4h30 — Ceux que nous relevons sont partis. Les créneaux sont bien aménagés ; un coup d’œil à travers l’un d’eux permet de voir que les lignes allemandes sont à une centaine de mètres des nôtres, mais des boyaux inoccupés se trouvent entre les deux, et l'ennemi peut-être y vient rôder. Nous y installons un poste d’écoute.
6h00 — Presque pas de coups de fusil ; quelques crapouillots dont il faut se garer et quelques obus.
8h00 — On est assez tranquille, bien qu’on soit presque constamment obligé de regarder en l’air pour guetter l’arrivée toujours possible d’un bolide quelconque.
9h00 — C’est mon tour de prendre du repos. Je vais donc m’installer à la chambre de repos où d’autres ont pris place déjà ; on y tient à douze bien serrés et il ne faut pas songer à s’étendre ; on n’y est que pour un temps très court, d’ailleurs, presque toujours deux heures. C’est un grand gourbi souterrain recouvert de rondins et de terre pour garantir des obus de petit calibre. Un banc de terre aménagé tout autour permet de s’asseoir. On y dort d’un œil.
12h00 — Pas grand'chose de nouveau ; il arrive quelques
obus de 105 de temps à autre. Par bonheur, ils tombent en grande partie en arrière de la première ligne.
13h00 — C’est mon tour de passer au poste d’écoute, avec quatre hommes. Ce poste d’écoute se trouve bien entendu entre nos lignes et celles des allemands, à une distance d’environ vingt mètres des nôtres. On s’y rend par un long boyau recouvert de fils de fer barbelés ; des petites rotondes aménagées en certains endroits permettent de loger les guetteurs. On passe deux heures là, constamment aux aguets, les balles des deux camps passant au-dessus de nos têtes.
14h00 — Je suis assez tranquille au poste d’écoute. Je circule dans les boyaux et vais voir les guetteurs les uns après les autres.
15h00 — Mes deux heures étant achevées, je suis relevé par un autre caporal. Je suis cette fois de garde dans la tranchée, pour deux heures à nouveau ; il fait encore très chaud et toute la tranchée est en plein soleil.
17h00 — C’est cette fois à mon tour de me reposer ; j’entre à la « chambre de repos » et y dors quelques instants.
20h00 — C’est assez tranquille, pourtant des cris retentissent à notre droite ; c’est parait-il une altercation entre français et allemands, on ne sait à quel sujet. Ceci nous vaut d’avoir à nous tenir près à chaque créneau au
cas où une attaque s’ensuivrait.
21h00 — Je retourne pour deux heures au poste d’écoute ; cette fois il faut ouvrir l’œil plus que jamais, car la nuit est venue et ce sera bientôt l’heure des patrouilles allemandes ; il ne faut pas nous laisser surprendre. On fait le moins de bruit possible pour ne pas attirer l’attention de l’ennemi.
22h00 — Rien ne bouge ; faible fusillade seulement. Dans certains secteurs, à droite principalement, l’action est plus vive.
23h00 — Je prends la garde dans les tranchées après avoir été relevé du poste d’écoute ; je vais et viens pour me rendre compte si chacun veille.
Jeudi 17 juin 1915
1h00 — Je vais à la chambre de repos ; par bonheur le nombre des occupants est restreint et je puis m’étendre, ce qui me permet de dormir plus à l’aise.
3h00 — Je suis éveillé par les hommes qui prennent la garde à la relève de 3h. Tout est à peu près calme.
5h00 — Le café arrive ; je le bois puis m’étends à nouveau. Je ne suis pas de service avant 9h.
9h00 — Je reprends mon poste avec les guetteurs ; rien d’anormal. Les obus sifflent au-dessus de nous, mais ne nous atteignent pas. A droite il y a un
échange incessant de « crapouillots ». C’est un bruit assourdissant qui semble vous ballotter l’estomac.
11h00 — Je viens d’achever mes deux heures au poste d’écoute et mange maintenant ma soupe qu’un camarade m’a fait servir pendant mon absence. Un bombardement assez intense commence bientôt et on est obligé de se faire le plus petit possible si l’on veut échapper aux éclats des obus qui éclatent tout près de la tranchée.
13h00 — Je viens au repos, cependant que le bombardement continue. Je crois que les rondins et la terre qui recouvrent le gourbi nous préservent suffisamment. On vient de nous distribuer un quart d’eau, nous en avons bien besoin car la chaleur est accablante ; malheureusement, à cette eau a été additionnée une certaine quantité de permanganate qui lui donne un mauvais goût. Je crains que nous n’ayons de l’orage ce soir ; d’un côté le temps s’en trouverait rafraichi, mais d’un autre, nous serions peut-être trempés.
15h00 — Je suis toujours au repos ; il fait frais, mais nous mourons de soif et rien à boire. Nous nous demandons pourquoi on n’organise pas plus de corvées d’eau.
16h00 — La soupe arrive, on la mange ; il fait encore très chaud et le quart de vin qu’on nous distribue ne nous rafraîchit guère.
17h00 — Le Sergent me prévient qu’étant en surnombre à la Section, c’est moi qui ce soir serai chargé de conduire les travaux : pose de fils de fer, terrassements dans les sapes, réparation des créneaux. J’aurai fort à faire à ce qu’il me semble et je ne dormirai sans doute pas longtemps cette nuit. Nous souffrons toujours de la soif. Contrairement à mes prévisions, l’orage n’est pas venu.
19h00 — Le Sergent m’appelle pour l’accompagner chez le Lieutenant, au sujet des travaux. Je m’y rends, mais au lieu de m’occuper des travaux, c’est d’une patrouille qu’il s’agit. Le Capitaine commandant la Compagnie a ordonné que le caporal le plus nouvellement arrivé fasse une patrouille avec deux hommes, pour battre le terrain entre deux postes d’écoute, c’est-à-dire d’un certain rayon entre les lignes allemandes et françaises. Les patrouilles sont presque toujours périlleuses et je n’en n’ai jamais fait. J’ai aussi pour mission de m’approcher le plus possible d’un certain poste d’écoute allemand dont on ne connaît pas exactement l’emplacement.
Tout cela n’est pas très intéressant. Bref, avec mes deux hommes, je pro-fite des quelques heures qui nous restent avant de partir (car je ne dols sortir qu’en pleine nuit, à 10h), pour jeter un coup d’œil par les cré-neaux pour reconnaître le terrain et retenir quelques points de repère. La distance à parcourir est d’environ cent cinquante mètres, mais le terrain doit étre couvert de fils de fer qui ralentissent la marche.
20h00 — J’ai à peu près tous les renseignements voulus, j’ai reconnu le point de sortie et celui de rentrée ; il ne me reste plus qu’à attendre la nuit.
21h00 — La lune se lève, il ne fera pas trop noir ; c’est avantageux d’un côté, car je m’y reconnaîtrai plus facilement, d’un autre c’est nuisible, car je serai moins caché aux vues de l’ennemi.
21h45 — L’ordre est donné dans les tranchées de cesser le feu jusqu’à ce que je sois rentré, car je vais passer devant nos lignes.
22h00 — Nous enjambons le parapet d’un boyau, la patrouille commence ; nous nous dirigeons suivant l’itinéraire fixé. Nous nous traînons sur le ventre en faisant le moins de bruit possible
et en nous dissimulant derrière les hautes herbes ou derrière des arbres abattus. Souvent nous attendons quelques instants pour regarder ou écouter puis on reprend la marche rampante. Des fusées éclairantes viennent parfois nous surprendre ; brusquement on s’aplatit et on attend qu’elles s’éteignent.
— Il me serait impossible de dire depuis combien de temps je suis parti : une heure environ, et l’arbre qui se trouve à mon point de rentrée est encore bien éloigné. Il vaut mieux aller doucement et ne pas se laisser surprendre. Nous avons entendu certains bruits nous permettant de savoir approximativement l’emplacement du poste allemand. Au-dessus de notre tranchée, j’aperçois une tète. On nous demande si nous sommes bien la patrouille française, nous faisons signe que oui. Une déclivité du terrain nous permet d’avancer sur les genoux sans être vus ; c’est plus rapide, mais il y a un réseau de fils de fer barbelés presque infranchissable auquel nous nous accrochons à chaque instant. Enfin, l’homme qui marche en tête fait signe qu’il a atteint le boyau, il se fait reconnaître et descend, et ainsi de
suite pour moi et l’homme qui me suivait.
23h30 — Nous sommes sains et saufs ; j’apprends qu’il est 23h30. Notre patrouille a duré une heure et demie. J’ai à peine le temps d’aller rendre compte de ma mission au Lieutenant, que de part et d’autre commence une vive fusillade ; assez loin à notre droite, il y a une attaque. Je suis rentré au bon moment, un quart d’heure de plus et j’étals entre les deux feux ; aurais- je pu m’aplatir suffisamment pour n’être pas atteint ?
Vendredi 18 juin 1915
0h00 — La fusillade continue, moins vive cependant.
0h30 — L’attaque a cessé ; tout retombe dans le silence. Quelques fusées éclairantes illuminent encore les deux camps. Je me rends au gourbi pour faire un rapport écrit demandé par le Capitaine. Je rédige ce rapport rapidement.
1h00 — Conduit par son ordonnance à travers tout un réseau compliqué de tranchées, j’arrive au gourbi du Capitaine qui est couché. Je lui remets le rapport, puis réponds à ses questions. Après avoir été congédié, je rentre à la « chambre de repos » pour me reposer une partie de la nuit.
3h00 — Je suis éveillé par la relève. Rien de nouveau.
5h00 — Je passe au poste d’écoute. C’est tranquille.
Je n’ai qu’à surveiller si les guetteurs sont bien à leurs postes et ne s’endorment pas.
7h00 — Je quitte le poste d’écoute pour prendre la garde dans la tranchée. Là aussi, c’est tranquille. Nous prenons le café avec un morceau de pain sec et poussiéreux dedans.
9h00 — Il fait très chaud, déjà. Je vais au repos pour quelques heures.
10h00 — On distribue de l’eau en quantité suffisante, et puis elle ne contient pas de permanganate et on la boit avec plus de plaisir.
11h00 — La soupe arrive. L’ennemi nous bombarde assez violemment. Les obus tombent à quelque vingt mètres en arrière de la tranchée, mais les éclats sifflent autour de nous.
12h00 — Le bombardement continue ; les obus continuent à tomber en arrière et n’atteignent personne.
13h00 — Nous dormons dans le gourbi, pendant que l’équipe de relève veille au-dehors.
13h30 — Une corvée d’eau arrive. Chacun s’empresse autour de l’arrosoir ; par bonheur, l’eau est abondante, et c’est la seconde fois aujourd’hui qu’on en distribue. Nous emplissons nos bidons.
15h00 — Je retourne au poste d’écoute, c’est assez calme.
Quelques crapouillots à droite.
17h00 — Je prends la garde dans la tranchée. Là aussi, c’est tranquille.
19h00 — Je vais au repos ; quelques instants après m’être endormi, je suis éveillé par un caporal qui va recommencer ma patrouille d’hier soir, mais dans le sens opposé, et qui désire quelques tuyaux. Je le renseigne du mieux que je peux, sachant toute la valeur de ces renseignements. La patrouille ne partira qu’à minuit ; on s’attend à une attaque sur un secteur situé assez loin à notre droite.
20h00 — Je suis à nouveau étendu.
21h00 — La nuit vient. Le Sergent fait sortir tous les hommes du gourbi ; au lieu de se reposer à l’intérieur de celui-ci, ils pourront le faire dans la tranchée. Seuls, nous restons à deux caporaux ; en cas d’alerte, le caporal de service dans la tranchée nous préviendrait.
23h00 — Cette fois nous devons tous sortir, cependant il n’y a pas d’attaque ; c’est même relativement calme.
Samedi 19 juin 1915
0h00 — C’est mon tour de prendre le service au poste d’écoute ; il fait sombre et il faudra veiller sans cesse. La patrouille qui devait partir à minuit est déjà rentrée, elle était partie en avance et a tait très vite. Je me trouve dans une sape ou l’on y voit à peine. De temps à autre, je vais à l’extrémité du poste pour voir st les guetteurs veillent.