MORT DE MAURICE LASALLE

Maurice Lasalle fut tué à son créneau le 26 septembre 1915, d’une balle dans la tête comme son camarade Quintin, à environ vingt kilomètres de son village, quelque part dans la région Aubérive — Souain – Tahure.

Fiche de Maurice Lasalle, mort pour la France, issue du fonds Mémoire des hommes

Sa mort survint le 26 septembre 1915. Il s'agissait du deuxième jour de l’offensive champenoise, plus connue sous le nom de "Seconde bataille de Champagne". Celle-ci témoignait du sacrifice de l’infanterie française. Si nous nous référons à l’histoire militaire, il semblerait que tout commença par un bombardement qui dura 75 heures à partir du 22 septembre à 9 heures et 15 minutes, ce qui explique le peu de notes prises par Maurice Lasalle durant les deux derniers mois. La préparation d’artillerie eut une intensité jusque-là inouïe, car 900 canons lourds de campagne furent groupés. L’offensive fut fixée par Foch au 8 septembre, mais fut finalement repoussée au 25 septembre. D’après André Laurent ; « le pilonnage s’abattit d’abord sur les cantonnements, gares, voies de communication, postes de commandement d’artillerie ennemie décelés par la photographie aérienne et soumis au feu des pièces de gros calibre. Puis ce fut le tour des abris et des premières lignes sur lesquels pleuvaient torpilles et obus ». Lasalle fut probablement tué dans une tranchée allemande de première ligne conquise la veille.

Les deux dernières lettres de Maurice Lasalle furent écrites et envoyées le 24 septembre 1915. Dans la première, il témoigne des bombardements continus sur les lignes ennemies, « c’est à devenir fou, tant les sifflements et les éclatements se suivent de près ». Il supposait que l’attaque aurait été lancée le lendemain pour percer le front allemand. Dans la seconde lettre, il accusa une bonne réception de la carte du 20 septembre, espérant par ailleurs que « la solution arrive certainement ». Son père Henri reçut la première lettre du 24 septembre le samedi 2 octobre, ayant déjà pour habitude de recevoir le courrier de Maurice à raison de 8 jours de décalage. Le 6e corps d’Armée du Camp de Coëtquidan envoya le 26 octobre 1915 au maire d’Ambonnay un courrier visant à informer Henri Lasalle de la mort de son fils. Maurice fut tout d’abord inhumé au cimetière militaire de Moumelon-le-Petit (Marne), dans une fosse commune, avec une cinquantaine d’autres soldats. Dans une lettre du 2 décembre 1915 adressée à sa femme, Henri Lasalle témoigne de sa venue au cimetière de Mourmelon-le-Petit pour retrouver les restes de son fils : « [...] je suis enfin allé trouver un sergent avec lequel nous avons cherché dans les listes et j’ai trouvé au n° 424 fosse K le nom de LASALLE Pierre sergent 10e compagnie 94e régiment d’infanterie n° 467 du recrutement de Reims ; cela ne faisait plus de doute, avec le plan nous avons de suite trouvé la tombe K qui contient 42 corps du n° 402 au n° 444, il ne restait plus qu’à mesurer pour trouver l’endroit, ce que nous sommes allés faire au cimetière à quelques centaines de mètres de là, et j’ai enfin pu m’agenouiller près du corps de notre malheureux enfant. Il est le 2e qu’on reconnaît de cette fosse qui ne comporte encore aucune indication. »

 

Plan donné à Henri Lasalle pour pouvoir retrouver son fils dans la tombe collective au cimetière militaire de Mourmelon, ainsi apparaît la tombe K en rouge, contenant les corps numérotés de 402 à 444 (Coll. Jean-Marie Loret).

Quatre ans plus tard, en 1919, les autorités militaires firent procéder à l’exhumation des cadavres des soldats enterrés dans des tombes collectives, en présence des familles qui souhaitaient y assister. Henri Lasalle retourna ainsi au cimetière de Mourmelon, en compagnie de l’abbé Fendler, curé de Sillery. Ils reconnurent les restes de Maurice Lasalle qui furent ensevelis et inhumés dans une tombe individuelle du même cimetière visible ci-après.

Maurice Lasalle est cité parmi les Morts pour la France de la commune de Sillery, apparaissant dans le livre d'or établi par le ministère des pensions selon la loi du 25 octobre 1919.
 

Tombe de Maurice Lasalle au cimetière de Mourmelon (Marne) — Vers 1919, (Coll. Jean-Marie Loret).

Henri Lasalle put enfin récupérer le corps de son fils qui, bien qu'enterré dans une tombe lui rendant honneur à Mourmelon, devait reposer dans son village natal. Un laisser-passer fut nécessaire pour permettre ce douloureux transfert.

L’inhumation définitive eut lieu quelques mois plus tard dans la tombe familiale du cimetière communal de Sillery. En effet, les familles n’étaient officiellement autorisées à récupérer le corps de leur soldat mort au combat qu’après la loi du 31 juillet 1920. Cette loi permit la restitution gratuite des corps à la charge de l’État afin de combler le deuil inachevé des familles (les opérations dites d’exhumations-transports de corps et de ré inhumations).

Tombe de Maurice Lasalle, avec ses décorations, cimetière communal de Sillery (photographie prise le 06/10/14) 

La tombe fut le lieu de rendez-vous dominical pour la famille Lasalle. Mathilde Lasalle- Henrion ne s’habilla plus qu’en noir après la mort de son fils. Le corps de Maurice fut rapatrié puis inhumé le 22 novembre 1920. Lors de la cérémonie, l’abbé Fendler rendit hommage à l’enfant de Sillery, dont « la trop courte existence [...] fut marquée par une volonté ferme et tenace d’accomplir aussi parfaitement que possible son devoir devant l’austérité duquel jamais il ne recula. » La Médaille militaire fut décernée à la mémoire du Sergent Maurice Lasalle le 18 mai 1921. Cette décoration fut annoncée à son père, dans un courrier expédié par le 94ème R.I. et envoyé à l'adresse de Monsieur Cochet, à Ambonnay, où il passa une majeure partie du conflit. Un autre courrier du Ministère de la Guerre confirme l'attribution de cette distinction.

Le soldat fut décrit comme étant un « Sous-officier énergique et brave. Glorieusement tombé au champ d’honneur le 25 septembre 1915, en Champagne. Croix de guerre avec étoile de bronze ». De plus, les deuils personnels, comme celui de Maurice Lasalle, peuvent faire l’objet d’études particulières. Ainsi, d’après Stéphane Audoin-Rouzeau, les deuils peuvent être observés dans différents « cercles de sociabilité ». Le premier cercle se forme autour des soldats, dans l’immédiat, au front. Comme le soldat Lasalle en fut témoin pour son ami Pierre Quintin, ce deuil s’opère par l’entretien des tombes par les amis soldats. Le second cercle de deuil correspond à la famille étroite, Henri et Mathilde Lasalle, le troisième à la famille proche : les familles Cochet, Gross, Chardonnet, l’abbé Fendler.

Enfin, le quatrième et dernier cercle correspond à la famille éloignée et aux amis, dans le cas de Maurice Lasalle, il semble se constituer après le conflit, notamment lors du retour des restes de Maurice à Sillery. Comme Henri et Mathilde Lasalle, un million de parents ont perdu un fils, 2,7 millions de proches ont été affectés par une perte et environ 30 à 40 personnes ont été touchées par la mort d’un soldat. N’occultons pas le fait que le travail de deuil demeura difficile lorsque les familles étaient privées des corps, soit pour des questions de droit, soit en raison du devenir du corps du soldat : disparu (260 000 en France), ou impossible à reconnaître et non identifié (environ 200 000). Enfin, l’église de Sillery perdit l’ensemble de ses vitraux au cours des bombardements. Le gros-œuvre de la reconstruction de l’édifice eut lieu de 1922 à 1925. Les vitraux installés étaient simples et temporaires, d’en l’attente d’un remplacement prochain. La famille Lasalle fit un don pour la reconstruction de l’un d’entre eux, dédié à saint Maurice :

Vitrail de l’église Saint-Remi de Sillery (photographie prise le 30/10/2014), dédicace du vitrail.

La symbolique choisie ici par la famille est forte. Maurice d’Agaune, devenu saint était un soldat copte (originaire de Thèbes, situé dans l’actuelle Égypte) du IIIe siècle converti au christianisme. Mort en soldat pour son culte proscrit, la palme qu’il tient dans sa main gauche renvoie à l’idée de martyr. Outre le fait que l’étymologie grecque du mot « martyr » renvoie à celui de « témoin », la famille rendit hommage au soldat par la figure d’un saint du même nom, et avec un destin relativement similaire. Par ailleurs, saint Maurice est fêté le 22 septembre, soit à 4 jours près de la mort de Maurice Lasalle.

Monument aux morts de Sillery, au pied de l'église (photographie prise le 06/10/14) 

DISCOURS DE L’ABBÉ FENDLER

« Le 11 novembre dernier, le monde officiel et le peuple de Paris tout entier glorifiaient le héros anonyme en qui s’incarnaient l’endurance, la bravoure et l’héroïsme de la race, et la nation entière s’associait intimement à cette glorification, à ce témoignage de reconnaissance au soldat Français tombé glorieusement pour la défense du pays.

Aujourd’hui la petite patrie, la terre natale et SILLERY représentée par vous tous affectueusement et respectueusement pressés autour de ce cercueil et d’une famille en deuil, glorifie un de ses enfants, Maurice LASALLE, sergent au 94ème Régiment d’infanterie tombé glorieusement le 26 septembre 1915 à l’offensive de Champagne.

Tous nous rendons un solennel et suprême hommage à sa vaillance et à son sacrifice ; et par votre présence vous tenez à affirmer à sa chère famille que son deuil est votre deuil et que vous partagez aussi intimement qu’il est possible sa tristesse et sa désolation.

La trop courte existence de Maurice fut marquée par une volonté ferme et tenace d’accomplir aussi parfaitement que possible son devoir devant l’austérité duquel jamais il ne recula.

Bien que jeune, mais déjà mûr pour l’action, son désir de se créer une situation, lui fit quitter les siens qu’il aimait tant pour aller se fixer à l’étranger et y étudier les langues dont la science devait lui rendre plus facile la lutte pour l’existence.

C’est cette fermeté qui le domine et maîtrise une émotion bien naturelle quand le 16 décembre 1914 il quitte les siens pour la Bretagne où il va s’initier à une vie toute nouvelle, celle du combattant.

Le 1er juin 1915, il est au front d’ARGONNE aux premières lignes sur les abords du bois de la Gruerie, il accepte bravement le devoir imposé, son journal intime en fait foi : là il est ce qu’il a toujours été, brave, courageux, tenace.

Le 2 juillet 1915, tous préparatifs faits pour une charge à la baïonnette, Maurice écrit : « Bien que ce ne fut pas une perspective bien intéressante, nul d’entre nous ne tremblait ».

Le voici maintenant au front de Champagne occupé aux préparatifs de la future attaque. L’avant veille de sa mort écrivant à son cher papa sa dernière carte il annonce l’offensive toute proche et conclut « Espérons que cette fois-ci nous briserons le front allemand ».

Le 25 septembre, Maurice part à l’assaut des lignes allemandes avec au cœur l’espérance de la victoire et le 26 il tombe glorieusement dans la tranchée conquise la veille, entrevoyant déjà la réalisation de son cher espoir. « Il s’était conduit en brave la veille à l’attaque du 24 et c’est dans une tranchée boche conquise la veille qu’il a été frappé », écrivait son commandant de compagnie qui un peu plus tard tombait à son tour : témoignage précieux valant les plus belles citations, d’un chef qui vivait de la vie de ses hommes et était à même de les apprécier et de les juger.

En songeant à l’héroïque sacrifice de celui dont nous honorons les cendres et la mémoire, sacrifice qu’aucune récompense humaine ne peut solder, nous nous souviendrons d’une promesse de Jésus-Christ notre Maître, parole qui sera consolante dans notre grande tristesse, parents et amis qui m’entendez : « l’heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de l’homme et en sortiront : ceux qui sauront faire le bien ressusciteront pour la vie ». Parole d’espérance qui si elle doit s’appliquer au commun des Chrétiens, s’applique à plus forte raison à tous ceux qui comme Maurice Lasalle ont tout donné, même leur vie pour le bien commun.

En attendant la réalisation complète de cette promesse, nous avons l’espoir, pourquoi ne dirais-je pas la conviction que l’âme de celui que nous pleurons a reçu de Dieu l’accueil réservé aux prédestinés et qu’elle continue là haut les relations d’affections inaugurées ici-bas.

Fidèles au culte que nous avons voué à tous ceux qui sont particulièrement de votre héroïsme, mon cher Maurice, nous évoquerons votre exemple de fermeté et d’endurance et en passant devant notre dernière demeure, par reconnaissance nous prierons pour vous.

Toute à l’heure votre corps sera confié à la tombe familiale, en attendant la résurrection dernière, au milieu de vos ancêtres que vous avez magnifiquement honoré par votre suprême sacrifice, reposez en paix.

Et vous parents éplorés, qui dans votre désolation, avez le droit d’être si fier de votre enfant, soyez persuadés que de tout cœur, tous fidèles, amis et pasteur nous nous associons à votre douleur et à votre peine, que cette communion dans le même deuil et la même affliction fortifie encore s’il est possible les liens de chrétienne affection qui nous unissent.

22 novembre 1920 Louis FENDLER »

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