22h20 — La consigne est levée ; je rentre au repos.
22h30 — L’attaque est terminée. C’est maintenant la droite qui devient nerveuse.
Dimanche 27 juin 1915
00h00 — Je suis éveillé par le caporal de service que je dois relever. La fatigue des jours passés revient ; j’ai les jambes cassées, par moment mes yeux se ferment, cependant je veux résister.
1h00 — Avec le Sergent et un homme, je vais poser des fils de fer barbelés sur les gabions et les pare-éclats. Nous sommes grimpés sur le parapet qui est mouvant et nous risquons à chaque instant de tomber dans la tranchée. On s’arrache les doigts après les barbes du fer, la capote ou le pantalon s’accrochent, et on ne sait plus de quel côté avancer. Il fait un clair de lune magnifique et je m’étonne que les allemands ne nous aperçoivent pas.
2h00 — La pose des fils de fer est terminée ; je continue mes rondes pour vaincre la fatigue.
3h00 — Il fait grand jour ; on commence le nettoyage des tranchées.
3h30 — Le Capitaine de la compagnie de relève arrive. Enfin, c’est la relève probablement.
4h00 — La compagnie de relève arrive ; nous nous préparons à évacuer la tranchée pour revenir en réserve, un peu à l’arrière.
4h15 — Nous nous tenons toujours prêts à partir, mais le
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signal n’est pas donné. On ramasse les lunettes et les tampons pour le nez et la bouche contre les gaz asphyxiants.
4h30 — Enfin arrive l’ordre : « Première Section, sac au dos, en avant ! ». Nous défilons le long du boyau de communication et arrivons en cinq minutes à la réserve.
4h45 — Nous avons repris nos anciennes places dans les gourbis. Le nôtre qui était en voie de reconstruction et que nous n’avions pas pu terminer faute de rondins pour la couverture, a été achevé par la compagnie qui nous a remplacés et est maintenant plus confortable ; il y a même une bonne couche de paille d’étendue sur le sol.
5h00 — Chacun repose en attendant le café.
5h30 — Le café arrive ; on s’empresse de se faire servir.
8h00 — Vive attaque à notre gauche, qui commence très brusquement.
8h15 — L’attaque continue toujours ; notre secteur est très tranquille ; à peine quelques coups de fusil.
10h30 — J’étais profondément endormi, lorsqu’arrive la soupe ; je suis complètement perdu et ne sais plus s’il est midi ou 16h. Nous dormions tous, d’ailleurs.
14h00 — Je commence à nettoyer mes bandes molletières et le bas de ma capote qui sont couvertes de boue jaune. Cette boue forme des plaques sur les vêtements et ressemble absolument (la comparaison est vulgaire, mais
c’est celle qui s’applique le mieux dans ce cas) aux jambes des vaches dont la litière n’est que rarement changée. Il faut gratter au couteau, puis battre à la baguette flexible, et encore ne parvient-on qu’à enlever le plus gros.
16h00 — Nouvelle et très vive attaque, toujours dans le même secteur de gauche, comme il y a huit jours (route de Beaumanoir). L’ordre arrive de nous équiper. Nous sommes bombardés très violemment, ce qui nous oblige à nous tenir sous nos gourbis ; les obus éclatent tout près.
16h30 — L’attaque continue. Notre 75 tire sans arrêt, c’est un roulement continuel. Il nous arrive toujours des obus de gros calibre qui envoient des éclats très loin. Ce serait dangereux de sortir.
17h00 — L’attaque semble ne pas vouloir finir ; le canon et les mitrailleuses ne cessent de tirer. On entend également l’explosion des explosifs à main.
17h30 — Nous mangeons la soupe rapidement ; il tombe toujours quelques obus. L’attaque semble ralentir.
19h00 — Nous nous étendons pour nous reposer un peu. Espérons que la nuit sera bonne et qu’on ne nous éveillera pas par suite d’une alerte.
21h00 — Je suis éveillé en sursaut : « Tout le monde en tenue et dehors ! » L’attaque recommence. Allons, il était
écrit que nous ne serions pas tranquilles. Le fusil entre les jambes, nous attendons, assis sur le parapet du gourbi. C’est toujours la gauche qui donne. De nombreuses fusées sont lancées de part et d’autre pour diriger le feu de l’artillerie.
21h10 — La fusillade commence très loin à droite et se trouve accompagnée bientôt d’une violente canonnade. Décidément, les boches veulent faire la trouée.
21h20 — L’attaque de gauche s’apaise et nous rentrons. Comme le secteur est de piquet, il est fort probable que nous n’en sommes pas quittes avec cette simple alerte.
Lundi 28 juin 1915
0h15 — L’attaque recommence sur la gauche ; nous devons nous tenir prêts.
0h25 — Le calme revient très vite. Nous reprenons notre sommeil interrompu.
2h15 — Le Sergent arrive à l’entrée du gourbi et ordonne de sortir avec fusil et équipement. Il fait à peine jour et le combat fait rage à nouveau sur la gauche. La droite est calme. Nous descendons dans le boyau de première ligne pour nous rapprocher de celle-ci, au cas où l’attaque se propagerait à notre secteur. Il y a une boue épaisse dans le boyau et on enfonce jusqu’à la cheville.
2h30 — Avec un sergent et douze hommes, nous occupons une
jonction de boyaux, avec la consigne de ne laisser circuler personne.
2h35 — Le calme revient petit à petit. J’ai peine à me tenir éveillé ; nous espérions passer une nuit tranquille, et nous en sommes déjà à notre troisième alerte.
3h00 — Le jour est venu et avec lui un calme complet. Nous conservons notre poste par précaution ; d’ailleurs il faut attendre les ordres supérieurs pour rentrer.
3h30 — Nous sommes toujours là. Des crapouillots commencent à tomber en avant de nous ; quelques coups de fusil.
3h45 — Le Sergent m’envoie au Lieutenant demander si nous devons rentrer. Je fais deux cents pas et rencontre l’homme de liaison ; il apporte l’ordre de se retirer que je transmets au Sergent.
4h10 — Nous rentrons dans nos gourbis. Quelques obus tombent aux environs.
5h00 — Nous sommes à peine endormis que le café arrive ; nous préférons cela à l’alerte.
6h00 — De très gros obus, des 120 au moins, tombent dans notre coin. Un ordonnance vient d’être grièvement blessé par un éclat. Chacun se terre ; je me demande si notre gourbi résisterait à un gros obus.
7h00 — Nous sommes terriblement bombardés ; ce ne sont pas des 120, mais au moins des 210, qui creusent d’énormes trous en terre et soulèvent la grève et les branchages
à hauteur des arbres. Un sergent de la 2ème Section vient d’être blessé.
7h30 — Le bombardement est terrible, un obus vient de faire un trou énorme derrière notre gourbi ; nous sommes aplatis sur le sol qui tremble à chaque explosion. Ce n’est pas blessé qu’est le sergent, c’est tué d’un éclat d’obus à l’épaule et dans le cou.
8h00 — Un obus tombe à deux mètres derrière le gourbi, abattant un gros arbre et soulevant un nuage de poussière effrayant qui rentre dans le gourbi et nous aveugle. Le moment est terrible ; les obus sont tombés tout autour, vont-ils maintenant nous atteindre ?
9h00 — Le bombardement est moins intense, les obus tombent un peu plus loin, on se risque à sortir la tète : il y a des trous d’au moins un mètre de profondeur à quatre endroits différents, on y enterrerait deux chevaux dans chaque ; plusieurs arbres, d’une grosseur raisonnable, sont fauchés et les troncs des autres environnant sont criblés d’éclats. Nous l’avons échappé belle ; c’est la première fois que nous sommes bombardés de cette manière, c’est à croire qu’un espion est passé ici et a renseigné l’artillerie allemande. On ramasse des morceaux d’obus énormes qui sont coupants et traverseraient le corps très facilement. Ils sont encore brûlants.
10h00 — Il tombe encore des obus et pour la première fois on ne servira pas la soupe en plein air. Chacun préfère rester caché dans le gourbi, bien qu’on ne s’y sente pas suffisamment en sûreté.
11h00 — Le bombardement a presque entièrement cessé.
14h00 — C’est assez tranquille, bien que des obus tombent encore, par deux cette fois.
16h30 — Une vive attaque commence à gauche. Un distingue parfaitement le tir la mitrailleuse allemande, Le 75 entre bientôt dans la danse, c’est alors le roulement ininterrompu qui vous assourdit.
17h00 — L’ordre est donné de nous équiper ; allons-nous une nouvelle fois gagner les boyaux ?
17h30 — L’attaque continue, plus ou moins vive.
18h00 — Le canon et les mitrailleuses donnent toujours.
19h00 — L’attaque n’est pas encore terminée, mais devient moins vive. C’est regrettable que nous ne sachions jamais le résultat. Le bruit court que dans les attaques d’hier nous avons utilisé du pétrole enflammé ; c’est si monstrueux que l’on ose à peine y croire.
20h00 — Le canon et la mitrailleuse ne se sont pas encore complètement tus. Je crois que nous avons été relevés du piquet par une autre section.
Aurons-nous notre nuit tranquille cette fois ?
23h00 — Je suis éveillé par le bruit de la fusillade. Celle-ci ne dure que peu de temps. Je ne puis dormir, les jambes me font souffrir ; voilà treize jours et treize nuits qu’elles sont serrées et je ne puis enlever mes molletières que quelques minutes chaque jour ; le sang circule difficilement.
Mardi 29 juin 1915
5h30 — La nuit a été tranquille ; nous avons pu nous reposer plus qu’à l’habitude, c’était bien nécessaire. Nous comptions être relevés ce matin pour aller au repos, mais il parait que demain nous retournerons en première ligne pour deux Jours, puis reviendrons ensuite en
réserve jusque dimanche. Ce n’est pas très encourageant et ceci doit être la faute du ...ème Régiment qui a perdu des tranchées, à notre gauche sans doute.
7h00 — Le bombardement commence. Les obus tombent pour le moment assez loin de notre gourbi.
7h30 — Nos gourbis ne sont plus bombardés, mais voici que nos premières lignes, celles de notre secteur principalement, sont bombardées par des « minen ». C’est le nom que nous donnons aux projectiles lancés par les « Minenwerfer » ; leur effet est terrible. Ces projectiles, d’un poids de 80 kg sont chargés de 50 kg de tolite, explosif remplaçant la dynamite
et qui explose avec un bruit cinglant en détruisant d’un seul coup des éléments de tranchées. Heureusement que leur vitesse n’est pas énorme et qu’on les voit arriver souvent ; cependant on ne peut pas se garer et on est alors fatalement déchiqueté.
8h00 — Ces minen tombent toujours ; pour nous qui sommes en arrière il n’y a rien à craindre, mais la situation de ceux qui gardent les premières lignes doit être précaire. D’ici nous voyons les nuages de fumée noire s’élever des tranchées après l’explosion du projectile.
8h10 — Je dois accompagner une corvée de pétards en première ligne, et à cet effet me rends tout d’abord au dépôt de munitions.
8h15 — En même temps que ma corvée en arrive une autre au dépôt, celle-ci venant de La Harazée ; un des hommes vient d’apprendre que le 94ème serait relevé cet après-midi par le ...ème Régiment. Ceci ne coïncide guère avec les nouvelles de ce matin qui nous faisaient rester cinq jours encore. Cependant j’espère que ce dernier tuyau sera le plus exact.
8h30 — Je suis en première ligne avec la corvée. Les hommes qui gardent ces tranchées sont tous aux aguets, craignant à tout instant l’arrivée d’un minen. Ils ont eu plusieurs blessés déjà et des éléments de tranchées détruits.
9h00 — Je rentre au gourbi de réserve où le bruit court avec persistance que nous partons ce soir. On ose à peine espérer, de crainte d’une désillusion.
10h00 — La soupe arrive. Les minen tombent moins nombreux. Quelques obus arrivent jusqu’à nous.
13h00 — Un détachement du ...ème arrive réellement, c’est le commencement de la relève sans doute. Les officiers se passent les consignes, c’est donc bien certain que nous partons. Chacun se sent le cœur plus léger.
13h10 — L’ordre est donné de s’équiper et de boucler les sacs. Une compagnie du ...ème arrive.
13h30 — Tous équipés, nous gagnons le boyau de communication vers l’arrière que nous suivons d’un pas rapide ; nous avons hâte de sortir de la zone dangereuse.
13h40 — Nous passons devant les gourbis de réserve de Beaumanoir, où se trouve le ...ème Chasseurs.
13h50 — Nous arrivons au sommet du ravin qu’il faut suivre pour gagner la route de Vienne- le-Château. Les obus éclatent pas loin et les éclats arrivent jusqu’à nous.
14h00 — « Halte ! » On nous fait signe de mettre sac à terre et de nous asseoir. Chacun s’abrite derrière un parapet naturel, car les obus tombent toujours. Que