on a peine à avancer. Ceci donne une petite idée de ce que devaient être les boyaux pendant l’hiver.
7h00 — J’accompagne une corvée d’eau à La Harazée, puis en première ligne. C’est très fatigant de marcher dans cette boue et on emporte un kilo de terre à chaque pied. En allant à La Harazée, nous rencontrons plusieurs petites voitures de blessés transportant des morts. Tous sont plus ou moins mutilés, l’un d’eux a la tête complètement enlevée.
8h00 — Je suis de retour de première ligne, j’ai de la boue jusqu’aux genoux, que je suis obligé de gratter avec mon couteau. Mes molletières sont un bloc de boue.
9h00 — La pluie tombe, ce n’est pas cela qui fera sécher la boue. La situation semble calme, mais on ne sait jamais ce qui peut arriver.
12h00 — L’ordre arrive de démolir notre gourbi pour le reconstruire en l’agrandissant. Nous devons déménager notre fourniment ; je crains que la pluie ne reprenne et qu’alors nous n’ayons plus d’abri.
13h30 — Ce que je craignais est arrivé, la pluie tombe ; nous ne savons où nous mettre ; la reconstruction du gourbi était cependant en bon chemin.
15h00 — Le gourbi est agrandi, il faut maintenant le recouvrir : une corvée part pour aller chercher des rondins.
15h10 — La corvée revient sans rondins ; comment allons-nous recouvrir le gourbi ? N’aurait- on pas mieux fait d’attendre que les rondins soient là pour commencer à découvrir ? La pluie menace toujours et cette nuit nous serons sans abri.
15h30 — Il faut recouvrir avec les vieux rondins ; pour cette nuit, on se contentera de cette couverture sommaire ; en cas de pluie, nous étendrons nos toiles de tente.
15h50 — L’ordre arrive de nous équiper, il va y avoir attaque à notre gauche et il faut se tenir prêts.
15h55 — L’attaque commence, très vive, et dure assez longtemps. Le bruit court qu’au lieu d’aller au repos, nous retournerons demain en première ligne ; ce ne serait pas une agréable surprise, car voilà déjà huit jours que nous sommes de service.
17h00 — La soupe arrive. La pluie tombe. On reste équipé par crainte d’une alerte.
19h00 — L’attaque ne s’est pas renouvelée, par contre c’est officiel que demain à 3h30 du matin nous relevons la compagnie de première ligne.
20h00 — Nous sommes tous étendus sous le gourbi à peine recouvert ; il fait froid et la terre sur laquelle nous reposons est très humide. On dort cependant, et je suis sûr que nous n’aurons même pas le rhume.
Jeudi 24 juin 1915
3h00 — Le signal est donné que chacun s’équipe ; l’une après l’autre, les sections gagnent le boyau pour aller en première ligne.
3h15 — C’est notre tour d’avancer. Le boyau est plein d’eau et de boue, on y enfonce jusqu’à la cheville, c’est très fatigant.
3h30 — Nous sommes réinstallés en première ligne, chacun dans sa travée. Nous ne savons pas pour combien de temps nous sommes ici. Nous autres, caporaux, prendrons six heures de garde, six heures de repos, et ainsi de suite. D’après les renseignements tirés de la compagnie que nous relevons, le secteur est assez tranquille ; c’est plus à gauche que l’on se bat.
5h00 — Je commence par être au repos. C’est assez tranquille au-dehors. Le gourbi que nous occupons est plus vaste que celui dans lequel nous étions la dernière fois en première ligne. Il n’a par contre qu’une ouverture et il est par conséquent plus sombre ; d’un autre côté le courant d’air est évité. Il est recouvert de gros rondins et de terre, et je ne pense pas qu’un obus de petit calibre soit à craindre. On y tient à douze sans être trop serrés.
10h00 — Un brancardier vient d’être tué dans un boyau ; il appartenait à une compagnie sœur.
12h00 — Je quitte le repos pour prendre mes six heures de garde, avec deux autres caporaux. Notre tâche nous est fixée
à chacun. Je dois faire l’inventaire des grenades et des pétards, puis faire aménager des trous dans les tranchées pour loger ceux-ci. C’est rapidement fait.
13h00 — De temps à autre, je fais une petite ronde pour voir si chacun veille. Quelques crapouillots tombent à notre droite, mais généralement trop en arrière ; nous répondons par des projectiles du même genre. Il pleut un peu et la tranchée qui était presque sèche redevient boueuse.
15h00 — Un crapouillot vient d’éclater derrière la tête d’un homme de la Section et il est devenu sourd tout d’un coup ; c’est déjà la seconde fois que cet accident lui arrive. Il n’a pas perdu connaissance, mais n’entend rien ; un brancardier l’accompagne au poste de secours.
16h00 — Le soleil chauffe une ondée. Il tombe toujours quelques crapouillots, ce qui nécessite une extrême vigilance.
18h00 — Je rentre au repos. « Il paraît » que nous serons relevés dimanche matin.
21h00 — Le Sergent fait sortir tous les hommes du gourbi pour veiller et travailler au-dehors ; nous restons à deux caporaux à dormir jusqu’à notre tour de garde : minuit.
Vendredi 25 juin 1915
0h00 — Je suis éveillé par le caporal que je dois relever. Je viens de dormir trois heures et bien que la couche soit humide et dure, je serais volontiers resté
étendu quelques heures encore. Un caporal s’occupe de la pose de fils de fer avec trois pionniers, un autre et moi sommes chargés des rondes. Le calme est presque complet ; dans chaque travée il y a un veilleur, les autres qui relèveront à l’heure indiquée dorment dans un coin sous une toile de tente ou à demi enfouis dans une sape. La nuit est assez claire, de plus des fusées éclairantes illuminent le ciel à certains instants.
1h00 — Le canon gronde à gauche et la fusillade devient très vive, il y a sûrement attaque. Par dessus le parapet, nous jetons un coup d’œil dans la direction ; c’est un véritable feu d’artifice avec les fusées qui se succèdent sans interruption. C’est notre feu de la Saint Jean puisque nous sommes dans la nuit du 24 juin.
1h15 — L’attaque a cessé, ce n’était qu’une alerte.
1h30 — Le jour vient rapidement, le temps est couvert.
3h00 — La pluie commence à tomber juste comme nous commencions le nettoyage de la tranchée ; celle-ci est bientôt boueuse et glissante. On balaie quand même avec des balais quelconques, venus je ne sais d’ou.
4h00 — Nous apprenons que pendant vingt-quatre heures, à partir de 5h ce matin, nous aurons à fournir un certain nombre d’hommes pour un poste d’écoute. Ils devront rester douze heures de suite dans ce poste. Nous autres caporaux, nous relèverons toutes les six heures.
5h00 — Les hommes sont choisis, puis partent au dit poste d’écoute.
6h00 — Le café arrive ; je le bois et vais au repos.
8h00 — Bien qu’ayant veillé six heures, je n’ai pas sommeil et reste étendu sur la banquette de terre.
10h00 — Le Sergent vient nous distribuer notre quart de vin et nous annonce en sème temps que nous serons relevés demain matin. Est-ce bien certain ? Cette nouvelle est accueillie avec plaisir, car après quelques jours de réserve, nous espérons bien cette fois aller au repos.
11h00 — Je vais relever le caporal au poste d’écoute ; il parait que ça va de 5h à 11h et de 11h à 17h, six heures par conséquent.
11h15 — La relève est faite ; les hommes sont à leurs emplacements. Ce poste est très long et non couvert, celui du caporal excepté, qui se compose d’une niche dans la terre et de quelques rondins au-dessus du boyau pour garantir contre la pluie. Il y a une boue affreuse dans les boyaux du poste d’écoute.
11h30 — La soupe arrive. (Nous appelons indistinctement « soupe » tout ce que l’on nous apporte à manger, que ce soit de la viande, des légumes, ou du fromage. Nous ne touchons d’ailleurs jamais de soupe proprement dite dans les tranchées, pour cette raison que les récipients qui devraient la contenir ne pourraient pas passer dans les boyaux). Le repas se compose de rôti et de pommes de terre avec des pois nouveaux ; c’est très bon, et avec cela, il
y en a en abondance et je pense que personne ne songera à se plaindre de la nourriture cette fois-ci.
12h00 — La chaleur n’est pas excessive, mais on étouffe ; nous aurons sans doute encore de l’eau avant bien longtemps. Il tombe toujours quelques crapouillots.
13h00 — Echange très vif de crapouillots ; les allemands surtout redoublent d’activité. Un sifflement au-dessus de nos tètes, puis l’éclatement bref d’un obus ; c’est notre 75 qui a repéré le canon à crapouillots allemand et qui tente de le faire taire. Un moment, la tranquillité revient, puis les crapouillots recommencent à tomber ; alors, le 75 redouble son tir et a enfin le dernier mot.
14h00 — J’ai établi un service au poste pour que ce ne soit pas toujours le même homme qui ait la plus mauvaise place.
15h00 — La pluie commence à tomber à grosses gouttes ; je me blottis du mieux que je peux dans ma niche pour éviter l’eau. J’ai les pieds dans un lac de boue.
15h15 — La pluie tombe toujours, mais moins fort. La boue est devenue plus molle et on y enfonce encore plus.
16h00 — Les allemands commencent à nous bombarder ; au poste d’écoute, nous sommes passablement garantis des éclats. La fumée produite par l’éclatement est verdâtre et je me demande si ce ne seraient pas des gaz asphyxiants.
16h15 — Les obus tombent toujours produisant un
nuage vert qui reste au-dessus des tranchées. Je me renseigne près du Sergent ; il croit que ce sont des obus ordinaires de 105.
17h30 — Nous sommes relevés du poste d’écoute et je rentre dans la tranchée pour manger la soupe.
18h00 — Le Général passe dans les tranchées qu’il inspecte rapidement.
19h00 — Je vais au repos et m’endors aussitôt.
Samedi 26 juin 1915
2h00 — Je m’étonne qu’on ne m’ait pas éveillé à minuit, c’était mon heure de relève. J’apprends qu’un caporal seul est nécessaire pour veiller à cette heure là, c’est pourquoi on m’a laissé deux heures de plus. Rien de mieux puisqu’il n’y a pas alerte.
3h00 — Le jour est venu, je m’occupe du nettoyage des boyaux ; ils sont boueux et on a beaucoup de peine à enlever cette boue.
5h00 - Il y a eu une attaque à gauche, elle a duré peu de temps. Le café arrive.
6h00 — J’entre au repos ; allons-nous être relevés ?
7h00 — Je ne puis dormir. Nous ne serons relevés que ce soir.
9h00 — Il y a une mine qui saute à droite ; certains ont entendu des cris : encore des hommes à demi enfouis, sans doute ? À mon avis, de tous les périls
qui nous guettent, c’est la mine le plus redoutable.
12h00 — Je prends le service dans la tranchée. Les crapouillots ne tardent pas à arriver, il faut guetter avec soin. De mon côté, je m’installe entre deux gabions d’où il me sera possible d’observer tout le ciel au-dessus du secteur ennemi. La chaleur est très forte et pas d’ombre.
13h00 — Toutes les dix minutes, j’entends le coup sourd du canon à crapouillots allemand : vivement, je jette un coup d’œil et m’assure que le projectile ne vient pas dans ma direction. D’autres qui l’ont aperçu avant moi sifflent pour avertir et chacun se gare en attendant l’explosion. C’est énervant d’observer ce cylindre noir qui décrit une courbe en l’air avant de tomber. L’explosion est forte et soulève la terre des tranchées.
13h30 — Un crapouillot est tombé sur un abri de tranchée et a démoli la toiture ; l’occupant en est quitte pour la peur et une douleur bénigne au bras qui a dû recevoir un morceau de bois du toit.
14h00 — Les crapouillots viennent maintenant dans ma direction ; par bonheur, on les entend partir, et on peut suivre leur trajet en l’air et se garer au moment opportun. Je m’étonne que nous ne répondions pas à cette pluie d’explosifs.
15h00 — Les crapouillots ne tombent plus. Il fait toujours très chaud.
16h00 — Nous serons relevés demain au point du jour ; décidément, on joue avec nous : c’est notre onzième journée de service et on a bien du mal à se tenir éveillé.
17h00 — Nous mangeons la soupe.
17h05 — Une nouvelle mine saute, toujours dans le même secteur à droite. C’est loin, cependant la terre tremble jusqu’ici.
18h00 — Je reprends mon repos après avoir bu une large rasade de coco. Il fait très lourd.
19h00 — Je sommeille, mais m’éveille au moindre bruit.
22h00 — Je suis éveillé en sursaut par une fusillade d’une extrême violence venant du secteur de gauche ; c’est venu brusquement, c’est sans doute une attaque par surprise qui a été éventée au moment propice. Nous sortons du gourbi pour prendre place dans la tranchée.
22h10 — Le canon donne cette fois ; chez nous c’est tranquille, mais il faut veiller activement par crainte d’une surprise.
22h15 — Le Lieutenant m’envoie chercher. Je me rends près de lui et reçois l’ordre de me tenir à l’entrée du boyau de sortie avec deux hommes baïonnette au canon ; la consigne est de ne laisser passer qui que ce soit.