1h00 — Le jour commence à poindre et on commence à mieux distinguer les objets se trouvant dans le boyau. Nous n’avons pas d’alerte ; quelques balles arrivent au sommet du poste, tirées sans doute trop bas par les veilleurs de nos tranchées.
2h00 — Dans la tranchée, c’est tranquille. Il fait déjà bien clair. Un aéroplane quitte nos lignes, on ne l’aperçoit pour ainsi dire pas ; sans doute a-t-il une mission importante à remplir pour avoir pris l’air à une heure aussi matinale.
3h00 — Je fais balayer le boyau, la tranchée, et le gourbi. Comme les matins précédents, le temps est très clair ; il fera chaud dans la journée.
4h00 — Au repos. Je dors un peu.
5h30 — Distribution du café, ensuite je m’endors à nouveau. Il tombe quelques obus et quelques crapouillots à notre droite.
8h00 — Rien de nouveau. Toujours échange de projectiles au même endroit.
10h00 — Poste d’écoute. Violent bombardement. Je suis obligé de m’abriter sous la sape pour me garantir des éclats d’obus qui tombent tout autour. Par moments l’action ralentit, puis recommence ; il faut sans cesse être sur le « qui-vive ».
Pendant les deux heures que dure ma faction, c’est la même chose.
12h00 — Il fait très chaud, et jusqu’ici il n’y a pas eu de corvée d’eau. Le quart de vin distribué avec la soupe a été bien vite bu. Bombardement assez violent des deux côtés ; par bonheur les projectiles tombent derrière la tranchée et il nous suffit de nous abaisser rapidement pour nous garantir des éclats.
14h00 — Heure de la relève. Je vais au repos. Le bombardement continue toujours, les obus tombent à droite et à gauche ; on n’a aucune perte à subir.
16h00 — La chaleur est intolérable ; on peut à peine s’étendre dans le gourbi qui est occupé au grand complet, et cependant on tombe de sommeil. Toujours pas d’eau.
17h00 — Le cuisinier de la Section vient d’être tué par un éclat d’obus en nous montant le repas du soir. Moitié est perdue, les autres sections se privent toutes un peu pour que nous mangions ; nous avons ainsi suffisamment, d’ailleurs chacun a ses petites provisions auxquelles il touche dans les cas semblables.
18h00 — Conférence dans le gourbi sur la situation militaire et la durée de la guerre. Qu’on a tort de parler de cela quand on est aussi peu fixé, c’est
dire que chacun donne son avis qui est différent de celui du voisin. C’est officiel qu’au nord d’Arras nous avons repoussé une contre- offensive allemande menée par onze divisions, ce qui est un chiffre énorme.
20h00 — Je reprends le poste d’écoute ; il faut veiller, mais aucune alerte. Une compagnie voisine tend des fils de fer barbelés pour garantir sa tranchée.
22h00 — Je suis de service dans la tranchée. Un sergent, un caporal et deux hommes sont occupés à installer des fils de fer sur notre mur de sacs de terre. Je passe dans chaque travée prévenir qu’on ne tire pas dessus. Poser des fils n’est pas une agréable besogne, il faut circuler debout et on risque fort d’être aperçu de l’ennemi.
23h00 — Au moment de redescendre dans la tranchée, le sergent faillit être touché par une balle qui lui frôle la tempe gauche ; il l’a échappé belle et en reste sourd un instant.
24h00 — Je rentre au repos.
Dimanche 20 Juin 1915
3h00 — Le jour est venu. Vive fusillade venant des tranchées allemandes et qui nous oblige à prendre chacun notre poste au créneau. Vont-ils attaquer ? C’est ce qu’on se demande, car enfin, pourquoi tant de coups de fusil ? Bientôt les crapouillots
et les obus pleuvent et forment un concert admirable avec les balles. Il faut se tenir sur ses gardes pour éviter les projectiles. Pourtant les allemands ne se décident pas à attaquer.
4h00 — Je passe au poste d’écoute ; il faudra avoir l’œil, car canons et fusils ne cessent de tirer. Mes deux heures de service se passent ainsi.
6h00 — Pas de changement. Les allemands qui occupaient la tranchée hier ont sans doute été remplacés par d’autres, car de tranquille qu’elle était, la situation est devenue plutôt
mauvaise. Nous allons être relevés d’ici une demi-heure, parait-il, par une autre compagnie, pour aller cette fois en réserve.
6h30 — Toujours la fusillade et ta canonnade ; nous avons un tue et trois blessés. La relève ne vient pas. L’artillerie bombarde le boyau de communication et empêche la compagnie de relève de venir nous remplacer.
7h00 — Pas de changement, on ne peut commencer la relève. Le boyau est déjà rompu par endroits.
8h00 — Le canon cesse un instant, il faut réparer le boyau : nous ne serons relevés qu’à 13h.
8h30 — La fusillade cesse aussi, mais nous ne devons pas quitter le créneau.
9h00 — Fusillade et canonnade reprennent. Enfin, que nous veulent les Boches ?
Ils n’attaquent pas et ne cessent de tirer. Les sacs de terre formant la partie supérieure de nos parapets sont percés par leurs balles. Même les fils de fer tendus hier soir sont coupés à plusieurs endroits. Les crapouillots éclatent avec un bruit infernal.
10h30 — Insensiblement le calme est revenu et nous mangeons la soupe qui vient d’arriver, toujours sur le qui-vive, bien entendu.
11h00 — Nous avons enfin la clef du mystère, nous connaissons la cause de la fusillade de ce matin. Le ...ème Régiment d’infanterie, venant pour faire la relève dans un secteur situé à notre droite et ne connaissant pas les lieux, s’était aventuré en plein terrain découvert au lieu de prendre le boyau. Les allemands, ayant aperçu ce rassemblement, avaient ouvert le feu de leurs fusils et de leurs canons et l’avaient fait durer assez longtemps dans l’espoir de parvenir à empêcher la relève. Y ont-il réussi ? C’est peu probable.
11h30 — Nos pionniers rentrent ; le boyau est réparé et la circulation rétablie.
13h00 — La compagnie de relève arrive ; nous passons nos consignes aux remplaçants puis partons enfin. Comme d’habitude, c’est très rapidement que nous
franchissons le boyau et que nous arrivons aux gourbis de réserve.
14h00 — Nous sommes installés dans un gourbi tout ce qu’il y a de plus gourbi ; c’est un chenil, haut d’à peine un mètre, où nous sommes entasses à trente environ. On ne peut s’y mouvoir qu’à genoux ou en rampant ; le sol est recouvert de fougères sèches, le toit formé de rondins qui, à notre avis, ne suffiraient pas à nous garantir d’un bombardement éventuel. C’est là que nous coucherons, et malgré tout, je persiste à croire que nous y dormirons bien.
16h00 — Notre 75 tonne sans arrêt derrière nous et prépare sans doute une attaque pour ce soir.
17h00 — Départ d’une corvée chargée de porter de l’eau en première ligne. Je n’en fais pas partie et dors en attendant sa rentrée.
19h00 — La corvée rentre ; c’est à cette heure-ci seulement que nous mangeons la soupe ; il faut se tenir presque constamment dans les gourbis, car les obus arrivent de temps à autre, et il ne faut pas non plus que les avions allemands puissent nous repérer.
20h30 — Chacun est étendu sur sa couche de fougères poussiéreuses et ne tarde pas à s’endormir.
Lundi 21 juin 1915
5h00 — Nous avons dormi d’un sommeil de plomb et n’avons entendu ni canon ni fusillade. 6h00 — Nous prenons le café.
7h00 — Je suis appelé pour accompagner une corvée d'eau. Nous devons déjà aller chercher l’eau dans un village des environs pour la porter ensuite en première ligne.
7h30 — Nous arrivons à La Harazée, village bombardé. C’est un site magnifique entre des montagnes vertes rendues encore plus pittoresques par les innombrables petites huttes accrochées à leurs flancs ; c’est dommage que le bruit constant des canons et des fusils ne rappelle à la réalité. A droite, en arrivant à La Harazée, se trouve un petit cimetière où se dressent de nombreuses croix encore blanches sur les tombes des hommes tués. Il y a autour du village plusieurs de ces petits cimetières, paraît-il : ils sont propres avec des arceaux autour de chaque tombe. Pas un jour ne passe qu’on n’y apporte plusieurs tués.
8h00 — Les arrosoirs s’emplissent. Beaucoup de Services militaires sont établis là, entre autres un hôpital d’évacuation. On y rencontre des hommes de tous les régiments de la Division.
8h30 — Nous gravissons la côte menant à l’entrée du boyau conduisant en première ligne et rencontrons plusieurs blessés ou malades : l’un d’eux a da avoir une très forte commotion, car son regard est hagard et il semble ne plus rien entendre ; un autre a la figure couverte de sang, mais il ne doit être que légèrement atteint, n’étant pas accompagné.
9h00 — Nous sommes dans le boyau. Avec six hommes, je dois
ravitailler en eau la 11ème Compagnie qui occupe le secteur immédiatement à droite de celui que nous avons quitté hier. La distribution d’eau se fait, le plus justement possible, mais chacun n’a qu’un quart d’eau.
10h00 — Sommes revenus en réserve non sans avoir été obligés plusieurs fois de nous baisser pour éviter les éclats d’obus.
12h00 — Il tombe toujours quelques obus.
16h15 — Brusquement, le 75 commence à donner avec fureur, les coups se suivent à intervalles très courts, il tire sans doute sur les premières lignes allemandes.
16h25 — Aussi brusquement qu’il avait commencé, le 75 cesse de tirer. On entend alors une fusillade très nourrie et l’éclatement des projectiles à main et des crapouillots. Le canon allemand tire aussi sur nos lignes. Beaucoup de balles perdues viennent s’aplatir sur les arbres qui nous entourent ; il faut rentrer dans les gourbis.
16h35 — L’ordre est donné de s’équiper, c’est l’alerte ; on craint certainement que les allemands n’avancent et que nous ne soyons obligés d’aller renforcer. La fusillade est toujours très vive, l’attaque continue.
16h45 — Notre 2ème Section qui était en piquet reçoit l’ordre de gagner les boyaux pour aller en première ligne. C’est sans doute par précaution seulement.
Folio 59
17h00 — Nous sommes toujours sous les gourbis, dans l’attente. La lutte est toujours aussi chaude. Le 75 recommence à donner ; c’est un bruit assourdissant.
7h30 — Le calme semble revenir peu à peu, bien que les mitrailleuses crachent toujours. La soupe n’arrive pas, les cuisiniers ont dû être obligés de rester en chemin par suite du bombardement.
18h00 — La soupe arrive, le calme est revenu. Il faut manger la soupe très rapidement car plusieurs corvées doivent monter en première ligne.
18h15 — J’accompagne une corvée de cartouches en première ligne. En gagnant celle-ci, nous croisons dans le boyau notre 2ème Section qui n’a pas eu à intervenir et qui rentre en réserve.
19h00 — C’est très calme, avec toujours quelques coups de fusil et de canon.
20h00 — Petit à petit tout le monde rentre. Espérons que nous aurons notre nuit tranquille.
21h00 — L’attaque a repris certainement, car voilà toute la pétarade en route ; allons-nous avoir encore alerte ? Quelques gros obus allemands éclatent tout près.
21h15 — Le calme est revenu brusquement. On s’endort.
Mardi 22 juin 1915
5h00 — Quelques obus pour nous éveiller. Il paraît que vers 1h du matin il y a eu encore attaque. Pour ma part, je n’ai rien entendu.
Folio 60
9h00 — Rien de nouveau.
15h00 — Le temps se couvre brusquement ; il va faire de l’orage certainement.
15h30 — La pluie tombe très fort. Nous craignons que comme au Four de Paris, le toit ne soit traversé par l’eau.
16h00 — La pluie a passé ; le toit est encore sec, il doit être plus résistant. 19h00 — Vif commencement d’attaque qui ne dure guère que trois minutes.
19h10 — L’attaque recommence aussi vive que tout à l’heure. C’est à croire que l’on ne sera jamais tranquille.
19h20 — L’attaque a cessé. Quel est le résultat ? Peut-être est-il nul. 21h00 — Chacun repose, recroquevillé dans le gourbi.
Mercredi 23 juin 1915
6h00 — Distribution du café. Il y a encore eu une attaque cette nuit, paraît-il ; décidément les boches ont juré de ne plus nous laisser en repos. C’est aujourd’hui notre dernière journée de réserve ; espérons qu’aucun empêchement ne surviendra pour nous supprimer les quelques jours de repos auxquels nous avons droit. La pluie a tombé toute la nuit, transformant le sol argileux en une boue gluante dans laquelle