LAFFITTE (rue)

IXe Arrondissement. Commence 18 bd des Italiens ; finit 19 r. de Châteaudun. Longueur 491 m ; largeur 13 m.

Cette rue a été ouverte, en 1770-1771, ainsi que la rue de Provence, sur des terrains appartenant au fermier général Laborde, qui les tenait depuis dix ans du trésorier général de l’artillerie Bouret de Vézelay (1733-1810) ; celui-ci, grand spéculateur sur les marais de ce quartier, les avait achetés, pour leur plus grande partie, aux religieux mathurins. Elle ne comportait alors que la section comprise entre le boulevard des Italiens et la rue de Provence. On lui donna le nom d’Artois pour faire pendant au nom de la rue voisine à qui avait été donné celui du comte de Provence.

Sa croissance fut parallèle à celle de la rue de la Chaussée d’Antin. Mme du Barry demanda, en 1773, à Ledoux de lui établir un projet pour une résidence qu’elle envisageait d’avoir le long de cette rue nouvelle, résidence qui avec ses jardins, se serait étendue depuis le boulevard jusqu’à la rue de Provence ; la mort de Louis XV mit un terme à ce projet. En 1823, cette rue fut prolongée, au travers de l’hôtel Thélusson (cf. r. de Provence) jusqu’à la rue Chantereine (de la Victoire) et, l’an suivant jusqu’à la rue Ollivier (de Châteaudun). Appelée Cerutti de 1792 à 1814, elle reprit en 1814, son nom d’Artois, remplacé en 1830, par celui du financier et homme politique Jacques Laffitte (1767-1844), qui avait son hôtel dans cette rue. Elle comptait, avant la guerre 1914-1918, près d’une vingtaine de galeries de marchands de tableaux.

Nos 1, 3. – Emplacement d’un hôtel Choiseul-Stainville devenu hôtel Cerutti et meublé d’Artois (cf. 20 bd des Italiens). Le n°3 actuel a été habité, en 1910, par les frères Max et Alex Fischer.

N°5. – Emplacement en 1761, d’un hôtel d’Aubeterre, propriété en 1807, de la banque de Thornton Richard Power et Cie ; en 1839, de la banque Morel.

N°8. – Emplacement, en 1913, de la galerie Bernheim Jeune, qui en partit pour le boulevard de la Madeleine, puis pour la rue du Faubourg-Saint-Honoré.

N°9. – Emplacement, en 1913, de la galerie de tableaux de Georges Bernheim que l’ouverture du boulevard Haussmann força à émigrer.

N°11. – Emplacement de la maison où vécut, de 1858 à 1876, le compositeur Jacques Offenbach (1819-1880).

N°12. – Emplacement d’un immeuble habité, en 1800, par Laromiguière ; il avait alors 44 ans et professait depuis 1799, la philosophie à la faculté des lettres à Paris où il attirait un auditoire d’élite.

N°13. – Emplacement des bureaux de l’aventurier Arton, qui fut mêlé à l’affaire du canal de Panama ; il s’y suicida en 1905.

N°14. – Emplacement d’un hôtel construit, en 1778, par les architectes Poncet et Thévenin, qui le vendirent en 1782, au fermier général Le Bas de Courmont, aussi régisseur général du Trésor, qui eut ici une galerie de tableaux fort réputée.

N°16. – emplacement du débouché du passage vitré d’Artois, puis Laffitte, de 1824, aboutissant 11 rue Le Peletier et supprimé en 1854, lorsque l’acheta Emile de Girardin. Des restaurants, une banque, puis la galerie Durand-Ruel l’occupèrent jusqu’à ses dernières années. Paul Durand-Ruel l’avait ouverte, le 15 avril 1870, avec autre entrée 11 rue Le Peletier. Des poètes, des journalistes, politiciens et es gens de théâtre la fréquentèrent. Les impressionnistes y exposèrent. Galerie transférée en 1924 avenue de Friedland.

N°17.- Emplacement d’un terrain acheté et bâti vers 1772, par Moreau, pour Bollioud de Saint-Julien, trésorier des Etats de Bourgogne, puis receveur général des rentes du clergé. Cette propriété appartint ensuite à un ancien traitant, Lannois (ou de Launoy), qui agrandit les jardins de l’hôtel ; ceux-ci s’étendaient jusqu’à la rue Taitbout où ils se terminaient par une terrasse surplombant la chaussée ; ils contenaient un rocher artificiel dont la construction avait coûté près de 80 000 livres. Cette propriété, magnifiquement décorée par Prudhon, composée, au fond d’une vaste cour, d’un rez-de-chaussée et d’un étage flanqué de deux ailes en retour d’équerre, appartint, en 1805, à Louis Bonaparte, connétable de l’Empire, époux, depuis 1802, d’Hortense de Beauharnais et futur roi de Hollande (1806), antérieurement logé dans l’ex-hôtel de Mlle Dervieux, rue de la Victoire. Lors de sa disgrâce, en 1810, l’hôtel fut donné à Hortense qui conserva son titre de reine quoiqu’elle fût séparée de son mari et que celui-ci eût abdiqué. Elle y tint un brillant salon ; le plus jeune de ses fils, Charles-Louis-Napoléon, futur Napoléon III, dont il n’est pas assuré que Napoléon Bonaparte fut le père, y naquit le 20 avril 1808. (Le cardinal Fesch n’a-t-il pas dit que « quand il s’agit des pères de ses enfants, la reine Hortense s’embrouille toujours dans ses calculs ».)

Le prince de Schwarzemberg installa le 10 juillet 1815, son logement militaire dans cet hôtel, la reine Hortense ayant dû fuir Paris. L’hôtel appartint, en 1818, au banquier Hagerman et, plus tard, un peu avant 1835, à Salomon de Rothschild. L’ambassade ottomane s’y installa lorsqu’elle quitta la place de la Concorde et y resta jusqu’en 1885. On pensa alors y installer le Cercle militaire. Hôtel démoli en 1899 ; la rue Pillet-Will passe sur son emplacement.

N°19.- La veuve de Laborde (née Rosalie-Mettin) avait fait construire à cet endroit un hôtel qu’elle vendit, en 1801, au banquier Martin Doyen ; celui-ci y demeura jusqu’en 1812. Il le vendit, à cette date, à Fouché, duc d’Otrante. Lorsqu’au début des Cent-Jours Bourrienne, préfet de police, vint, le 16 mars 1815, pour l’arrêter, Fouché descendit dans son jardin par un escalier dérobé, sauta dans le jardin contigu de la reine Hortense et s’enfuit par la porte que cet hôtel avait sur la rue Taitbout ; il brisa, dans sa précipitation, la serrure de cette issue dont la reine Hortense lui avait pourtant remis antérieurement la clef.

Fouché, réfugié à Prague, vendit cet hôtel, le 3 février 1817, pour 1 100 000 francs, aux sieurs Friès, banquiers à Vienne, et aux sieurs Lamel, négociants à Prague, qui le cédèrent, en 1818, à Jacob Mayer Rothschild. L’hôtel, démoli, fut reconstruit en 1836.

Porte flanquée de colonnes, belle cour, hôtel du fond dont la très belle façade sur le jardin est visible de l’angle des rues Pillet-Will et La Fayette, terrasse à balustres de pierre, grand balcon sur sept fenêtres, ferronneries.

N°22.- Façade.

N°21, 23, 25.- Le terrain de ces immeubles fut vendu, en 1772, par le fermier général Laborde à un sieur Noguès qui y construisit, entre cour et jardin, un hôtel que lui acheta, en 1801, le banquier Bastide. Celui-ci le revendit, en 1806, à Savary, futur duc de Rovigo, qui devait remplacer, en 1810, Fouché au ministère de la police. Après la chute de l’Empire, Savary le revendit, tout meublé, à un sieur Thébaud, mais l’habita quelque temps encore comme locataire. Cette propriété fut achetée, en décembre 1815, par le comte Greffulhe et, à sa mort, en 1820, passa à sa femme, née Vintimille.

Elle fut démembrée en 1835, d’où les trois numéros actuels. Une partie (n°21) devint, en 1835, la propriété du baron James de Rothschild, l’autre en 1836, celle du banquier Joseph Périer. Celui-ci vendit le terrain situé en façade sur la rue à un sieur Icard (n°25) que lui acheta, en 1859, le baron James de Rothschild. Enfin, celui-ci acheta, en 1859, aux héritiers Icard le troisième lot (n°25).

Le percement de la rue La Fayette, en 1866, a emporté une partie des jardins de cet ensemble.

N°27.- Emplacement d’un petit hôtel ayant appartenu au fermier général Laborde, fondateur du quartier. Il fut décapité le 18 avril 1794 et cet hôtel devint un hôtel garni, appelé de 1805 à 1830, hôtel de l’Empire. Vers cette dernière date le banquier Laffitte l’acheta et s’y installa. C’est là que les libéraux se réunirent, en 1830, autour de La Fayette et du général Gérard et que Thiers rédigea le manifeste proposant la couronne à Louis-Philippe d’Orléans. Laffitte, ruiné, aurait dû quitter cet hôtel si une souscription nationale ne l’avait acheté pour le lui offrir. Il y mourut le 26 mai 1844, à 77 ans, laissant la maison à sa fille unique, épouse du prince de La Moskowa, fils du maréchal Ney. En 1836, Masson de Puitneuf qui, avec Musard, avait ouvert, en 1833, une salle de concert dans l’ex-cirque Franconi de la rue Saint-Honoré, ouvrit dans le jardin de cet hôtel une salle de bal qui dut fermer en 1841 ;

Restes de boiseries et de décorations intérieures.

N°28. – Emplacement de la galerie de tableaux ouverte, en 1867, par Gustave Tempelaere, transportée, en 1895, au n°36, où elle resta jusqu’en 1923.

N° 39. – Emplacement, en 1893, de la galerie de tableaux d’Ambroise Vollard, transférée ensuite au n°41 et, en 1901, au n°6,  l’ouverture du boulevard Haussmann fit qu’elle partit de la rue Martignac.

N°40. – Cet hôtel fut habité par Lola Montès, danseuse espagnole, épouse successive du capitaine James qui l’abandonna, du journaliste Dujarrier qui fut tué en duel, puis du vieux roi Louis de Bavière qui l’épousa morganiquement et la créa comtesse de Landsfeld. Une émeute l’ayant chassée de Munich, elle se réfugia à Paris ; elle connut ici une vie précaire, donna des bals par souscription, puis contracta un quatrième mariage avec l’Anglais Heald qui l’emmena en Amérique où elle se remit à danser. Veuve à nouveau, elle se maria un cinquième fois avec un journaliste, en Californie ; elle mourut comme lectrice à New-York, en 1861, à 42 ans.

N°41. – Emile de Girardin et Delphine Gay, venant du n°11 de la rue Saint-Georges, habitèrent cet endroit avant d’aller, en 1843, à l’hôtel Choiseul-Gouffier, avenue des Champs-Elysées.

N°44. – La cantatrice Rosine Stoltz, fille d’une boulangère et qui mourut princesse, habita à cet endroit.

N°46. – Emplacement de la galerie Sagot, louée, en 1920 par Berthe Weill.

N°52. – Céleste Mogador, si connue au bal Mabille, et la femme de lettres Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) demeurèrent à cet endroit.

N°56. - Emplacement des bureaux du journal hebdomadaire Le Boulevard, fondé, en décembre 1861, par Carjat, photographe et caricaturiste.

Deux marchandes de mode réputées, Mme Guichard qui avait pris la succession Leroy, le célèbre modiste du premier Empire, et Palmyre, la couturière qui régenta la mode sous le second Empire, ont habité cette rue.