ALEXANDRE-THÉODORE BRONGNIART (1739-1813)

La chance a favorisé Brongniart : sa carrière s'est déroulée sans presque d'interruption du règne de Louis XV au premier Empire. Tout le fonds de ses dessins nous est parvenu, ce qui est rare dans le cas d'un architecte indépendant. Constructeur de la Bourse, sa célébrité reste attachée à cet édifice connu sous le nom de Palais-Brongniart, qui occupe constamment l'actualité. Son père, d'origine artésienne, était apothicaire rue de la Harpe et enseignait au collège de Pharmacie. Par sa mère, il était parent du chimiste Fourcroy. Il fit de bonnes études classiques au collège de Beauvais. Issu d'un milieu éclairé, il fit siennes les idées nouvelles et les ambitions de son temps. Son père le destinait à la médecine ; il préféra le dessin et l'architecture, s'inscrivit à l'Académie comme élève d'Hubert Pluyette. Il y suivit les cours de Blondel, qui l'estimait pour sa culture générale. Des prix d'émulation lui furent décernés, en 1763 pour la façade d'un théâtre, en 1764 pour l'entrée principale d'un arsenal. Boullée le reçut aussi parmi ses élèves et lui témoigna toujours son attachement. Brongniart réussit parce que des aptitudes égales le disposaient à la vie mondaine, aux affaires, au maniement de l'équerre et du compas.
En 1767, il épousa Louise d'Aigremont, qui était la petite-fille de l'architecte du roi Michel-Barthélemy Hazon. Cette personne d'esprit tenait un commerce de lingerie dans le quartier du Temple. Pour trouver des occasions de bâtir, Brongniart se fit d'abord agent immobilier. Son activité fut inséparable de la spéculation foncière qui transformait Paris et faisait naître de nouveaux quartiers sur les deux rives de la Seine. Des communautés religieuses qui possédaient des terrains inoccupés les cédaient à des gens d'affaires selon le système de l'emphythéose ; il s'agissait d'un bail à long terme qui obligeait le preneur à bâtir ; la nue-propriété restait au bailleur, dont les héritiers devaient reprendre possession du sol et des immeubles au terme de quatre-vingt-dix-neuf ans. C'est ainsi que Brongniart et plusieurs de ses confrères édifièrent le quartier de la Chaussée-d'Antin sur les terrains vendus par la communauté trinitaire des Mathurins. En 1769, Brongniart associa ses affaires à celles de l'entrepreneur Le Tellier ; dans la suite, il traita avec d'autres spéculateurs comme Sainte-Croix et Bouret de Vézelay. Des rues nouvelles étaient ouvertes avec le concours de la Ville et sur arrêt du Conseil du roi. Des passages et des impasses désenclavaient les parcelles comprises à l’intérieur des îlots. Les architectes et leurs associés faisaient, connaître ces lotissements par des documents publicitaires. Dans plusieurs cas, Brongniart acquit le terrain à son nom, pour le revendre à condition d'y bâtir.

A l l'emplacement de l'actuelle cité d'Antin, il édifia en 1770 l'hôtel de Jeanne Béraud de La Haye de Riou, veuve du marquis de Montessori qui épousa officieusement, en 1773, le duc d'Orléans. Le plan était traditionnel. Un long passage voûté reliait la rue à la cour ; grâce à des acquisitions nouvelles, le jardin s'étendit vers la rue Taitbout. De ce côté une façade rythmée de pilastres ioniques s'inspirait des exemples donnés dans le quartier par Boullée. Entre cette propriété et la rue de Provence sur un terrain vendu également par Brongniart, fut édifié l'hôtel du duc d'Orléans ; ici, nous avons peine à discerner ce que fut la part de Brongniart et celle de son confrère Henri Piètre, architecte ordinaire du prince.-Les deux habitations furent réunies, d'abord par un berceau de charmille, plus tard par un bâtiment bas. La marquise, qui ne pouvait paraître à Versailles, donnait sur son théâtre privé des représentations très suivies ; à la Chaussée-d'Antin, son époux échappait aux fastes officiels du Palais-Royal.

À l'angle de la Chaussée-d'Antin et du Boulevard, Brongniart bâtit un hôtel pour Bouret de Vézelay, qui en céda l'usufruit à un personnage aussi fastueux que décrié, Radix de Sainte-Foix. L'architecte se joua d’une double difficulté, causée par le plan irrégulier de la parcelle et la dénivellation du sol. Trois corps de bâtiments entouraient une terrasse qui prenait vue vers lé- Boulevard. Sur le jardin — au cœur d'un îlot où bâtirent Ledoux, Liégeon, Cellerier, Cherpitel et Ramée la façade était décorée d'un long bas-relief de Clodion, qui a appartenu en ce siècle à la famille Lebaudy.

Les autres hôtels construits par Brongniart sur la rive droite furent celui de La Massais, à l'angle de la rue Choiseul et du Boulevard -l'hôtel Taillepied de Bondy, rue de Richelieu, Celui de Courcelles, place Beauvau, la maison de mademoiselle Dervieux, rue Chanteraine, qu'agrandit son amant, Bélanger. Une petite maison, Chaussée-d'Antin, dont nous avons publié l'élévation, fut habitée par MI' Carotte, puis par les Valence-Timbrune, amis de Mme de Montesson. Une spéculation réalisée entre la rue de l'Arcade et la Ferme des Mathurins permit d'y bâtir une maison pour M. Grisard de Baudry.

Dans ce quartier en plein essor, la vie religieuse dépendait de deux églises assez lointaines, Saint-Eustache et la Madeleine de la Ville-l'Évêque. L'archevêché envisagea de transférer les Capucins de la rue Saint-Honoré, pour qu'ils deviennent à la Chaussée-d'Antin les desservants d'une paroisse nouvelle. Les religieux auraient préféré se désaisir de leurs bâtiments de la rue Saint-Jacques ; ils se soumirent cependant à la volonté du lieutenant de police, Lenoir, et à celle de Loménie de Brienne, qui présidait la Commission des Réguliers. Face à l'hôtel de Montesson, des terrains apparte­naient à Henri Piètre, qui y projeta une église. Mais Brongniart put faire prévaloir une combinaison qui lui était favorable. Il édifia couvent et église en 1782. À cette occasion, la rue Sainte-Croix prolongea la rue Caumartin, la rue neuve des Capucins (Joubert) fut ouverte dans l'axe du couvent ; au total, l'opération contribua beaucoup à l'embellissement du quartier.

Considérés dans leur apparence première, les Capucins d'Antin sont peut-être l'œuvre la plus originale de Brongniart, la mieux située dans son contexte urbain. L'artiste, aimable et prudent dans son architecture mondaine, a fait ici un choix radical en adoptant l'ordre grec archaïque, dont l'austérité s'accordait d'ailleurs à la discipline d'un ordre mendiant. Dans le cloître, les colonnes paestumiennes n'ont pas plus debase que les moines n'avaient de souliers. Il faut aujourd'hui faire un effort pour se représenter le dépouillement intérieur de l'église, dont les parois ont été livrées aux peintres sous Louis-Philippe. Elle n'avait d'autre décoration qu'une grisaille de Gébelin et que le réseau de ses joints d'appareil. À l'abside du choeur répondait en avant la demi-lune du tambour, transposition d'un plan romain. La tribune communiquait de plain-pied avec les cellules monacales. Selon le projet de Brongniart, la façade du couvent sur la rue Caumartin comprenait peu d'ouvertures. Il fit accepter aux religieux deux bas-reliefs de Clodion, Saint Louis rendant la justice et La Mort de saint Louis devant Carthage. Sous l'Empire, quand le couvent eut fait place au lycée Bonaparte, Brongniart put lui-même adapter son œuvre à sa destination laïque ; il supprima les bas-reliefs et ouvrit des fenêtres. L'église resta paroisse Saint-Louis-d'Antin ; le couvent est aujourd'hui le lycée Condorcet.

Au faubourg Saint-Germain, Brongniart édifia, rue Saint-Dominique, sur un terrain vendu par le banquier La Borde, l'hôtel de Catherine Brignole, épouse séparée de corps éi de biens du prince de Monaco. Elle était maîtresse du prince de Condé, qu'elle épousa plus tard en émigration : ainsi, deux égéries princières avaient ménagé à l'insinuant Brongniart, sur les deux rives de la Seine, des positions symétriques. L'hôtel de Monaco nous est connu par des dessins de Brongniart, des estampes et des descriptions. Au temps où il fut bâti, la conception de l'hôtel seigneurial ou princier se transformait sous l'influence du palladianisme. Cette évolution tendait à effacer le plan en U, qui jusqu'alors avait déployé de part et d'autre de la cour les bâtiments bas des communs. Ici, Brongniart conçut un simple corps de logis entre cour et jardin, sans toutefois l'isoler comme un pavillon ou une villa. L'édifice, « double et profondeur », conservait deux longues enfi­lades, comme dans les hôtels traditionnels. Le centre de l'élévation sur la cour s'animait d'une avancée semi-circulaire, comprise dans l'ordonnance toscane du rez-de-chaussée ; l'ordre colossal régnait du côté du jardin. Cet hôtel fut décoré par Cauvet, qui accepta des suggestions judicieuses de la princesse ; elle fit ainsi remanier la corniche du grand salon, pour qu'il s'y trouvât un ove à l'aplomb de chaque modillon. Cet hôtel a été rebâti sous Louis-Philippe pour William Hoppe, par Achille Feydel — presque inconnu des historiens de l'architecture, bien que Delacroix le nomme à deux reprises dans son Journal comme un de ses amis.

Catherine Brignole recommanda Brongniart à son amant quand il voulut loger sa fille à proximité du' Palais Bourbon- L'architecte avait acquis de la famille de Maupeou des terrains entre la rue de Babylone, le boulevard--des-.invalides et la rue Plumet. Solidairement avec sa femme, Brongniart revendit au prince de Condé une parcelle, devant laquelle fut bientôt ouverte la rue Monsieur: Chez une jeune fille de condition princière, la discrétion s'imposait. Il convenait que l'entrée fût sévère, la grâce réservée aux appartements. Pour le portail, Brongniart semble avoir accepté quelques corrections de Peyre, qui exerçait l'autorité *d'un maître auprès du prince de Condé. Brongniart revint au plan traditionnel, fit orner les ailes de la cour par Clodion, dont les bas-reliefs sont aujourd'hui pour l'essentiel à New York. Ni pilastres ni colonnes ; les façades sur cour sont plates, comme celles de l'hôtel de La Môle évoquées dans Le Rouge et le Noir. La forme circulaire est réservée au salon central sur le jardin (1780-1782).

Louise Adélaïde de Bourbon était une princesse remarquable par sa beauté, ses talents musicaux, sa piété, la sérénité de son caractère. Il ne s'était pas trouvé pour elle un parti princier. Lors d'un séjour à Bourbon-l'Archambault, elle s'éprit d'un jeune officier breton, M. de La Gervaisais, simple gentilhomme qu'il ne lui fut pas permis d'épouser. Elle fut abbesse de Remiremont et, sous la Restauration, établit dans le quartier du Marais les bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement. Son hôtel de la rue Monsieur abrite aujourd'hui une école ménagère. Il conserve une partie de son décor, surtout celui du salon circulaire, dont s'est inspiré librement le graveur Dequauviler pour son Assemblée au concert dédiée à Mlle de Bourbon-Condé. L'on aurait tort d'attribuer à Brongniart le vestibule, qui a été redécoré par l'architecte Dainville en 1880.

Les archives, en particulier celles de Chantilly, ont permis à Mlle Anne Dufour de retracer l'histoire de cette construction et de son ameublement. Brongniart s'était engagé, comme l'aurait fait un entrepreneur, à livrer l'hôtel clés en main. Il y parvint, mais semble avoir fait une opération blanche, puisque les 400 000 livres stipulées par-devant notaire servirent à dédommager ses créanciers. Cependant, il avait pris pied dans ce quartier, où subsiste plus d'une de ses œuvres : l'hôtel de Montesquiou, rue Monsieur, et celui de Masseran, dans la rue de ce nom, sont de très belles constructions. L'hôtel de Boisgelin a été remanié dans un stge Marie-Antoinette qui n'est pas celui de Brongniart. Le temps a mieux respecté la propre maison de l'architecte, à l'angle du boulevard des Invalides et de la rue Oudinot. Le pavillon des Archives de l'ordre de Saint Lazare est connu par la gravure.

En décembre 1782, Boullée renonça en faveur de son élève à ses fonctions de contrôleur des Invalides et de l'École militaire. À ce titre, Brongniart fut logé dans le premier de ces édifices et travailla à l'achèvement du second. Il fit en particulier les constructions — et les démolitions — qui permirent d'aménager dignement l'entrée de l'école et d'ouvrir dans son axe l'avenue de Saxe. Le quartier des Invalides, sillonné par les avenues de Breteuil, Villars, Ségur et Lowendal, doit son tracé à Brongniart : l'architecte y aurait étendu ses entreprises si la Révolution n'avait éclaté. C'est cependant à l'occasion de ses travaux à l'École militaire, que le ministre de la Guerre, M. de Ségur, appela Brongniart à construire, dans l'un de ses fiefs, la jolie église de Romainville. Adopté par la société élégante, Brongniart excella dans l'aménagement des jardins paysagers, domaine où s’épanchait alors la nostalgie des « âmes sensibles ». À Maupertuis, propriété du marquis de Montesquiou (commune de Saints, Seine-et-Marne), il poursuivit les embellissements réalisés par Ledoux. L'Élysée, jardin peuplé de « fabriques » fut conçu comme le lieu d'une méditation sur le passé, sur l'amour et sur la mort. Il s'étendait dans le vallon de l'Aubetin, en contre-bas des hauteurs arides où Ledoux avait établi le château. Mme Vigée-Lebrun a admiré, Delille à chanté, Hubert-Robert et Châtelet ont peint lepaysage et les motifs architecturaux qui l'animaient ; ce furent la Chaumière, le pavillon de la princesse de Clèves, le tombeau de Coligny, la Pyramide, qui seule survit aux destructions révolutionnaires. Deux cents dessins de Brongniart se rapportent aux jardins qu'il aménagea, au Raincy pour le duc d'Orléans, à Romainville pour le maréchal de Ségur et Mme de-Montesson, à Berny, à Auteuil, à Montgeron...Brongniart, en qui l'architecte et l'homme du monde ne faisaient qu'un, cultivait pour se délasser les plaisirs de la campagne et de l'amitié.

Bon comédien amateur, il lui arrivait de jouer des rôles sur des théâtres particuliers. Il avait pour amis l'acteur Larive et l'impresario Lomel. Bien des occasions s'offrirent à lui de transformer ou de construire des salles de spectacles. Il existe parmi ses dessins le projet d'une salle située dans l'enceinte du Palais-Royal, où le duc d'Orléans voulut fixer la troupe des Variétés, dirigée par Gaillard et Dorfeuil. Ce théâtre fut remplacé par un autre plus durable, œuvre de Louis, qui est aujourd'hui le Théâtre-Français.

Libéral et orléaniste, Brongniart accueillit la Révolution avec optimisme. En 1791, il obtint un grand succès en édifiant, pour la troupe de Mlle Raucourt, le Théâtre des Amis des Arts, dans un lotissement desservi par la rue de Richelieu et la rue Louvois. L'ordon­nance de la façade s'harmonisait avec celle des immeubles voisins. L'intérieur contenait quatre rangs de loges et un paradis très accueillant. Ce théâtre ne doit pas être confondu avec son voisin, le Théâtre de la Réunion des Arts. Cette œuvre de Louis, réalisée en 1773, fut remaniée par Brongniart quand la troupe de l'Opéra en eut pris possession ; il fallut alors en transformer la scène pour l'adapter aux décors précé­demment utilisés à la porte Saint-Martin. C'est à la sortie de ce théâtre que le duc de Berry fut assassiné en 1820 ; l'archevêque y porta le saint viatique au mourant, mais exigea que l'édifice fût démoli.

A Bordeaux, où Brongniart tenta fortune en 1793, il ouvrit dans des circonstances mal connues le Théâtre de la Montagne ; peut-être était-il aussi l'auteur du Théâtre des Sans-Culottes, qui exista à Paris, rue Quincampoix. Dans ces réalisations, Brongniart collabora souvent avec le bon décorateur Francastel. Quand on chercha une affectation pour l'édifice inachevé de la Madeleine, Brongniart fit de brillantes esquisses pour y établir l'Opéra. Il y logeait aussi une salle de concerts, comme Louis l'avait fait à Bordeaux. Les façades furent l'occasion de variations entre un grand ordre et des galeries superposées, solution qui devait faire fortune, avec Gabriel Davioud et Charles Garnier, sous Napoléon III.

Pendant la Révolution, Brongniart manifesta ses talents et ses convictions dans l'ordon­nance des fêtes civiques, qui faisaient de l'événement politique un spectacle. Il trans­forma en temples de la Raison la cathédrale de Bordeaux et l'église de La Réole, fut chargé à Paris des fêtes nationales de l'an IV et de l'an V. Pour le théâtre du Champ-de-Mars, il composa des dioramas dans lesquels des foules de figurants et d'acteurs auraient fait revivre par des pantomimes les grandes journées révolutionnaires.

Dès le règne de Louis XVI, le développement de Paris comme place de commerce affronta les architectes à de nouveaux programmes. La faillite de Law avait retardé en France la création d'une grande banque d'État ; mais en 1767, le contrôleur général L'Averdy annonça la création de la Caisse d'escompte, pour-laquelle on connaît deux projets de Ledoux. Pour donner satisfaction aux --architectes, un concours fut ouvert en 1788. La devise choisie par Brongniart pour dissimuler son identité associe des idées de fatalité et de progrès : Omnes eoderm cogimur. Sa coupe montre un spectaculaire escalier tournant sous le vitrage d'une coupole, comme dans beaucoup d'autres édifices bancaires, réalisés depuis lors. Antoine, Bélanger, Jalliers concoururent aussi, mais les événements suspendirent toute réalisation.

Rue Vivienne, Boullée avait donné quelque apparence à l'entrée de la Bourse ; cependant, l'édifice n'offrait ni l'espace ni les dispositions nécessaires à l'activité des agents de change, en un temps où s'étaient multipliées les sociétés par actions. Sous ce rapport, la France se savait attardée en comparaison de l'Angleterre, puissance maritime et marchande : Napoléon déplora naturellement cette infériorité. Dans ces conditions, l'initiative et la persévérance de Brongniart lui permirent, en plusieurs étapes, d'élaborer un projet pour la Bourse, et de l'insérer dans Paris au point le plus approprié à sa fonction.

Sa première proposition prend place parmi les essais tentés pour donner à l'église inachevée de la Madeleine une destination laïque. Le péristyle et les murs laissés par Guillaume Couture occupaient dans Paris une situation prestigieuse. Brongniart y groupa la Caisse d'amortissement, la Banque de France, la Bourse et le Tribunal de commerce, héritier des juges-Consuls.

 

Au centre, une galerie couverte prolongeait l'axe de la rue Royale. Le tout gardait la forme d'une croix allongée, ni grecque, ni latine. Cette idée intéressante ne rencontra qu'une objection : le complexe financier ainsi projeté était par trop éloigné du centre commercial qui s'étend entre les Halles, le Sentier et le Temple. Les murs de l'ancienne Madeleine furent un moment destinés au temple de la Gloire, hommage de Napoléon à la Grande Armée, ce qui amorça le retour de l'édifice à sa destination sacrée.

Après quelques hésitations de l'Empereur, l'enclos des Filles-Saint-Thomas, bien national, fut libéré pour donner place à la Bourse. Dans les premiers projets, elle borde une cour entourée de colonnades et dégagée par deux arcs de triomphe dans l'axe de la rue Vivienne. Brongniart a laissé projets et maquette d'un édifice ionique, et finalement corinthien, celui que nous connaissons. Achevée sous la Restauration par Éloi Labarre, la Bourse a été agrandie en 1905 par Cavel et Eustache. La grand’salle de la Corbeille, évocation des basiliques romaines, est bien connue. Peu de personnes ont pénétré dans le salon des Agents de change, pièce voûtée, ornée de grisailles, au premier étage sur la rue Notre-Dame-des Victoires. On a reproché à Brongniart le caractère systématique du péristyle. S'il procure au monument une entrée majestueuse, les galeries latérales sont trop étroites pour abriter par mauvais temps les transactions des courtiers, et privent les bureaux de lumière. Temple des Lois au Palais Bourbon, temple de la Gloire à la Ville-l'Évêque, Temple de l'Argent rue Vivienne : la grandiloquence de la trilogie napoléonienne trahit un certain vertige. Mais l'édifice de Brongniart, et quelques autres, attestent que les rêves de Boullée ne sont pas restés sans conséquences.

En sa qualité d’inspecteur des Travaux publics, Brongniart eut à tracer le plan du Père-La-Chaise-. Avec lui, pour la première fois, l’ordonnance d'un jardin consacré au recueillement et au souvenir fut composée par un artiste. La création des grands cimetières périphériques consacrait les efforts entrepris sous l'Ancien Régime pour éloigner les champs de repos du centre de Paris. Dans le passé, il avait appartenu aux paroisses de veiller sur les sépultures, ce qui devint l'une des taches de l'admini­stration. Désormais, toutes les croyances se côtoyèrent, encore que les israélites aient demandé pour leurs tombes un enclos séparé. Brongniart souhaita dresser au centre du jardin, et à mi-hauteur de la colline, une pyramide très boulléenne, là où Godde a construit la chapelle. Des saules, des acacias, des sycomores ombragent des allées si­nueuses qui appellent le lent cheminement des visiteurs et des convois. La plupart des tombes ont reçu d'abord des formes romaines, évoquant la voie Appienne et les Alyscamps ; cependant, le style gothique parut bientôt plus conforme à la tradition chrétienne : c'est ainsi que la chapelle Greffhule, composée par Brongniart pour le Père-La-Chaise, devait inspirer au cours du siècle d'innombrables imitations.

Les allées et les ronds-points furent ponctués de monuments illustres ; ce furent surtout ceux des dignitaires de l'Empire, réunis là malgré le mauvais gré de la Restauration. Un bosquet fut consacré par Brongniart à son ami Jacques Delille, qui avait célébré les jardins ; le poète eut pour voisin Grétry ; autour d'eux reposèrent Brongniart lui-même, des écrivains et des artistes. L'entrée principale du Père-La-Chaise n'est pas celle que Brongniart a conçue : elle reproduit le portail de l'ancien cimetière Saint-Sulpice, dessinée vers 1760 par Oudot de Maclaurin. Brongniart seconda son fils, le minéralogiste Alexandre Brongniart, quand Lucien Bonaparte l'eut placé à la tête de la manu­facture de Sèvres, éprouvée par les années révolutionnaires dans sa prospérité artistique et commerciale. Des ventes aux enchères libérèrent les magasins des stocks admirables mais démodés qui remontaient à l'époque de M' de Pompadour ; les modèles néo­clasiques créés sous Louis XVI furent modernisés. Avec Vivant-Denon et Percier, Brongniart père fut l'un des conseillers artistiques de l'établissement, pour lequel il composa de nombreux modèles. Ses brillantes aquarelles concernent le Vase fuseau, le Vase Cordelier, le Service éyptien, le Service olympique, la tasse Hancarville. C'est aussi la manufacture qui a édité en biscuits et popularisé les bustes des enfants de Brongniart, Alexandre et Louise, dont les originaux sont de Houdon (musée du Louvre). Les dessins de Brongniart appartiennent encore à sa descendance, hormis quelques éléments donnés au musée Carnavalet. Les Archives nationales con­servent les esquisses des hôtels de Monaco et de Bourbon-Condé, le projet complet de l'église de Romainville (G9 159). Le fonds familial contient aussi des projets de meubles, et de rares dessins de Hazon et de Charles De Wailly, dont Brongniart était l'allié par les Fourcroy. La correspondance que Brongniart échangea pendant ses voyages avec sa femme et sa fille Émilie (Ziguette dans l'intimité) est riche d'informations curieuses. Si l'architecte a beaucoup puisé dans le fonds des formes créées par Boullée, son apport aux arts de son temps a été celui d'un dessinateur habile, d'un homme de goût, de culture et de bonne compagnie. Si banal qu'il paraisse de l'écrire, la personnalité de Brongniart, sa vie familiale, son rôle public font de lui une figure symbolique de la bourgeoisie française au seuil de l'âge contemporain.

Bélanger, « Éloge de Brongniart », in Journal des Arts, des Sciences et de la Littérature, 15 juin 1813. Madame Vigée-Lebrun, Mémoires.

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