JEAN-JACOB GUERNE
Né à Paris en 1755, fils d'Abraham Guerne, charpentier de la Ville, et de Marie Debeu. Élève de Moreau-Desproux, il remporta à l'Académie le prix d'émulation de décembre 1765 : « une salle de bal ». Blondel appréciait ses aptitudes, mais le jugeait sûr de lui « assez prévenu en sa faveur ». Quatre fois logiste, il remporta finalement le grand prix en 1769: une fête publique dont le sujet sera le temple de l'Hymen pour le mariage d'un souverain. Ce thème était inspiré par le mariage imminent du Dauphin et de Marie-Antoinette ; il fut souvent traité, mais avec moins de magnificence, par Moreau-Desproux au cours de sa carrière au service de la Ville. Calviniste, pour ne pas compromettre son père, qui achevait la charpente de l'Opéra de Versailles, Jean-Jacob ne sollicita pas le brevet de pensionnaire du roi et visita l'Italie à ses frais. Mais il retrouva au palais Mancini ses camarades et dessina avec eux le modèle vivant. Deux de ses dessins furent conservés sous la forme de contre-épreuves par son ami et confident Adrien Pâris : un modèle costumé en évêque et le temple de la Sibylle à Tivoli (Cabinet des dessins du musée de Besançon).
Guerne admirait Palladio. De Rome, le 3 septembre 1772, l'architecte Jean-Arnaud Raymond écrivit à son confrère vénitien Temanza pour recommander à son accueil ses amis Guerne et Lemoine de Couzon. Ces deux Parisiens étaient de retour à Rome en octobre, d'où Temanza fut remercié. Dans le cercle palladianisant de Raymond, Guerne connut Giacomo Quarenghi, qui le précéda en Russie.
De retour à Paris, il fut nommé inspecteur des Bâtiments de la Ville en novembre 1773, aux appointements de 1800 livres. Dans le service dirigé par Moreau-Desproux, ses collègues étaient Peyre l'Aîné, Marquis et Baraguey. Sa plus jeune soeur, Marie-Anne, épousa en premières noces l'ébéniste Pierre Migeon.
En 1769, son père avait acquis de la Ville un terrain limité par le magasin de l'Opéra, la rue de Bondy (René-Boulanger) et le nouveau boulevard Saint-Martin, qui prit en 1781 le nom de boulevard de l'Opéra. Jean-Jacob y édifia un premier hôtel à cour octogonale qui fut pris à bail par l'ambassadeur de Venise, Daniele Dolfin ; l'architecte fit état de cette oeuvre lors de sa première candidature à l'Académie en novembre 1777. Le 10 mai de la même année, un arrêt du Conseil avait autorisé la Ville à céder aux Guerne un second terrain sur lequel ils bâtirent un hôtel destiné à l'échevin Jolivet de Vannes. Cette maison, ornée d'un ordre ionique sur le Boulevard, a été gravée par Janinet d'après Durand, n° 72 de leur collection d'édifices parisiens. L'édit de tolérance de 1787 favorisa l'activité des Guerne. À cette époque, Jean-Jacob embellissait le choeur gothique de la cathédrale de Senlis, pour lequel fut commandée à Jean-Guillaume Moitte la statue de saint Rieul. Ce décor fut bientôt
victime des actes de vandalisme qui suivirent la chute de la royauté. Devant l'Académie, Sedaine avait également présenté le projet de Jean-Jacob Guerne pour la décoration de la cathédrale de Laon. En mars 1792, un même scrutin nomma Ledoux dans la première classe et désigna Guerne pour entrer dans la seconde, mais la compagnie fut bientôt dissoute. Jean Jacob Guerne et sa femme possédaient en Suisse, sur le lac de Bienne, une maison nommée Rockhall, où ils passèrent l'hiver 1790-1791. À ce moment, bien que son frère, Pierre Abraham, eût démonté la charpente de la Bastille et construit pour la fête de la Fédération l'arc de triomphe du Champs-de-Mars (voir ici la notice Cellerier), Jean-Jacob était réputé suspect ; il avait en effet des intérêts dans une manufacture de fusils. Prudemment, il émigra. Les hôtels du boulevard de l'Opéra furent déclarés biens nationaux. La Convention, par décret du 5 floréal an II, décida d'édifier sur leur emplacement les Arène du peuple ; mais le concours d'architecture, dont le lauréat fut Lahure, démontra que le terrain était trop exigu pour un programme aussi ambitieux. Les hôtels de Venise et de Vannes furent transformés en immeubles de rapport. La carrière de Jean-Jacob Guerne se poursuivit en Russie au service de Paul ler qui l'anoblit. Son oeuvre la mieux connue des historiens russes est le palais Galitzin d'Arkhangelskoïé, situé dans un parc à l'ouest de Moscou. C'est une construction fastueuse couronnée par la rotonde d'un tempietto d'où la vue s'étend vers la vallée de la Moskova. Après Guerne, l'intérieur a été remanié et les dépendances amplifiées par l'architecte Melnikov pour la famille Youssopof. Nous connaissons beaucoup moins ce que Guerne fit à Saint-Michel, à Gatchina et à Pavlovsk ; mais il fut, de pair avec les élèves russes de Ch. De Wailly, l'un des agents de l'influence française dans ce pays.
Bibliographie :
A. Tuetey, Répertoire général des sources de l'histoire de Paris pendant la Révolution, Paris, 1890,1894.
Fr. de Salverte, Les Ébénistes du XVIII' siècle, Paris, Bruxelles, 1923 ;
V.V. Poznanskïï, Arkhangelskoïé, Moscou, 1966. A.-Ch. Gruber, Les Grandes Fêtes et leur décor à l'époque de Louis XVI, Genève, 1972.
L. Olivato Puppi, « Architectes français de l'époque de Soufflot en Vénétie », in Soufflot et l'architecture des Lumières, Paris 1980.
J.-M. de Montclos, Les Prix de Rome, Paris, 1984. W. Szambien, Les Projets de l'an II, Paris, 1986 ;
G. Gramaccini, Jean-Guillaume Moitte et la Révolution française, in RA, 1989.
Documents:
Venise, musée Correr, Correspondance Moschini. Beauvais, Archives de l'Oise, G 2002, cathédrale de Senlis.
Besançon, Bibliothèque municipale, fonds Paris, T.6, fol 98, lettre du 19 décembre 1771.
Paris : AI, B 21, lettres de candidature à l'Académie d'architecture.
Archives de la Ville, DQ 18, Sommier des contributions foncières, rue de Bondy, boulevard Saint-Martin.
Arch. nat., AF II 76 -564-44, Police. D38 4 (59), Cathédrale de Senlis. F7 3331, F7 4335-2-25, Police. Bureau de Ville, service d'architecture, H 2177. Académie royale d'architecture, 01 1932 et 1933. Trésoriers de France, permis donnés à Abraham Guerne pour l'hôtel de Vannes, ZIF 505, fol. 23 à 27. Chambre des bâtiments, Estimation du modèle du chœur de Senlis, confectionné par le menuisier Antoine Maréchal, Z1J 1150.
Arch. nat. Min., étude LVI.
Communications de la princesse Olga Galitzine et de Boris Lossky.