BERNARD POYET (1742-1824)

Né à Dijon, inscrit à l'Académie comme élève de l'ingénieur Règemortes, Poyet fut récompensé, avec Lemoine de Couzon et Pâris, au concours de 1768: « une salle de comédie pour une grande ville ». Parmi les feuilles de son projet (École des beaux-arts de Paris), une belle coupe sur la salle et la scène, est animée de personnages joliment « touchés ». Lauréat du second prix, Poyet obtint cependant le brevet de pensionnaire et séjourna à Rome de 1769 à 1773. En compagnie de Jean-Arnaud Raymond, il fit de nombreux dessins du palais Farnèse de Caprarole. A son retour, il éprouva quelques déceptions, dont il fait confidence à son ami Huvé dans une lettre conservée à la bibliothèque d'art de l'Université de Paris (12 mars 1774). Une recommandation auprès du duc de Chartres lui permit de se faire connaître.

En 1777, la duchesse de Chartres donna le jour à deux filles jumelles, soeurs du prince qui fut roi sous le nom de Louis-Philippe. Comme l'agitation qui régnait au Palais-Royal paraissait peu favorable à leur éducation, le duc fit bâtir pour elles par Poyet, au faubourg Saint-Germain, une maison dans l'enclos des Bénédictines de Bellechasse. Nous connaissons ce bâtiment par deux aquarelles de Poyet, conservées l'une dans les réserves de Carnavalet, l'autre en Belgique, et par un relevé de C.V. Carlberg au musée de Gôteborg. Le seul décor consistait dans des bustes placés dans des niches rondes au premier étage sur la rue. Sur le jardin, un perron à deux rampes donnait accès au rez-de-chaussée surélevé, où les princesses vinrent habiter sous la garde de M" de Genlis. Cette femme d'esprit écrit dans ses Mémoires qu'une porte de glace sans tain séparait sa chambre de celle de ses élèves, si bien qu'elle pouvait voir de son lit tout ce qui se passait chez elles ; bien entendu, elle s'attribue les plans de cette jolie maison. Comme Poyet, beaucoup de grands architectes ont ainsi commencé par un bâtiment modeste mais très bien étudié on pense par exemple au château du Val, qui permit à Louis XIV d'essayer Jules Hardouin-Mansart, et à la petite laiterie qui recommanda Tony Garnier à l'estime du maire de Lyon, Augagneur. 

À la même époque, Poyet réalisa un édifice d'habitation de même importance, mais plus décoré ; ce fut la maison d'Antoine Callet, peintre de mythologie et portraitiste de Louis XVI, l'un des premiers artistes qui s'établirent dans le quartier Montparnasse. Détruite à la fin du XIXe siècle, cette maison peut encore être connue par les esquisses de Poyet jointes au permis de construire, les gravures de Krafft et Ransonnette un relevé intérieur publié dans l'Encyclopédie d'architecture avant la démolition. On y voit une bellesalle à manger voûtée, terminée par une abside in--anstis. Parmi les épaves de cette maison, sont à signaler les deux atlantes de l'entrée principale, qui ont été remontés par Ernest Sanson dans la cour de l'hôtel de Ganay  (Assemblée permanente des Chambres d'agriculture), 9, avenue George-V.

Comme beaucoup d'architectes, Poyet voulut attacher sa réputation à un théâtre. Il proposa d'en construire un à l'emplacement des Capucins Saint-Honoré. Comme son projet présentait les mêmes dispositions novatrices que celui de Ledoux pour Besançon, il s'ensuivit entre les deux artistes une polémique courtoise dans les colonnes du Journal de Paris (1783).

Le duc de Chartres confia à Poyet la construction d'un grand hôtel pour ses gens, ses chevaux et ses équipages, rue Saint-Thomas-du-Louvre, dans le quartier aujourd'hui disparu que Balzac a décrit dans La Cousine Bette. Au témoignage d'A.-L.-T. Vaudoyer, bien que l'étroitesse de la rue empêchât d'en apprécier l'élévation monumentale, l'édifice fut considéré comme l'un des plus importants de l'époque. Au centre s'approfondissait une grande arcade, éventaillée de claveaux en bossages que deux chevaux affrontés décoraient au premier étage. L'Anglais Pugin et l'Allemand Gilly ont laissé de ce bâtiment des dessins qui diffèrent légèrement entre eux. En 1785, M. de Breteuil étant ministre de Paris, le problème des hôpitaux était à l'ordre du jour. Dès le xvr siècle, des voix s'étaient élevées pour dire que la présence de l’Hôtel-Dieu était malsaine au coeur de la ville. Après deux incendies récents, comme la notion de contagion s'imposait de plus en plus au corps médical, le déplacement de cet hôpital était de nouveau envisagé. Déjà, Chalgrin et Ledoux avaient été consultés. L'idée d'un établissement pavillonnaire, expérimentée à Plymouth par Rovehead en 1752, retenait à présent l'attention des savants français. En 1773, J. David Le Roy avait conçu un édifice où les bâtiments étaient rangés « comme les tentes d'un camp ou les pavillons de Marly ». L'emplacement choisi par Poet fût l'île des Cygnes, qui a été rattachée plus tard au quai d'Orsay. L'hôpital, de plan radioconcentrique et de trois étages, présentait extérieu­rement la masse du Colisée ; dans le paysage de Paris, il aurait en quelque sorte préfiguré la maison de la Radio, construite en 1960 par Henry 'Bernard, lui-même ancien pension­il-aire de Rome. Dans l'hôtel-Dieu de Poyet, seize pavillons rayonnaient vers une cour centrale où s'élevait la chapelle. Les corridors circulaires contenaient les pièces nécessaires à l'administration, aux médecins et au personnel hospitalier. Au centre, comme la chapelle était entourée d'une colonnade à jour, de l'extrémité de leurs salles, les malades pouvaient assister au service divin, Hormis ce qui est connu par la gravure, quelques dessins de Poyet pour son hôtel-Dieu circulent dans le commerce d'art.

Très admiré des architectes, le projet fut soumis à Louis XVI, qui pria l'Académie des sciences de lui en dire son avis. Coulomb, Tenon, d'Arcet, Lassonne, Antoine Petit étaient, avec Lavoisier et Condorcet, les hygiénistes les plus écoutés. Ils hésitèrent jusqu'en 1788, année où il fut décidé de faire éclater l'Hôtel-Dieu en quatre établissements périphériques, dont l'hôpital Saint-Louis et l'École militaire, tout récemment désaffectée ; deux hôpitaux étaient à construire à Sainte-Anne et à la Roquette. Pour ces derniers, Poyet fit un plan pavillonnaire, inspiré de Rovehead et de Le Roy, que Durand a gravé dans son recueil. « Suivant l'intention du gouvernement, tout devait être exécuté sans ornement et avec simplicité » ; car sous l'effet des contraintes financières, le pragmatisme l'emportait sur le vieux souci monarchique de la représentation ; et dans le domaine de l'architecture hospitalière, l'époque commençait à s'occuper des corps autant que des âmes. La révolution arrêta ces travaux comme beaucoup d'autres. Dans  la seconde moitié du xixiLsiècle, l'Hôtel-Dieu fut rebâti par Diet à proximité de son emplacement médiéval ; Questel édifia l’hôpital Sainte- Anne pour des malades mentaux.

Depuis 1785, Poyet) était contrôleur des Bâtiments de-la Ville de Paris ; il prit la direction du service en 1787, quand Moreau­Desproux eut démissionné. À cette époque, il étudia pour la reconstruction de Saint-Sauveur, un projet que nous connaissons par une gravure de Prieur. La nef basilicale est couverte d'une voûte en berceau ; le cul-de-four de l'abside reçoit la lumière du ciel par un lanterneau vitré. Aux Halles, tandis que l'ingénieur Six déplaçait la fontaine des Innocents, que les architectes Legrand et Molinos la restauraient et que Pajou en complétait le décor, Poyet aménagea autour d'elle un marché. Parmi ses derniers travaux sous l'Ancien Régime, nous pouvons citer un ensemble immobiliser sur le quai de Corse et les écuries de l'archevêché, dont il existe une estampe. En marge de ces travaux officiels, Poyet transforma pour le baron de Breteuil, ministre de Paris, le château de Dangu (Mémoires de Bombelles). Après la chute de la royauté, le node Poyet Purba appartient surtout à l'histoire de l’urbanisme. Dès le 12 août 1792, par ordre de la Commune de Paris, il dressa sur la place des Victoires, en remplacement de la statue de Louis XIV, un monument aux défenseurs de la Patrie.

C'était un obélisque de 16 mètres de haut, en bois peint simulant du porphyre, autour duquel étaient peintes quatre figures, la Liberté, l'Égalité, la Concorde et la Force. Bien que cette réalisation fût éphémère, en un pareil moment elle éveilla contre Poyet la jalousie de plusieurs de ses confrères, si bien que son patriotisme même fut mis en cause. Mais Poyet, en homme habile, allait rester en faveur sous tous les gouvernements jusqu'à celui de Louis XVIII. À la fin de la Terreur, il se chargea de faire creuser à Picpus la fosse furent  inhumées les dernières victimes de laguillotine, transférée à la barrière du Trôné: II-fit un 'projet de forge nationale, d'un caractère à la fois imposant et terrible, où quatre hangars se présentaient comme des temples dédiés à Jupiter tonnant, à Vulcain, à Hercule et à Mars Vengeur. Il imagina quatre temples aux angles de la ci-devant place de la Révolution. Son école de Mars fut conçue comme une tente à dresser dans la plaine des Sablons. Il écrivait en l'an VI : « Le régime républicain doit remplacer l'effet des clochers par des colonnes, des obélisques et des monuments enfin dont l'élévation, en attestant la gloire de la Nation sous l'empire de la Raison, égalent au moins ces tours et ces flèches que le fanatisme avait élevées. » La même année, il projeta une colonne de cent mètres de haut dédiée aux victoires de la Patrie, à édifier près du Pont-Neuf à la pointe de la Cité. Elle se serait illuminée comme un phare. L'idée plut à Bonaparte. En 1803, Poyet fut chargé d'aménager le Palais Bourbon pour les séances du Corps législatif. Il y succédait à Jacques-Pierre Gisors et à Étienne-Chérubin Lecomte. L'opération lui permit d'axer le péristyle sur l'actuelle place de la Concorde, et la Madeleine qui était alors. le temple de la Gloire. Poyet entendait bâtir un temple des Lois. C'est pourquoi il crut devoir en couronner le péristyle par un fronton que Brongniart, auteur du temple de l'Argent, jugea superflu et démodé. Il est dommage que le vestibule de Poyet ait été partagé dans sa hauteur par un plancher : l'impressionnante voûte à caissons contient aujourd'hui les téléphones réservés aux journalistes parlementaires.

En 1812, Poyet prit violemment ombrage quand fut confié à Cellerier le projet du palais des Archives près du Champ-de-Mars. Kuretour des Bourbons, il proposa encore d'édifier une colonne nationale surmontant un musée de l'histoire de France ; la fin de sa carrière fut sans grand éclat.

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