JEAN-FRANÇOIS-THÉRÊSE CHALGRIN (1739-1811)
Les observations les plus judicieuses sur Chalgrin sont éparses dans les écrits de Charles-François Viel qui fut, dès 1768, son élève et l'inspecteur de ses chantiers. En 1814, Viel publia le résumé d'une conférence prononcée sur son maitre au restaurant Legac, lors d'un dîner de la Société d'architecture, animée par P. Vignon et Vaudoyer. C'était juste à l'avènement de Louis XVIII, dont Chalgrin avait été l'architecte au temps où il était le comte de Provence. De ce texte dérivent d'autres notices sur Chalgrin, comme celle de Quatremère de Quincy.
Né sur la paroisse Saint-Sulpice, de parents modestes, ce n'est pas tout à fait par hasard que Chalgrin reçut d'abord les leçons classiques de Servandoni. Il s'inscrivit à l'Académie parmi les élèves de Loriot ; en 1755, il entra dans l'atelier de Boullée. Il n'avait que dix-neuf ans, en 1758, quand il obtint à l'Académie un premier prix ; cette récompense était attribuée au titre de 1757, année où le jury n'en avait décerné aucune. Cherpitel, de trois ans plus âgé que Chalgrin, reçut le prix de 1758. Le programme était : « Un pavillon sur le bord d'une rivière, à l'angle d'une terrasse, avec la faculté de donner à l'angle la forme que l'on jugera à propos. (...) Le pavillon sera couvert à l'italienne en terrasse et son toit sera caché. (...) On pourra observer des rampes pour descendre à la rivière et s'embarquer. »
Cette œuvre de Chalgrin est historiquement l'une des plus importantes parmi la longue suite des prix de Rome remportés de 1730 à 1968. La terrasse et les rampes d'accès dessinent des demi-cercles concentriques qui amplifient comme des ondes liquides la rotondité du grand salon. Une frise de grecques, discrète concession à la mode, règne le long des garde-corps. Les statues dressées sur la balustrade supérieure du pavillon, à l'aplomb de chaque colonne, sont un hommage à Palladio (Paris, École des beaux-arts).
Viel consacre deux pages admiratives à ce projet qui n'a pas été gravé, mais dont il dut montrer une copie à ses auditeurs. Il souligne à quel point cette composition est étonnante à un moment où les artistes ne disposaient encore ni du Champ-de-Mars de Piranèse, ni des Ruines de la Grèce de Le Roy : « Palladio, Scamozzi, Serlio, de Lorme, Perrault restaient délaissés dans les grandes bibliothèques. Les élèves s'en procuraient difficilement la connaissance. Il fallait tirer de son fonds, avoir du génie. »
Le marquis de Marigny exigea des deux lauréats des copies de leurs projets pour sa collection personnelle ; l'Académie, représentée par Franque, devait racheter plus tard ces dessins à la vente de l'ancien ministre, devenu le marquis de Ménars. Ils peuvent être comptés, avec les estampes de Neufforge, d'Hélin et du Vitruve britannique, parmi les documents qui guidèrent Ange-Jacques Gabriel dans ses études pour le Petit Trianon.
Chalgrin séjourna au palais Mancini, où son zèle lui valut une prolongation de sa pension, de 1759 à 1762. Il leva en plan et en élévation des édifices de l'Antiquité — trop nombreux au goût de Marigny — mais aussi de l'époque moderne (Vigil). À son retour, pour compléter sa formation technique, il s'employa comme inspecteur des travaux de la Ville de Paris sous la direction de Moreau-Desproux.
L'œuvre qui l'a fait connaître est l'hôtel du comte de Saint-Florentin, à l'entrée de la rue de ce nom, achevé en 1769 pour l'autoritaire ministre de la maison du roi, qu'un accident de chasse avait privé d'une main. Les élévations extérieures étaient assujetties à l'ordonnance fixée par Ange-Jacques Gabriel pour les abords de la place de Louis XV. C'est à cette situation et à cette contrainte que l'édifice doit son caractère unique de palais particulier, à la fois français et italien. Le portail sur la rue, que Chalgrin a pu composer librement, est encadré de colonnades à jour, comme dans plusieurs palais de cette époque. Cette cour transparente n'importe d'ailleurs pas à l'hôtel seul et aux passants, elle donne aussi de la lumière à l'appartement de l'intendant du Garde-meuble — sous l'occupation allemande de 1940--1944, nous nous souvenons d'une sorte de Pont des Soupirs en bois établi au-dessus de la rue Saint-Florentin entre les deux édifices.
Au fond de la cour, l'entrée réhabilite encore timidement le motif renaissant de la serlienne qui va prendre sa plénitude chez Soufflot et chez Ledoux. Faut-il attribuer à Brunet, le futur entrepreneur de Saint-Philippe-du-Roule, la stéréotomie du grand escalier, qui dessine sous le palier du premier d'harmonieux ramages? De tels ouvrages ne se soutiennent que par la force des broches métalliques qui s'y dissimulent. Un guide de l'époque, l'Almanach parisien en faveur des étrangers désigne cette cage d'escalier comme « une œuvre du dernier goût ». Cherpitel, le camarade de Rome, s'en est visiblement inspiré à l'hôtel du Châtelet, Rue Saint-Florentin, les murs de l'escalier sont rythmés de niches et de pilastres ioniques, sous une coupole où le peintre Simon Berthélemy a célébré les vertus de M. de Saint-Florentin au moment où il allait être créé duc de La Vrillière : La Force, la Prudence et la Renommée portant à l'Immortalité le globe de la France.
Dès cette époque, Chalgrin avait noué des liens avec Soufflot, qui dirigea la construction du Garde-meuble et composa une fontaine adjacente à l'hôtel de La Vrillière, disparue lors du percement de la rue de Rivoli. Quant à l'hôtel même, il a été agrandi sur la rue du Mont-Thabor à l'époque où il appartenait à la famille de Rothschild.
Un bel album, conservé aux Estampes de la Bibliothèque nationale, contient des copies réduites des dessins originaux. Les dernières lignes de la page de titre y ont été tracées de travers par une main fébrile qui n'est pas celle de Chalgrin il semble que le travail ait été achevé en hâte pour être offert à M. de Saint-Florentin lors de la réception inaugurale, où nous savons que le jeune Chalgrin arriva très en retard ; et cela suggéra au comte de lui offrir une montre en sus de ses honoraires mérités. De belles estampes de Pelletier, devenues rares, sont plus grandes et plus détaillées que ces dessins.
Propriété des États-Unis, l'hôtel a été restauré, de 1979 à 1984, par l'architecte Hugh Newell Jacobsen, assisté des décorateurs Barroux et Robert Carlhian. Chaque pièce a été rétablie en fonction de sa destination primitive. La visite du principal étage se fait à nouveau dans le sens traditionnel, en commençant par les antichambres, auxquelles succèdent salle à manger, salle du dais, grand cabinet, arrière-cabinet, chambre de parade. La main de Simon Berthélemy est reconnue par Nathalie Voile dans quelques pièces de cet appartement. L'arrière-cabinet contient des lambris à figures sculptées par Feuillet et Métivier pour le pavillon Du Barry à Louveciennes, remontées en ce lieu par Alphonse de Rothschild. À l'angle bas des Champs-Élysées et de la rue de Berri, l'hôtel de la marquise de Langeac, maîtresse du duc de La Vrillière, contrastait par son caractère de folie aimable avec le palais du ministre. Cet hôtel où vécut Thomas Jefferson, ambassadeur des U.S.A., a passionné des chercheurs américains tels que Howard C. Rice et F.C. Detwiller. Une monographie complète de l'édifice pourrait s'appuyer sur le relevé des plans et des façades extérieures conservé à Paris, celui de la façade sur cour conservé à Göteborg, le bail consenti à Jefferson (Arch. nat. Min., XCVII-544) et le procès-verbal de saisie réelle signalé par Monique Langlois. Les comptes du sculpteur Duret mentionnent en 1773 le trophée de la porte cochère, ce qui date l'achèvement de l'édifice.
En 1770, à l'occasion du mariage du Dauphin et de l'archiduchesse Marie-Antoinette, le comte de Mercy-Argenteau chargea Chalgrin de dresser en matériaux provisoires la salle de bal qu'il donnait, en qualité d'ambassadeur de l'impératrice, dans les jardins de l'hôtel du Petit-Luxembourg. C'était une sorte de basilique, très analogue à celle que Louis réalisa, lors des mêmes fêtes, pour l'ambassadeur d'Espagne. Une émulation régnait entre les deux diplomates, l'un et l'autre largement subventionnés par leur gouvernement. Extérieurement, la nudité du volume, encore inhabituelle, étonna le grand public ; mais parmi les invités, le succès fut considérable. Dans son Journal, le duc de Croÿ signale le balcon qui régnait autour de la salle : « au tiers de la hauteur des colonnes, qui paraissaient pourtant presque isolées, il y avait un grand jubé garni de monde qui faisait bien et d'où le coup d'œil était superbe. Nous y soupâmes quatre-vingt-dix personnes à une table de cent couverts ». De son côté, Mercy-Argenteau écrit : « le jour de mon bal, il est entré en tout six mille masques quoi que je n'eusse fait distribuer que quatre mille cinq cents billets ». Marie-Thérèse demanda des copies des dessins de Chalgrin ; une aquarelle est conservée au Louvre. Il existe aussi des estampes de F.-M.A. Boizot, Blondel cite l'œuvre dans son Cours ; plus tard, à l'occasion du congrès de Vienne, Metternich en fit exécuter une réplique exacte (A.-Ch. Gruber).
Chalgrin eut dès lors une clientèle nombreuse. Viel écrit qu'il fit pour le ministre Bertin, dans sa propriété de Chatou, « des travaux considérables » ; il faut donc se demander dans quelle mesure ce qui a été attribué là à Soufflot n'est pas plutôt son œuvre. Le livre-journal de François-Joseph Duret, le sculpteur-décorateur attitré de Chalgrin (BAUP), a permis à Bruno Pons de suivre pas à pas l'architecte chez ses clients. Chalgrin a ainsi travaillé pour Radix de Sainte-Foix à Neuilly, pour la duchesse de Mazarin, pour la duchesse de Chaulnes à l'ancien hôtel Bonnier de La Mosson, rueSaint-Dominique, pour le conne d'Orsay à l'ancien hôtel de Clermont, 69, rue de Varenne (lambris transportés, avec le plafond d'Hugues Taraval, à la Corcoran Gallery de Washington). C'est Chalgrin et non Peyre l'Aîné qui a construit, rue Pérou, en 1776, l'hôtel où M. Landry de Freneuse logea l'actrice Dorothée de Luzy ; cette maison a été très joliment transformée par Pierre Barbe. Parmi les constructions privées de Chalgrin, Ernest de Ganay a signalé le château de Surville, près de Montereau.
Saint-Philippe-du-Roule, projet confié à Chalgrin par le duc de La Vrillière en 1764, approuvé par l'Académie en 1768, réalisé à partir de 1772, représente l'essai le plus heureux pour adapter les dispositions des basiliques primitives à une église moderne, mais en conservant à la nef une voûte en berceau. Dans sa forme originelle, Saint-Philippe est connue grâce aux dessins de Louis Gustave Taraval et aux estampes de Sellier. Ici, comme ailleurs à la même époque, l'architecture de Chalgrin est solide, intéressante et châtiée. C'est peut-être à sa perfection même qu'elle doit d'avoir été incomprise et honteusement défigurée. En 1845, Étienne-Hippolyte Godde a ouvert des lunettes dans la voûte ; il a ajouré le mur circulaire du choeur, où Chalgrin avait voulu des colonnes engagées alternant avec des niches qui ont ainsi disparu. Plus haut, les caissons de la voûte ont été comblés pour faire place à la pathétique Descente de Croix de Chassériau. Après Godde est intervenu Baltard. Sous nos yeux, l'établissement d'un calorifère, dont les conduites verticales s'attachent aux piliers du déambulatoire, a rendu l'œuvre de Chalgrin définitivement méconnaissable. Un long bas-relief de Gois, les Miracles de saint Philippe, qui devait orner le péristyle, n'a jamais été exécuté en pierre faute d'argent. Le plâtre en était exposé sous le Consulat au musée des Monuments français ; on l'aperçoit dans une peinture de Vauzelles à Carnavalet.
La chapelle des Pères du Saint-Esprit, sur la montagne Sainte-Geneviève, avait été commencée par Le Camus de Mézières avant que la communauté, conseillée probablement par Soufflot, ne fît appel à Chalgrin. L'intérieur ne garde presque rien du XVIIIe siècle, mais la façade de Chalgrin est bien conservée. Elle a été admirée en son temps, bien que l'étroitesse de la rue des Postes (rue Lhomond) oblige à lever la tête pour admirer le bas-relief, La Prédication et le baptême par des missionnaires, composé de vingt-six figures de cinq pieds, payé à Duret 6 000 livres.
À Saint-Sulpice, en 1776, la succession de Servandoni fut partagée entre ses deux disciples, De Wailly et Chalgrin. De Wailly se réserva la chapelle de la Vierge et la chaire. Chalgrin composa les vantaux des portes du péristyle et le buffet des grandes orgues, dont la partie instrumentale, due à Clicquot, a passé pour la plus complète de l'Europe jusqu'aux innovations de Cavaillé-Coll ; le beau dessin de Chalgrin pour le buffet est conservé au Minutier des notaires. Chalgrin détruisit entre les tours le fronton frappé par la foudre en 1770. Il édifia la tour nord, à deux niveaux, ornée des statues des Évangélistes ; mais la Révolution empêcha le remaniement de la tour sud, qui aurait donné sa symétrie et son harmonie complète à la composition de Servandoni. À la base des tours, Chalgrin aménagea les deux chapelles du Saint Viatique et des Baptêmes. Dans la seconde, au nord, colonnes corinthiennes et statues des Vertus sculptées par Boizot font une ronde joyeuse autour de la cuve baptismale. Ce sanctuaire de proportions modestes, l'un des chefs d'œuvre de l'architecture sacrée, a été traité avec un art qui en fait miraculeusement le lieu de l'allégresse et de la grâce. Le projet en est conservé à Londres dans la collection J. Harris.
Chalgrin fut en concurrence avec Poyet, Lequeu et Lemoine le Romain pour la reconstruction de Saint-Sauveur. Sa maquette, signalée aux Tuileries en 1782 (Thiéry, Almanach du voyageur pour 1783, p. 408), puis au Louvre dans les salles de l'Académie d'architecture en 1792, fut recueillie par Monge et Durand dans le musée de l'École polytechnique, où elle a été portée disparue bien avant le transfert de l'école et de ses collections sur le plateau de Saclay.
Le Collège royal de France, autrefois place de Cambrai, n'est pas l'œuvre la plus inspirée de Chalgrin, si l'on excepte la jolie chapelle ionique, aujourd'hui salle de conférences. Par comparaison, l'extension réalisée sur la rue Saint-Jacques par Paul-Marie Letarouilly serait plutôt en faveur du très habile dessinateur des Édifices de Rome moderne.
Chalgrin était académicien depuis 1770. Il devint Premier architecte et intendant des Bâtiments de Monsieur, frère du roi, comte de Provence, quand fut constituée sa maison, en 1775. Il transforma ou bâtit les habitations de ce prince, de son épouse, Louise Joséphine de Savoie, de sa maîtresse, Mme de Balbi. Monsieur reçut le Luxembourg en apanage en 1778. Chalgrin a profondément remanié l'intérieur du palais, y créant le beau vestibule central. Sir Anthony Blunt a pu croire que les colonnes de la rotonde de l'entrée sur la rue de Vaugirard étaient de Chalgrin, mais elles remontent à Salomon de Brosse (Rosalys Coppe). Le nom de la rue Madame garde le souvenir des lotissements qui furent projetés à cette époque, où Mme de Balbi eut son hôtel. Le pavillon de Mme à Montreuil, aujourd'hui propriété particulière, est gravé dans un recueil de Krafft. Il contient un salon circulaire, dont le décor peint en trompe-l’œil simule une colonnade au milieu d'un parc. À Montreuil, Chalgrin aménagea un hameau où Madame prenait les mêmes divertissements que sa belle-sœur à Trianon. Il en subsiste la laiterie, où les colonnes sont en bois et les denticules en placages d'écorce. La résidence de Brunoy, où le comte d'Artois avait succédé aux Montmartel, n'est plus qu'un souvenir : seule, parmi les dépendances, une faisanderie subsiste. Aux confins du potager de Versailles et de Satory, le pavillon de Mme de Balbi, avoisiné par un étang et une grotte artificielle nous est parvenu intact ; ce jardin paysager reste l'un des plus évocateurs de la fin du XVIIIe siècle. Avenue de Paris, Chalgrin agrandit pour son maître l'ancien hôtel des équipages de Mme Du Barry construit par Ledoux (aujourd'hui hôtel de police). Il édifia à Versailles et à Compiègne de nombreux et beaux bâtiments destinés à la livrée, aux chevaux et aux voitures du prince. Ces édifices disparaissent les uns après les autres, sacrifiés à la promotion immobilière.
Architecte du comte de Provence, Chalgrin le fut aussi du comte d'Artois mais à titre nominal, car le soin des bâtiments dece prince reposait sur Bélanger. Il porta aussi un moment le titre de Premier architecte de l'Électeur de Cologne et fit des voyages outre-Rhin ; une lettre adressée par lui à M. d'Angiviller est datée de Munich (Arch. nat., O11293 263). Poyet a écrit, non sans dépit, que Chalgrin était plus occupé que tous les architectes réunis. Sollicité de toutes parts, il est peu de programmes architecturaux qu'il n'ait abordés. Un document conservé aux archives de l'Assistance publique montre qu'il fut consulté avec Ledoux sur la reconstruction de l'Hôtel-Dieu. On peut encore citer de lui la sacristie de la cathédrale de Besançon et des projets pour Bordeaux qui ont été gravés (BHVP, F° 19 790).
Chalgrin était un homme de belle apparence, affable et conciliant dans les relations d'affaires. Il avait épousé en 1776 Émilie Vernet, la fille du peintre de marines, ami intime de Soufflot. Selon Viel, dans la vie mondaine, Chalgrin représentait avec un certain faste, à l'égal de Ledoux et de Soufflot. Orgueilleux en apparence, ajoute Quatremère de Quincy, il était profondément modeste et bienveillant. Prodigue, il dépensait plus que ses gains et négligeait parfois les intérêts d'autrui : dans une lettre de sa dernière année, Voltaire lui reproche affectueusement d'avoir oublié une clause importante en négociant pour le Patriarche et sa nièce l'achat d'une maison rue du Mail. Un portrait de David, qui a longtemps passé pour celui d'Émilie Vernet-Chalgrin, est celui de Mn,. Charles-Louis Trudaine (musée du Louvre). Émilie était une amie de M Vigée-Lebrun. Bien qu'elle vécût séparée de Chalgrin à l'époque de la Terreur, les commissaires de sa section ayant trouvé chez elle de la chandelle à l'estampille de la maison de Provence, elle fut traduite devant le tribunal révolutionnaire et guillotinée. Les Vernet et leurs descendants Delaroche ont tenu rigueur au conventionnel David de n'être pas intervenu en sa faveur — mais David dut le faire pour Ledoux, qui avait enrichi ses beaux-parents Pécoul.
Chalgrin, architecte du Luxembourg, fut un moment détenu dans ce palais transformé en prison. Cependant, l'époque thermidorienne lui fut favorable et le Directoire lui fit confiance quand il eut établi au Luxembourg le siège de son gouvernement. En quelques années, Chalgrin transforma une seconde fois l'édifice pour l'adapter à ses destinations successives de palais consulaire et sénatorial. Dans l'aile droite, il remplaça la galerie des Rubens par un grand escalier assez froid mais qui reste l'un des spécimens du style Empire. La belle salle qu'il aménagea pour le Sénat conservateur, connue par la gravure, a été malencontreusement transformée sous Louis-Philippe. Dans le voisinage du palais, Chalgrin reconstruisit avec Baraguay le théâtre connu sous le nom de l'Odéon, après son incendie en 1799. Architecte des fêtes publiques, il ordonna brillamment en 1802 les célébrations de la paix d'Amiens. Il fut membre de l'Institut en 1799, en remplacement de Ch. De Wailly, et du conseil des Bâtiments civils. Parmi les élèves qu'il a formés, de célébrité inégale, on cite non seulement Viel, mais Alexandre de Gisors, Goust, Podevin et surtout Kléber, le futur maréchal, qui fut vers 1780 un excellent architecte à Strasbourg.
La renommée de Chalgrin reste para- doxalement liée à la création de l'arc de l'Étoile, édifice qui a été dénaturé après lui. L'épisode est assez connu pour n'avoir pas à être rappelé longuement. Chalgrin fut en concurrence avec Raymond, son collègue à l'ancienne Académie, Il ornait son arc de colonnes isolées, Raymond les voulait engagées. L'incompatibilité de ces deux partis rendait entre eux toute collaboration impossible. L'arbitrage de Champagny ménagea à l'ombrageux Raymond une retraite honorable. Chalgrin composa alors un projet qui ne comprenait plus de colonnes du tout. En 1810, les quatre piles s'élevaient d'un mètre au-dessus du sol quand Paris fêta l'arrivée de l'archiduchesse Marie-Louise, Alors, pour le passage du cortège, l'Empereur délégua des crédits qui permirent à Chalgrin de préfigurer en charpente et toiles peintes l'effet futur de l'édifice à grandeur d'exécution. Chalgrin mourut assez subitement au début de l'année suivante. Raymond, qui était assez aigri, mais non brouillé avec son confrère, mourut huit jours après lui.
Charles-Marie Viel, Notice nécrologique sur Jean-François-Thérèse Chalgrin, Paris, 18M.
A.-Chr. Quatremère de Quincy, « Notice historique sur M. Chalgrin », 1816, reprise dans le Recueil de notices... lues à l'Institut, 1832.