ÉTIENNE-FRANÇOIS LE GRAND
Claude-Henri Feydeau de Marville, comte de Gien, lieutenant de police, puis directeur des Économats royaux, reporta sur Étienne-François Le Grand la confiance qu'il avait accordée à son père. La carrière de l'architecte a reposé sur cette protection et la position déjà établie dans le faubourg Saint-Germain par son père et ses grands-parents Boucard. Nous connaissons son activité entre 1715 et 1787. Rue de Verneuil, Étienne-François Le Grand modernisa l'hôtel de Marville, -qui a été-dé -nouveau transformé par MM. Ruben vers 1984, lors de son affectation à la Maison des Lettres. Il édifia l'hôtel de Gallifet, 75, rue de. Grenelle, où siège le service 'Culturel de l'ambassade d'Italie (1775), et l'hôtel de Jarnac, 8, rue Monsieur (1784), dont les dessins ont été publiés par Krafft et Ransonnette. Au Gros-Caillou, en 1786, Le Gand ctomia pour ùn certain Cardon les dessins d'une maison ornée vers la Seine d'un péristyle aussi monumental que celui de l'hôtel de Gallifet. Le Grand construisit l'orangerie du château de Berny (1774), travailla à Montmagny pour la comtesse de La Rochefoucauld.
Son décorateur attitré était Jean-Baptiste Boiston. Des panneaux décoratifs sortis du même moule ornent les appartements des hôtels de Gallifet et de Jarnac. On les retrouve au 10, rue de la Chaise; dans un immeuble également remarquable par la noblesse de son élévation et les vases de son vestibule. Nous trouvons Boiston et Le Grand associés chez M" de Coislin, rue de Sèvres, en 1780. Ils réalisèrent ensemblele vaùxhall du boulevard du Midi. À Courbevoie, l'hôtel de Guines est un édifice brillamment décoré par Boiston mais où nous n'avons pas la preuve documentaire de sa collaboration avec Le Grand : on y voit le salon de musique du comte de Guines, flûtiste dont l'instrument exceptionnel descendait au ré bémol et a inspiré à Mozart le Concerto KV 299.
Le Grand comme l'architecte des Économats royaux, administration qui consacrait à des constructions religieuses le revenu des bien saisis sur les protestants fugitifs. En cette qualité, Le Grand venait de succéder à Louis-François Trouard, dont la probité avait été mise en doute, à tort ou à raison. Sous l'autorité administrative de Feydeau de Marville, Le Grand continua les travaux du portail néo-gothique de Sainte-Croix d'Orléans. Une élévation signée de lui est conservée au musée de cette ville. Comme Étienne-François Le Grand n'a figuré jusqu'ici dans aucun dictionnaire, il a été confondu avec son homonyme Jacques-Guillaume par les historiens orléanais, y compris le savant chanoine Georges Chenesseau.
En 1778, Étienne-François Le Grand fut l'architecte de l'église Saint-Louis de Port-Marly, dont la construction avait été préparée par trois pieuses personnes : feu le Dauphin, père de Louis XVI, ce roi lui-même et la comtesse de Varneville, née Catherine de Brévedent. En façade sur la route de Versailles à Saint-Germain, le portail est entouré de deux péristyles latéraux, dont l'un rejoint un pavillon servant de presbytère, l'autre une école paroissiale.
Ces péristyles imitent les barchesse qui unissent les villas vénitiennes à leurs dépendances. L'ordre est l'ionique du théâtre de Marcellus et de Palladio. Intérieurement, la nef rectangulaire est contrebutée par deux chapelles latérales symbolisant les bras de la croix. Au fond, un arc triomphal en forme de serlienne précède la niche de l'autel. Pour cet intérieur, Le Grand s'est inspiré du premier projet de Ledoux pour la chapelle de la Saline de Franche-Comté, gravé en 1776. L'ordre de la serlienne du choeur est un composite fréquent chez Le Grand, mais proche de Palladio. C'est celui du monument Porto à San Lorenzo de Vicence, gravé en 1776 également dans les Fabbriche di Palladio de Bertotti Scamozzi.
Lors de l'achèvement des travaux, une médaille à l'effigie de Louis XVI fut gravée par Duvivier, dont l'avers porte Lud.XVI rex christianissimus et le revers Pietas regia ae de ad Marliaci portum structa anno MDCCLXXVIII.
Comme les archives des Économats nous sont parvenues très incomplètes et qu'aucun guide ancien des environs de Versailles, pas même celui d'Alexis Donnet, ne nomme l'architecte de l'église de Port-Marly, cet édifice original a intrigué les historiens : dans ses cours de Sorbonne vers 1945, Pierre Lavedan le donnait à Richard Mique, attribution reprise en 1970, dans ses Monuments de la France, figure 862. Il se référait à la chapelle de l'hôpital de Saint-Cloud dont la porte est encadrée « en tabernacle » comme celle de Port-Marly ; mais prudemment, il ajoutait : « Si l'on trouve un document prouvant autre chose je m’inclinerai. » Le document sur lequel s'appuie la présente notice, conservé au musée Rhoss de Gàteborg, est l'album de l'architecte Cari-Victor Carlberg, qui visita l'Allemagne, la France et l'Italie en 1780. Aux environs de Versailles, il s'est fait conduire à Louveciennes, Montreuil et Rocquencourt pour y relever les édifices les plus récents. Nous reconnaissons parmi ses dessins deux détails de Saint-Louis de Port-Marly, qui sont une travée de la nef et la serlienne du choeur. L'édifice n'est pas désigné, mais on lit en travers de l'un des croquis : « Monsieur Le Grand », nom qui a été indiqué à l'architecte en voyage par un prêtre ou un bedeau.
Le Grand fut attaché aux Économats jusqu'en 1787. À cette époque, Trouard ayant fait reconnaître son innocence, son ami Adrien Pâris fut nommé par Louis XVI en remplacement de Le Grand et continua les travaux d'Orléans.
M. Gallet, Louis-François Trouard et l'architecture religieuse dans la région de Versailles au temps de Louis XVI, in GBA, 1976.