fait un assez long discours, dont nous ne pouvons savoir la teneur. 16h30 — Les fusils sont portés à l’armurier du 94 qui retouche rapidement l’auget pour permettre l’emploi des balles de mitrailleuses.

18h00 — La Compagnie est rassemblée pour le départ. Ce n’est pas mon tour de marcher. 19h00 — La Compagnie est toujours là, on attend des ordres, parait-il.
20h00 — La Compagnie vient seulement de partir ; la nuit ne passera pas sans pluie.
Dimanche 15 août 1915

6h00 — J’ai été éveillé plusieurs fois cette nuit par la pluie qui tombait. Les camarades ne sont pas encore rentrés, ils ont dû être trempés.

7h00 — La Compagnie rentre ; rien de nouveau. Il faut s’attendre à partir d’un moment à l’autre ; il paraît que le ravitaillement ne viendra pas ce soir : signe de changement de

« domicile ». C’est jour de tète aujourd’hui, et je ne pense pas qu’il soit bien différent pour nous de tous les autres.

10h00 — On ne sait rien quant au départ. Les bruits les plus divers circulent ; d’après les uns nous allons à Athis, d’après les autres à Condé-sur-Marne.

11h00 — Notre caisse des sous-officiers ayant du boni, le caporal d’ordinaire nous a préparé un déjeuner des plus « relevés » : saucisson et beurre, hure de sanglier avec pommes en salade, veau rôti, cassoulet, abricots, crème à la vanille, brioche, vin fin de Bourgogne. Quelle différence avec nos repas « par cœur » des 13 et 14 juillet. Le Sergent-major qui arrive à l’instant nous lit une note qu’on vient de lui faire parvenir. C’est assez embrouillé, je crois toutefois comprendre que nous allons avoir une période de repos durant laquelle nous ferons l’exercice tant et plus, afin de terminer l’instruction des cadres et des hommes. Les sections vont être organisées sur de nouvelles bases. Attendons les évènements !

15h00 — Dernier tuyau, nous partons demain pour Baconnes. Aucun détail sous la main. Quelle vie tout de même ! Ne jamais savoir ce qu’on fera le lendemain !

17h00 — La Compagnie partira à 18h30 pour le boyau ; j’y vais cette fois. Il n’y a pas d’ordres concernant un prochain départ.

18h30 — La Compagnie est rassemblée ; un dernier appel pour s’assurer que personne ne manque, et on part. Ma section ferme la queue de la colonne, derrière moi

il n’y a plus que le Major et la voiture d’ambulance. La nuit tombe bientôt ; heureusement la marche est lente, ce qui nous permet de rester tous en liaison. Quand nous arrivons vers 20h30, il fait nuit noire et le Commandant de Compagnie me désigne un endroit problématique ou je dois me rendre avec ma section pour le terrassement. Je finis par trouver l’emplacement, mais les outils manquent ; j’en envoie chercher, et pendant ce temps, je recherche l’orientation du boyau, car celui-ci n’est pas commence et c’est en rampant que je trouve les pieux servant de points de repère. Il est 22h quand mes hommes sont installes ; dés que je vois que le travail est en train, je vais m’étendre sur l’herbe humide dans la clairière, me recouvre avec la capote d’un terrassier, puis m’endors.

Lundi 16 août 1915

3h00 — Après avoir dormi un peu et fait quelques rondes le jour est venu. Le parapet est rapidement recouvert de terre noire pour être rendu invisible aux avions, puis les outils sont rassemblés, ensuite les hommes, et on part alors qu’il fait bien clair.

5h00 — Arrivée au cantonnement, on s’endort.

9h00 — C’est bien vrai que nous partons la nuit prochaine pour cantonner à l’ouest de Baconnes.

Nous resterons là quatre ou cinq jours pour effectuer certains travaux, ensuite nous retournerons à l’arrière.

11h00 — Des camarades qui rentrent de Mourmelon racontent qu’ils y ont vu le Général Joffre et son Etat-major.

15h00 — Rapport. Nous quitterons le camp à 5h30 demain matin ; l’ordre de marche est donné. Nous n’avons aucun détail sur les travaux à faire là-bas.

17h00 — Les sacs sont montés ; on attendra le dernier moment pour rouler les toiles de tente qui servent de toiture.

21h00 — Il y a contre-ordre concernant le départ, paraît-il ; nous irions sur Épernay.

22h00 — Le fourrier m’éveille pour me dire que nous partons à 3h du matin pour cantonner une nuit à Ambonnay où est papa. Ce serait vraiment de la veine si c’était la vérité.

Mardi 17 août 1915

1h30 — Réveil ; rapidement, la toiture est démontée, on fait les derniers préparatifs en vue du départ.

2h30 — Le Régiment entier, avec ses voitures et tout son fourniment est rassemblé pour le départ. Il fait une nuit très noire.

3h00 — Départ ; le jour vient. Nous traversons les baraquements militaires de Mourmelon, les casernements du 46ème d’artillerie, puis ceux du 106ème d’infanterie. Nous atteignons Livry et

prenons la route d’Épernay.

9h00 — Grand’halte. La soupe qui est cuite pendant la marche dans les cuisines roulantes, est distribuée. Nous sommes maintenant à trois kilomètres d’Ambonnay.

10h30 — Nous partons pour la dernière étape. Courte pause avant d’entrer dans le village.

11h30 — Nous défilons dans les rues bondées de civils et de dragons, nous présentons les armes au Drapeau pendant que la musique joue, et nous sommes dirigés sur les cantonnements. Aussitôt déséquipé, je vais retrouver papa que j’ai eu à peine le temps d’embrasser pendant le défilé. Nous allons ensemble chez quelques connaissances.

14h00 — La famille Cochet a l’amabilité de mettre une baignoire à ma disposition et j’en profite pour me nettoyer des pieds à la tête. Ce soir je vais coucher dans un lit, chose qui ne me sera pas arrivée depuis avril dernier. Les chasseurs et dragons qui cantonnaient ici depuis six mois partent demain pour l’Alsace. Des troupes nombreuses sont massées dans toute la région. Presque tout l’ancien 6ème Corps est rassemblé ici. Notre but est-il d’attaquer ou de repousser une attaque éventuelle de l’ennemi ? Pour l’instant les russes reculent, reculent, et

ce sera peut-être bientôt notre tour à faire connaissance avec l’offensive allemande.

19h00 — Nous dînons. Repas très gai. Conversation variée, sur les classes de tous âges qui forment actuellement les régiments, sur notre entraîne — ment, sur notre moral, etc..

20h00 — Retraite par les tambours et clairons.

21h00 — Je repose dans le lit et ne sais de quel côté me tourner. Le départ n’a lieu que demain à 5h30, on peut donc faire une bonne nuit.

Mercredi 18 août 1915

4h30 — Réveil. Je quitte le lit à regret, mais il faut partir. Vite, je m’habille, puis gagne le cantonnement de ma section où je m’équipe.

5h30 — Rassemblement. Départ musique en tête, Drapeau déployé. J’espère bien revenir à Ambonnay avant de quitter la région
.
6h30 — Bouzy, défilé au pas. Tours-sur-Marne, défilé l’arme sur l’épaule. Pause à deux kilomètres d’Athis où nous allons cantonner. C’est le siège de l’Etat-major du 32
ème Corps d’Armée et les consignes les plus sévères nous sont données concernant la tenue en ville et dans les cantonnements.

9h00 — Athis. Défilé devant le Drapeau.

Sommes conduits ensuite au cantonnement par le fourrier. Notre 2ème Section est bien logée dans une vaste ferme. Pour les quatre sous-officiers de la section, il y a une petite pièce pour loger ; nous n’y serons pas trop mal, mais toujours sur la paille bien entendu.

15h00 — Sieste. Il fait très chaud.

20h00 — Grande retraite aux flambeaux ; tambours, clairons, musique. « Marche du 94 », « Sambre-et-Meuse ». Civils et militaires suivent en chantant. Le vin n’est pas sans égayer un peu les esprits. L’effet produit par cette retraite me semble très bon.

21h00 — Extinction des feux. On s’étend sur la paille. L’adjudant et le plus ancien sergent de la section ayant pu se procurer un lit, nous ne restons qu’à deux sergents dans la baraque, ainsi que le caporal d’ordinaire qui y a élu domicile.

Jeudi 19 août 1915

6h00 — Je suis éveillé par le cuisinier qui apporte le café.

8h00 — Grand nettoyage du cantonnement. Construction de tables, râteliers d’armes. Nettoyage des cuirs, sacs et brodequins. Le Lieutenant tient à ce que la Compagnie soit dans une tenue irréprochable et nous passera une revue détaillée ce soir à 16h à cet effet.

11h00 — Rapport. Détails sur les exercices des jours

prochains : le matin, marche ; l’après- midi : jeux, sauts et causeries.

16h00 — La revue est passée très rapidement, le Lieutenant complimente la Compagnie sur sa bonne tenue.

20h00 — Retraite : clairons et tambours seulement, sans flambeaux.

Vendredi 20 août 1915

5h30 — Réveil. L’exercice commence à 6h.

5h50 — Rassemblement du Bataillon sur la route d’Épernay, puis départ. Quelques manœuvres assez ma) réussies.

7h30 — Déploiement en tirailleurs. Marche en colonne par quatre, en ligne de sections sur deux et en ligne d’escouade par un.

9h00 — Rassemblement et retour au cantonnement.

12h00 — Sieste jusqu’à 14h.

14h15 — Départ et marche jusqu’à une distance d’environ un kilomètre du village. Jeu de barres. Repos sous les arbres au bord de ta rivière. Maniement d’armes.

16h30 — Retour.
18h00 — Demain à 6h30, départ pour un « essai de revue ». Les détails manquent totalement.

20h00 — Retraite comme hier soir ; elle est de moins en moins suivie.

SEPTEMBRE 1915

Avec les premiers jours de septembre se termine la période de repos. En trois étapes, par Matougues, La Veuve et le Camp de Châlons, nous arrivons à l’arrière du front de Champagne. Trois jours passent encore à nettoyer les armes, les effets, le cantonnement. Le soir, nous allons sur le front creuser des tranchées entre les lignes allemandes et françaises, chaque fois nous sommes salués par des coups de canon. Il est à remarquer que ce front est beaucoup moins tranquille que la première fois que nous y étions venus ; le bombardement surtout est intense et chaque jour les équipes de travailleurs de nuit subissent des pertes plus ou moins fortes. De nombreuses troupes sont massées dans le camp, l’artillerie surtout est nombreuse ; on s’attend à un fort coup de tampon de notre part, mais la date et les conditions sont bien entendu inconnues. Chacun espère que cette fois les lignes allemandes seront percées et que nous obligerons ainsi l’ennemi à reporter son front plus en arrière.

Lundi 6 septembre 1915

— Ce soir nous partons pour les tranchées de première ligne que nous devrons tenir quatre jours. Nous partons à 4h, la majeure partie de la distance est parcourue dans un boyau assez

large creusé dans La craie champenoise. Ce boyau est d’une longueur inaccoutumée et nous n’atteignons le bout que vers 7h ; cette marche sinueuse entre deux parois blanches est fatigante et monotone. À ta sortie du boyau, nous sommes à quelque cent mètres de la

Suippe, et nous faisons la pause là. Nous attendons le retour des officiers partis pour reconnaître les secteurs.

20h00 — Partons en ligne, il est difficile de se diriger, tant la nuit est noire. Le chemin est long, nous ne sommes pas installés avant 23h. Peu de coups de fusil, mais le canon ne cesse guère sur un point ou sur un autre.

Mardi 7 septembre 1915

— Dès que le jour est venu, nous reconnaissons le secteur occupé depuis la veille. Les boches sont relativement éloignés et la distance séparant les lignes ne permet pas, comme en Argonne, l’échange presque continuel de bombes et grenades ; par contre les obus tombent en première ligne ; celle-ci n’est pas entièrement creusée et il faut se casser en deux pour y circuler.

— Les obus tombent un peu partout dans le courant de la journée ; nous n’avons aucun blessé. Le soir des chasseurs à pied devaient venir creuser la tranchée, mais ils ne viennent pas. La nuit est tranquille ; assez loin à droite il y a un bombardement

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