PIERRE ROUSSEAU (1751-1829)
Fils de Pierre Rousseau, « architecte », et de Rose Barbier, il naquit à Nantes le 31 mai 1751 sur la paroisse Sainte-Croix. Il fut à Paris l'élève de Potain, qui avait noué des relations en Bretagne, et suivit à l'Académie le cours de Blondel. Bien qu'il ne soit pas monté en loge pour le grand prix, il fut nommé pensionnaire à Rome en juillet 1773. Pendant son séjour, son ami Vincent dessina de lui plusieurs portraits-charges, dont l'un est conservé dans la collection Atger à la faculté de médecine de Montpellier. Un autre, à Carnavalet, le montre en bonnet de nuit et robe de chambre, et porte la légende Rousseau cogitant. Le beau portrait de Rousseau lisant, peint à Rome par le même artiste, est conservé au musée de Saint-Orner.
À Londres, le Royal Institute of British Architects possède une collection de dessins de Rousseau exécutés à diverses époques de sa carrière. Parmi ceux qui sont datés de 1773-1775 figurent un projet muet d'édifice profane surmonté d'une coupole, et une élévation qui développe et simplifie à la fois celle du palais Mancini, siège de l'Académie de France. Le relevé du palais Sacchetti de la via Giulia doit dater d'un second voyage de Rousseau à Rome en 1788.
En juin 1775, Rousseau revint prématurément de Rome, dont le climat nuisait à sa santé. En mars 1778, il se mit en ménage avec Marie-Adrienne Potain, très jeune veuve de l'entrepreneur Pierre-Philippe Leroux. Cette union fut régularisée en l'église de Courtalain (Eure-et-Loir), où Potain avait succédé à son beau-frère, Gabriel de Lestrade, comme architecte du duc de Montmorency. Mme Rousseau a été peinte par Mme Vigée-Le Brun, tenant dans ses bras un enfant (Louvre).
Rousseau construisit à Paris d'assez nombreux hôtels et immeubles. La maison 66, rue de La Rochefoucauld lui appartint. L'ordonnance en est très personnelle. C'est une maison cubique comprenant un rez-de-chaussée, deux étages et un toit couronné d'un belvédère Les trois portes-fenêtres du rez-de-chaussée sont encadrées de colonnes nichées, les fenêtres du premier étage sont à tabernacles ioniques. Le dessin de l'élévation postérieure existe dans le fonds lOndonien du RIBA. Pour les écuries de cette maison, de plan semi-circulaire, Rousseau choisit l'ordre de Paestum. L'on connaît de Rousseau l'hôtel de Dreneuc, rue de Provence, qui servit de prison sous la Terreur. À l'hôtel de Montmorency, ancien hôtel de Rivié, sur le Boulevard (voir la notice P. Lassurance), il aménagea le chartrier et édifia un pavillon chinois dont la maquette est conservée à Courtalain. En 1778, il édifia pour la communauté des Théatins le grand immeuble 25, quai Voltaire. Il compta aussi parmi ses clients le comte de Neuilly, possesseur d'une folie du faubourg Montmartre.
Rousseau fut adjoint à son beau-père au contrôle de Fontainebleau et y fit d'importants travaux à l'époque où la politique de Calonne encourageait Louis XVI à la dépense. Pour agrandir les appartements royaux, il édifia un nouveau corps de logis entre la galerie François et le jardin de Diane. Alors furent créés chez le roi le Cabinet à la poudre, une bibliothèque, une salle et une chambre des bains, chez la reine un boudoir et le Grand Cabinet. De beaux dessins de Rousseau pour ces pièces, qui sont parmi les plus belles du style Louis XVI, existent au Cooper Hewitt Museum de New York et à l'École des beaux-arts de Paris. Ces travaux furent réalisés rapidement entre deux séjours annuels de la Cour en 1785-1786. Pour une fois, Mique ne travailla pas chez la reine. Le décor est inspiré de Piranèse et des arabesques de Volpato. Il fut exécuté pour la menuiserie par Bourgeois et Molitor, pour la mécanique et les bronzes par Merklin et Pithoin, pour la peinture par Simon Berthélemy, Sauvage et Touzé.
Toujours dans le sillage de son beau-père, Rousseau édifia à Fontainebleau l'hôtel des gardes de la Porte du roi et à Saint-Germain l'actuelle chapelle des catéchismes de la paroisse.
L'oeuvre qui fait sa célébrité et a occulté jusqu'ici le reste de sa carrière est l'hôtel de Salm, où siègent la grande chancellerie et le musée de la Légion d'honneur. Frédéric III, prince de Salm-Kirburg, Kirburg et Kirn (1745-1794) était un personnage fastueux, prodigue et joueur. Après son mariage avec Jeanne Françoise de HohenzollernSiegmaringen, il entreprit dans sa résidence de Kirn des travaux qui ne furent pas tous achevés, mais pour lesquels un autre architecte parisien, Jacques-Denis Antoine, a laissé de magnifiques dessins. À Paris, Frédéric de Salm acquit du prince de Conti un terrain au bas de la rue de Bellechasse. À ce niveau, le quai n'était pas alors une voie publique, mais tout au plus un chemin de halage, si bien que le palais reposa sur une terrasse. L'entrepreneur fut Pécoul, allié de Rousseau par les Potain. Un tableau anonyme nous fait assister à la construction du palais de Salm (Carnavalet). Dans le sol marécageux de la Grenouillère, la construction du mur de soutènement fut difficile et les fondations du palais exigèrent de grandes précautions d'étanchéité.
Sur la rue de Lille, l'arc de triomphe et les péristyles s'inspirèrent du célèbre projet pour l'hôtel de Condé gravé dans les oeuvres de Peyre en 1765. Les bas-reliefs des ailes scènes de Sacrifice et de Triomphe, ont été taillés par le beau-frère de Rousseau, Philippe-Laurent Roland, époux de Thérèse Potain.
Des constructions annexes furent entreprises pour le prince de Salm de l'autre côté de la rue de Bellechasse. Mais quand les biens du prince eurent été frappés de saisie réelle, Rousseau et sa femme entrèrent en possession de ce chantier. Les créanciers bénéficiaient du nantissement prévu par la déclaration royale d'août 1766 qui favorisait l'investissement immobilier. Les Rousseau s'efforcèrent de les dédommager, mais l'opération n'enrichit personne.
L'hôtel de Salm fut très admiré. Parmi les gravures qui en furent faites, les plus belles figurent dans le recueil de Prieur et Van Cléemputte, dans celui de Krafft et Ransonnette et dans la Description de la France de La Borde. Quand Thomas Jefferson était ambassadeur à Paris, il demandait à la chaisière du jardin des Tuileries de placer son siège de manière qu'il pût contempler le palais de Salm à travers la Seine : « J'étais amoureux de ce bâtiment... » Amplifié, reconstruit après l'incendie de la commune, ce chef-d'oeuvre a inspiré des copies plus ou moins heureuses, comme le château de Rochefort-en-Yvelines et le musée de San Francisco. Les statues qui couronnaient la rotonde avant l'incendie sont conservées par la Légion d'honneur dans sa maison des Loges.
L'époque révolutionnaire offrit à Rousseau l'occasion de développer les projets qu'il avait composés à Rome. Celui qu'il fit en 1789 pour un palais national et une place de Louis XVI entre le quai et la rue Jacob exprimait le rêve éphémère d'une monarchie parlementaire. Un second projet de palais national, présenté au concours de l'an II, valut à Rousseau un prix de 1 000 francs.
Parmi les constructions privées de Rousseau dans la région parisienne, Normand a gravé une belle maison construite en 1801 à Choisy-le-Roi.
Sous le Consulat, l'Empire et la Restauration, Rousseau fut architecte des Bâtiments nationaux dans plusieurs départements. Le long séjour qu'il fit dans le Puy-de-Dôme lui permit de construire aussi dans l'Allier et la Corrèze, où ses oeuvres sont encore à redécouvrir. En 1807, la ville de Clermont-Ferrand fut flattée de l'engager, théoriquement aux appointements de 3 500 francs. En fait, il ne reçut que 800 francs annuels, portés à 1 500 en 1813, et 500 francs pour ses frais de bureau. Il recevait en sus 5 % sur le prix des constructions.
Parmi les réalisations de Rousseau dans le centre de la France, la halle au blé d'Issoire, temple inspiré de Ségeste (1808-1816), a été souvent remarquée des admirateurs de Ledoux : Moreux et Raval, (Ledoux, 1945, planche 350, sans nom d'architecte). La prison centrale de Riom, dont le projet est conservé dans le fonds de Londres, reste l'édifice pénitentiaire le plus intéressant du premier Empire. Rousseau y a amplifié l'ordonnance conçue par Desmaisons pour la Petite Force, avec un guichet central et des assises de bossages, appareillées ici en lave de Volvic,
Comme architecte à Clermont, Rousseau était chargé de la voirie et des hospices, il fit l'aile droite de l'hôtel-Dieu. Il acheva le théâtre, mit à neuf l'hôtel de ville pour la visite du duc d'Angoulême, transforma le collège royal, construisit la halle au blé, donna des dessins pour l'autel de la cathédrale et la fontaine de la place Champeix. La jolie chapelle qu'il fit en 1823 pour les Ursulines lui valut les suffrages du haut clergé.
Aux yeux des rationalistes formés par Durand et ses émules, Rousseau âgé passait pour un constructeur imprévoyant et un artiste démodé. Mais les notables de la Restauration lui témoignèrent les égards dus à un survivant de la cour de Louis XVI. Nommé correspondant de l'Institut en 1815, il eut à cette époque deux domiciles successifs à Paris, rue des Bons-Enfants et rue de Bondy.
Comme architecte des Bâtiments civils, il fit aussi des édifices judiciaires et pénitentiaires dans l'Eure et dans les Ardennes l'un de ses fils s'établit marchand de drap à Sedan.
Rousseau acheva sa carrière à Rennes. Il y mourut en 1829 et ses biens mobiliers y furent vendus. Une épave de sa bibliothèque, le cahier de ses notes prises au cours de Blondel, était à vendre à Paris, en 1984, chez F. De Nobele.
M. Gallet, L'Architecte Pierre Desmaisons, in BSHAF 1959.
Catalogue des dessins du Royal Institute of British Architechts, Londres.
C. Samoyault-Verlet, « Les Travaux de Pierre Rousseau à Fontainebleau », in Antologia di Belle Arti, 1977.
C. Ducourtial-Rey, 1. du Pasquier, L'Hôtel de Sahn, Paris, 1983.
W. Szarnbien, Les Projets de l'an II, Paris, 1986.
P. Piéra, in Claude-François-Marie Attiret, 1750-1823, architecte de Riom, Cahiers de l'inventaire, 1990.
Documents : Arch. nat., Bâtiments civils, F13 1913. BAUP, Architectes, 32. Archives de la famille Larget. AI. P. Rousseau ne doit pas être confondu avec son homonyme, Jacques Rousseau d'Amiens.