut : recommencer ne donnerait pas d’autre résultat ; il faut laisser le soleil passer là-dessus.

10h00 — Je rentre crotté pour manger la soupe. Le soleil semble vouloir se montrer.

11h00 — Un bruit qui court : nous allons être relevés ce soir et être encore envoyés dans une direction inconnue. Bien sûr, nous étions en réserve, c’était trop beau ; enfin, attendons des détails.

12h00 — Les bruits vont leur train. Comme c’était à prévoir, on parle de l’Italie, des Dardanelles, que sais-je ? En tout autre temps, on s’amuserait

de ces bruits si divers. Chaque fois que le cuisinier, l’ordonnance ou le planton passe, il y a un nouveau tuyau ; il est toujours question de nous envoyer partout, mais pas dans nos foyers, c’est certain.

13h00 — Nous partirons ce soir ou demain, certainement, mais pour où ? La boue sèche. 14h00 — La boue continue à sécher.

15h00 — « Caporal de jour ? » — « Présent ! » — « Ramassez les outils qui traînent dans le cantonnement et faites-les conduire au magasin de l’Adjudant de Bataillon ». Je m’exécute.

17h00 — La soupe est mangée. Nous partirons demain à 3h45 du matin. Nous serons relevés par le ...ème d’infanterie, régiment de nos régions et dans lequel je trouverai peut-être des connaissances. 19h00 — Le canon tonne très fort dans la direction de l’Ouest, c’est-à-dire vers Perthes et Le Mesnil, en Champagne.

Jeudi 10 juin 1915

3h00 — Le caporal distribuant le café m’éveille ; il fait petit jour. L’ordre est donné aussitôt de s’équiper. Le ...ème nous attend, puis passe près de nous ; je ne parviens pas à y reconnaître un ami.

4h00 — Nous avons quitté l’endroit ou nous étions

en réserve et gravissons une colline presque abrupte, le long d’un sentier à peine frayé et recouvert par places de branchages entrelacés. Chacun marche allégrement, car il fait frais, et puis derrière la colline se trouve la zone arrière où on est plus en sécurité.

5h00 — Petite pause, après avoir traversé un terrain labouré par les obus de gros calibre. Les trous attestent que le bombardement date déjà d’assez longtemps.

6h00 — Nous atteignons le village arrière où nous devons rester au repos pendant un temps indéfini. C’est déjà là que nous avions eu cinq jours, puis trois jours de repos. C’est bizarre qu’on nous ménage tant ; quelque chose se prépare, sans doute un changement complet de secteur. D’après certains bruits, le —Mme Chasseurs à pied qui forme brigade avec nous, aurait embarqué ce matin pour un autre point du front. Allons-nous le suivre ?

7h00 — Je fais une petite lessive de quelques objets de lingerie. Je ne me tire pas trop bien de ce premier lavage, je ne sais pas manier le savon et la brosse.

12h00 — Rien de nouveau. Il parait que nous embarquons demain matin.

14h00 — Le ciel s’est couvert rapidement. Un gros orage est à craindre ; la température est accablante ; on a peine à rester en place sur la paille tant les mouches sont mauvaises.

16h00 — Le bruit du tonnerre se mêle à celui du canon, le soleil est complètement caché.

17h00 — L’orage éclate, la pluie tombe à flots et traverse même le toit du baraquement ; on étend en hâte les toiles de tente sur la paille pour que ce soir on puisse coucher au sec.

17h30 — L’orage a cessé, mais la pluie menace de recommencer.

18h00 — La pluie recommence plus fort si c’est possible. À notre gauche, les 75 commencent à tirer sans cesse ; c’est un bruit continu plus terrible que celui du tonnerre. Les boches ont sans doute tenté une attaque pendant la pluie, c’est leur habitude, et le canon a la mission de les faucher. Que ce doit être épouvantable dans la tranchée par une telle pluie ! On doit y enfoncer dans la boue jusqu’aux genoux, et si avec cela il faut combattre et se garer des bombes !

18h30 — Avec la fin de la pluie, le canon

a également cessé de tirer. Chacun sort pour prendre l’air frais. Avec un autre caporal, je vais jusqu’aux gourbis des territoriaux, à un kilomètre, pour y chercher quelques journaux si possible. Nous en trouvons quelques-uns, entre autres celui du jour qui annonce la démission de Mr. Bryan, le ministre des affaires étrangères américain ; quelles complications ceci va-t-il amener ?

21h00 — Suis étendu sur la paille. Partirons-nous demain ?

Vendredi 11 juin 1915

6h00 — Le temps s’est rafraîchi à la suite de l’orage d’hier et personne ne songe à s’en plaindre.

9h00 — Il court toujours des bruits de départ que certains régiments de la Division sont déjà partis, mais toujours rien d’officiel. Les officiers eux-mêmes ne savent sans doute pas ce qui nous attend.

12h00 — Le temps est devenu plus beau ; le soleil luit. Les bruits courent, toujours aussi divers.

15h00 — Douches. Qu’il fait bon recevoir de l’eau douce sur le corps !
18h00 — Le bruit court avec persistance que nous partons demain à 3h du matin.

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