Ambonnay, 2 décembre 1915 Ma chère Mathilde,
Je suis allé hier à MOURMELON et après bien des recherches dans le cimetière, j'ai enfin trouvé la place où repose notre pauvre Maurice.
Nous étions à MOURMELON à 9 h 30 et M. GABREAU et moi nous nous sommes mis à chercher sur toutes les petites planchettes placées à la tête de chaque corps, car le cimetière n'est pas encore organisé complètement et on y amène encore des corps de soldats tués sur le champ de bataille ou dans les tranchées de la région ; il y a des équipes de fossoyeurs, mais personne ne pouvait me donner le renseignement demandé et il y a encore beaucoup de tombes qui ne sont pas étiquetées.
A 11 h 00 en désespoir de rien trouver nous sommes allés mettre le cheval à l'écurie et prendre des informations dans le pays. Le secrétariat de mairie n'ouvrait cette fois qu'à 2 h 00 et j'y suis allé pendant que M. GABREAU attelait.
Le secrétaire de mairie avait bien en les listes et le plan, mais il les avait confiés aux militaires chargés d'organiser le cimetière ; je suis enfin allé trouver un sergent avec lequel nous avons cherché dans les listes et j'ai trouvé au n° 424 fosse K le nom de LASALLE Pierre sergent 10à" compagnie 94ème régiment d'infanterie n°467 du recrutement de Reims ; cela ne faisait plus de doute , avec le plan nous avons de suite trouvé la tombe K qui contient 42 corps du n° 402 au n° 444, il ne restait plus qu'à mesurer pour trouver l'endroit, ce que nous sommes allés faire au cimetière à
quelques centaines de mètres de là, et j'ai enfin pu m'agenouiller près du corps de notre malheureux enfant. Il est le 2ème qu'on reconnaît de cette fosse qui ne comporte encore aucune indication.
Tu penses ce que ce voyage aura eu de pénible pour moi qui l'avait fait si bon en août ; que de pleurs ira-t-on verser sur toutes ces fosses qui comportent déjà plus de 2000 tombes.
Samedi je te donnerai un peu plus de détails ; seulement nous allons essayer d'aller à MOURMELON en partant de CHALONS ; je vais me faire faire un sauf conduit en conséquence et de ton
côté tu en demanderas un samedi pour dimanche en donnant le motif du voyage exact.
Tu t’informeras de l’heure du départ d’un train le matin et nous rentrerons par le train de 4h30 à Mourmelon. S’il y avait un empêchement quelconque nous remettrions le voyage à un autre jour. Il faudra acheter une couronne et nous verrons si on doit faire poser petite pierre comme il en existe déjà sur d’autres.
MINA m’a demandé de descendre chez elle, DONAT nous conduira en voiture car il serait impossible d’aller autrement au cimetière et à MOURMELON LE GRAND tant que les chemins sont impraticables avec le mouvement de
voitures militaires qui existe et la boue liquide qui atteint 10 cm par place.
J’ai eu le cœur bien gros hier et aujourd’hui ; pourquoi doit-on vivre des heures si angoissantes en recherches pénibles qui doivent amener à une réalité aussi terrible ?
Pourquoi avons-nous mérité de souffrir pareillement ! J’attends samedi soir avec impatience. Je serai en mesure d’aller à MOURMELON et nous ferons comme nous pourrons.
Je vous embrasse toutes les trois de tout cœur. H. LASALLE