JACQUES CELLERIER (1743-1814)

Cellerier naquit à Dijon le 11 novembre 1743. Son père y tenait auberge à l'enseigne de Saint-André, rue Saint-Nicolas (16-18, rue Jean-Jacques Rousseau). Il eut pour premier maître son parent Samson-Nicolas Lenoir, avant de faire à l'Académie royale une scolarité sans éclat. Plus tard, il conserva toujours des liens avec la Bourgogne, où l'une de ses premières œuvres fut la restauration du château et des jardins de Bierre pour M. de Montigny.

L'oeuvre qui le fit connaître à Paris fut le vauxhall de Toué, Partificièr italien qui se fixa dans cette ville eri 1766/ Son établis- sement, inspiré des moeurs`anglaises, offrait à la bourgeoisie un lieu de divertissement à l'entrée payante, alors qu'elle ne fréquentait plus les bals populaires organisés par la Ville de Paris. Non loin du boulevard Saint- Martin, les jardins de Torré s'étendaient vers des rues de Bondy et de Lancry. Au milieu d'Un enclos rectangulaire s'éleva une première rotonde, où l'orchestre était dissimulé par une balustrade circulaire, sous les retombées de la coupole.

En 1768, pour soutenir la concurrence de Ruggieri, qui s'était installé à la foire Saint-Germain, Torré fit transformer son vauxhall. La rotonde y fut agrandie par Cellerier, augmentée d'un promenoir circulaire et construite en matériaux durables. C'est au voisinage de cette salle que Louis dressa pour l'ambassadeur d'Espagne une galerie de danse provisoire lors du mariage du Dauphin et de Marie-Antoinette en 1770 (Mémoires secrets, Journal du duc de Gray). Fermé en 1771, alors que Torré participait au lancement du Colisée, le vauxhall fut à nouveau embelli et servit aux réunions maçonniques de la loge des Neuf-Sœurs. En 1777, dans le même quartier, Cellerier  aménagea le Café chinois. Précurseur des boulevardiers du XIXe siècle, il excella dans la décoration des lieux de plaisir avant de se consacrer aux salles de spectacle.

Il ne tarda pas à lier son sort à celui des spéculateurs immobiliers qui ouvraient des lotissements à la périphérie de la rive droite. Il acquit lui-même des terrains qu'il revendait à condition d'y bâtir. Il imagina des formules qui combinaient sur une même parcelle un hôtel ou un pavillon seigneurial et des immeubles. Vers le 21, Chaussée-d'Antin, deux petites maisons sur rue furent séparées par un passage conduisant à l'hôtel de la Villemeneust, orné de pilastres  doriques, qui fut occupé sous Louis XVI par le prince d'Hénin.

Au 5 de la même rue, Louise Tardieu  d'Esclavelles, plus connue sous le nom de Mme d'Épinay, eut un joli pavillon en arrière d'un grand immeuble. Elle devait une partie de son aisance aux libéralités de l'impératrice Catherine II. Sur la rue, l'un des occupants de l'immeuble fut son amant, Grimm ; lui-même accueillit Mozart dans son entresol, du 4 juillet au 28 septembre 1778, quand le compositeur eut perdu sa mère dans un garni de la rue du Gros-Chenet (rue du Sentier).

Dans la petite rue Verte Saint-Honoré, Cellerier installa galamment les sœurs Rainteau de Verrières et d'Orgemont, anciennes maîtresses du maréchal de Saxe, grand-mère et grand-tante de George Sand, Ces premières Constructions particulières de Cellerier seraient oubliées sans les projets qui en sont joints à des permis de construire dans-le -fonds -des experts des Bâtiments (Arch.nat., série Z1J). D'autres habitations plus récentes ont été gravées et publiées en particulier dans les recueils de Krafft et Ransonnette. Ce furent l'hôtel de la maréchale de Nicolaï, à deux corps de logis, l'un sur la rue Louis-le-Grand, l'autre sur le boulevard des Italiens, en 1779 ; la petite maison du comte de Laval sur le nouveau Boulevard (Montparnasse), commencée en 1777 ; celle du prince de Soubise, rue de l'Arcade, où Cellerier mit au goût du jour une œuvre de Contant d'Ivry. Ces demeures contenaient des pièces d'une grande élégance, comme le salon de musique du comte de Laval. Le caractère du décor arabesque, l'emploi des stucs et de l'acajou y préludaient au style directoire — mais il faut savoir que Krafft et Ransonnette ont modernisé bien des décors pour des raisons d'opportunité artistique et commerciale. Dans ces maisons galantes, certains appartements à double issue furent étudiés pour le confort de ce qu'on nomme aujourd'hui des call girls. Une dernière réalisation remarquable de Cellerier pour sa clientèle aristocratique fut l'écurie circulaire du duc de Fitz James, 4, rue Saint-Florentin, en 1786.

Cellerier partagea avec Antoine la confiance de l'intendant de Paris, Bertier de Sauvigny. Comme son confrère, il eut à bâtir dans le fief personnel de cet administrateur à Sainte-Geneviève-des-Bois. Il assuma la restau­ration ou la construction à neuf des églises rurales de la généralité. Nous avons trace de son passage à Bagneux, Arcueil, Vaugirard, Puteaux, Rungis, Tremblay-lès-Gonesse, Groslay, Fontenay-lès-Louvre. (Les devis en sont conservés aux Archives dans le fonds du Contrôle général, Série H.) L'église de Châtenay-en-France, construite à neuf sur les dessins de Cellerier, est parfaitement conservée. Cellerier fut chargé de travaux publics à Beauvais, Senlis, Saint-Germain. Il commença l'École vétérinaire d'Alfort. En association avec Poyet, en 1778, il présenta à Louis XVI un projet d'établissement des Capucins à la Chaussée-d'Antin, tandis qu'à l'emplacement de leur couvent de la rue Saint-Honoré se serait construite une salle de théâtre ; mais c'est Brongniart qui obtint la préférence.

En 1790, Cellerier devint l'un des huit lieutenants du maire de Paris, Jean-Sylvain Bailly, chargé des travaux publics. Il fut l'architecte officiel de la Révolution pacifique. Pour la fête de la Fédération, il dressa au Champ-de-Mars un édifice éphémère, mais le plus important que l'idéal de cette époque ait inspiré. Cet arc à trois ouvertures fut érigé vers l'emplacement où est aujourd'hui la tour Eiffel, Par les proportions de ses piles, plus basses que celles des arcs de triomphe romains, il illustrait l'architecture ensevelie, ungenre imaginé par Ledoux et par Boullée. Les longs bas-reliefs de l'attique furent modelés par Jean-Guillaume Moine, dans le style héroïque qui a valu à ce sculpteur d'être appelé par Ledoux « le Phidias de nos jours » (L'Architecture..., 1804, p.152). La charpente de cet édifice provisoire avait été assemblée par Pierre-Abraham Guerne. L'aménagement du Champ-de-Mars, réalisé par Cellerier avec le concours de J.-J. Ramée, comprenait un amphithéâtre pour cent mille spectateurs. Cellerier assura la translation au Panthéon des cendres de Voltaire et dressa à l'emplacement de la Bastille le fameux Éléphant évoqué par Victor Hugo dans Les Misérables.

Il traversa sans encombre l'époque de la Terreur en dépit des attaques dont il fut victime en ces temps difficiles, et appartint au conseil des Bâtiments civils. Au temps du Système continental, Napoléon fit venir à Paris les archives du Vatican, du Saint-Empire et de la couronne de Castille, concentration qui eût assuré son contrôle sur l'administration, le fisc et les domaines de ces États soumis à sa puissance. Secondant l'archiviste Daunou, Cellerier établit des baraquements dans la cour de l'hôtel de Soubise, chez le prince qui lui avait fait confiance à la fin de l'Ancien Régime. Le 15 août 1812 fut posée dans l'île des Cygnes la première pierre d'un palais des Archives dont le projet fait grand honneur à Cellerier (Arch. nat., N III Seine 1089-1 à 17).

Il fut un moment chargé de la basilique de Saint-Denis où Napoléon voulait établir un chapitre « épiscopal et national », ce qui était une manière de réconcilier l'Empire et l'ancienne monarchie. Cellerier entreprit au flanc sud de l'église la construction d'un choeur d'hiver, édifice néo-classique de cinq travées, mais ces travaux déstabilisèrent le système de contrebutement de la nef et l'architecte Debret dut y remédier sous Louis-Philippe.

Parmi celles de ses constructions qui subsistent à Paris figurent son propre immeuble, 25, boulevard Montmartre et la façade des Variétés (1808). Cellerier bâtit en 1810 le théâtre de Dijon.

Il compta parmi ses élèves J.-J. Ramée et Théodore Bienaimé. En 1806, il tint l'un des cordons du poêle aux funérailles de Ledoux, avant de consacrer à ce confrère une notice digne de lui. Quand Cellerier lui-même mourut, ce fut Bélanger qui parla sur sa tombe. Ces survivants du règne de Louis XVI étaient probablement liés par leur appartenance à une même confraternité secrète. Cellerier s'était fait estimer par des qualités de caractère qui furent aussi celles de sa fille Joséphine, la baronne Georges Beuret.

J. Richard, in Mémoires de la Commission des Antiquités de la Côte d'Or, XXIV, 1958.

M. Gallet, 1964.

A.-Ch. Gruber, Les Vauxhalls parisiens au XVIIIe siècle, in BSHAF, 1971.

P. Pinon, Le Lotissement de la rue Taitbout et du couvent des Capucins à la Chaussée-d’Antin à la fin du XVIIIe siècle, in BSHP, 1986-1987.