MONTPARNASSE (boulevard du)*
VIe, XIVe et XVe Arrondissements. Commence 143 r. de Sèvres ; finit 22 av. de l’Observatoire. Longueur 1 632 m ; largeur 39 m.
Ce boulevard fait partie, comme les boulevards de l’Hôpital, Auguste-Blanqui, Saint-Jacques, Raspail et des Invalides, de ces « boulevards du Midi » dont la construction fut prescrite par Louis XIV, en 1704. Tracé en 1714, il ne fut commencé qu’en 1761. Il doit son nom, du début du XIXe siècle, au souvenir d’une colline, sans doute artificielle et constituée par de séculaires amas de gravois, qui était située aux environs de notre carrefour Montparnasse-Raspail et appelée, au début du XVIII e siècle par les étudiants du Quartier latin, le mont Parnasse. Cette butte fut supprimée lors de l’ouverture du boulevard ; toutefois, un petit tertre était encore visible en 1816. Lorsque le boulevard fut achevé, il s’arrêtait alors à la rue d’Enfer (av. Denfert-Rochereau), l’avenue de l’Observatoire n’existant pas ; on mit en place, à la hauteur du carrefour cité ci-dessus, un corps de garde afin d’empêcher de passer les charrois indignes de se montrer sur l’élégante promenade allant désormais de l’abbaye de Port-Royal aux Invalides.
Le boulevard du Montparnasse constituait encore en 1828 une promenade signalée come « admirable, mais extrêmement solitaire », avec, de loin en loin, les murs de clôture de jardins appartenant à des hôtels de la rue Notre-Dame-des-Champs et de rares maisons. On y était presque en pleine campagne jusqu’à l’époque où commencèrent à s’ouvrir quelques guinguettes, avec bosquets et balançoires, recherchées par les amoureux.
Je vais parfois revoir, tout seul, un petit coin
Obscur du boulevard Montparnasse, témoin
De mon premier amour pour une « fleur-et-plumes »
Aux cheveux d’or. C’est dans ce lieu que nous nous plûmes.
La Muse à Bibi (1889).
Ce boulevard ne fut pavé qu’à partir de 1839 et éclairé à partir de 1843. Il fut habité, au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, par Jean Moréas, André Gill, le graveur. L. Flameng, les peintres Paul-Albert Laurens, Hoffbauer père et fils, l’historien Auguste Thierry, le poète polonais Mickiewicz, l’écrivain Charles Monselet. Devenu assez cosmopolite après la guerre de 1914-1918, il présente deux sections assez différentes : une commerçante et une bourgeoise de son n° 1 à la place du Dix-Huit-Juin-1940 et, au-delà, une plus moderne, plus cosmopolite et plus vivante, qui a connu une grande période artistique.
N°1. – Café que fréquenta François Coppé (1842-1908) pendant les trente-quatre ans où il habita le n°12 de la rue Oudinot. Le « piéton de Paris », Léon-Paul Fargue, a habité cet immeuble où il mourut en 1947, à 71 ans.
N°10. – Ancien hôtel de l’ambassadeur baron de Courcel, de l’Institut.
N°20. – Emplacement d’une « petite maison » qui aurait appartenu au comte d’Artois.
N°25 (et 132 r. de Vaugirard). – Cet hôtel, entouré de constructions modernes a été construit, en 1712, par Mathurin Chouanne. Il appartint, en 1713, à Catherine Bonot qui le revendit aussitôt au comte de Béthune ; en 1716, au prince de Condé, dit Monsieur le Duc ; de 1772 à 1725, au grand prieur Philippe de Vendôme ; en 1729, à Charles Rambure ; en 1741, à ses héritiers ; en 1775, à la famille de la Tour d’Auvergne et, en 1778, à une demoiselle Rey et à son fils naturel Godefroy de Folainville. Saisi comme bien d’émigré, il fut vendu en 1806. Le graveur Léopold Flameng, de l’Institut, l’habitait en 1910.
Par la belle grille d’entrée, on passe dans une courette qui conduit, au fond, aux communs (mascaron à l’entrée de la cave) et, à gauche, à l’hôtel ; autres fenêtres avec mascaron, balcon, fronton triangulaire écussonné. La façade sur le jardin, visible du n°23, est classée.
N°28. – Emplacement, de 1787 à 1855, d’un charmant jardin, bien ombragé, avec café, restaurant et bal champêtre. C’était le jardin de la Chaumière dont le nom prêtait à confusion avec la Grande Chaumière indiquée ci-après. Cet établissement fit place à un hôtel meublé et à une fabrique de boutons.
N°66. – Seconde gare Montparnasse (cf. pl. du Dix-Huit-Juin-1940). Rappelons (cf. av. du Maine et pl. Bienvenüe) que la première (1840) se trouvait située dans l’angle sud-ouest de l’avenue du Maine et du boulevard de Vaugirard.
N°70. – Emplacement du café-restaurant Lavenue, de 1896, antérieurement « bistrot-tabac », fréquenté, avant 1914, par des peintres et des hommes de lettres et, après la guerre 1914-1918, par des hommes politiques. Falguière avait sculpté une tête de Bretonne sur une pierre de la façade. Il y avait le Grand Lavenue et le Petit Lavenue.
N°75. – Emplacement, en 1880, sur un terrain jusqu’alors vague, du café des Fusains, remplacé, en 1904, par la brasserie Dumesnil, disparue en 1959. A côté se trouve le théâtre de Poche, le plus petit théâtre de Paris (60 places environ).
N°75, 79. – Emplacement (approximatif) avant la Révolution du grand hôtel Laval (cf. r. Notre-Dame-des-Champs) que longeait, à l’est, vers 1805, le cul-de-sac Montparnasse (impasse Robiquet).
N°82. – La commune de Montrouge donna à cet endroit, le 19 novembre 1848, à l’occasion de la promulgation de la Constitution, une grande fête, suivie d’un bal, au profit des pauvres. Cette importante réjouissance lui coûta 100 francs. Emplacement occupé par une institution privée.
N°85. – on situe à cet endroit une maison de campagne qui aurait appartenu au peintre Rigaud (1659-1743). Refaite vers 1765, elle appartint à cette époque à un certain Rigaux, d’origine suisse, qui la revendit en 1782. Les protestants y ouvrirent, en 1823, un foyer, dit Institut central pour les Protestants, à l’usage des missionnaires étrangers résidant à Paris. Ce foyer d’où partirent de nombreux missionnaires pour l’Afrique du Sud, fut transféré à Passy, en 1856, puis au n°26 de la rue Saint-Jacques en 1783 et, enfin, au n°102 du boulevard Arago en 1887. Monogramme R dans les ferronneries du balcon ; fronton.
N°87. – Emplacement d’un pavillon de chasse où George Sand et Pierre Leroux fondèrent, vers 1841, la Revue des Indépendants.
N°91 : Eglise Notre-Dame-des-Champs. – Une petite chapelle provisoire, d’architecture gothique, mais en bois, ne pouvant contenir que 300 personnes, desservie par des capucins, fut construite à l’emplacement du n°93, pour servir d’église paroissiale de quartier. Elle fut inaugurée le 15 février 1852 et nommée chapelle de Notre-Dame-de-Nazareth ou, plus couramment, Notre-Dame des Planches. Elle fut remplacée, en 1867, par l’église actuelle, appelée Notre-Dame-des-Champs en souvenir de l’ancien prieuré de la rue d’Enfer (cf. r. Henri-Barbusse). Cette église, construite pas Ginain dans un style pseudo-roman, sur le terrain d’un autre hôtel Laval, a été terminée en 1875 ; sa façade est ornée d’un bas-relief de Jules Thomas.
N°93. – Bâtiments administratifs, de 1908, sur l’emplacement de la chapelle Notre-Dame-de-Nazareth ci-dessus mentionnée, qui resta en service jusqu’en 1907.
N°95. – Emplacement du café Le Petit Napolitain (1914), fréquenté par les fervents de Verlaine qui y tinrent (1922) leurs samedis littéraires.
N°99. – Le Select Bar, ouverte n 1925, fut le premier des établissements de Montparnasse à rester ouvert toute la nuit et à accueillir à l’aube les derniers noctambules.
N°102. – Le café La Coupole, ouvert en décembre 1927, se trouve sur l’emplacement d’un ancien chantier de bois et de charbons sur lequel il avait été pendant longtemps question de construire un music-hall pour la clientèle étrangère du quartier.
N°105. – Emplacement du café de la Rotonde, ouvert en 1911, qui absorba, en 1924, avait abrité une exposition permanente de peintures, la revue Montparnasse et la société Les Amis de Montparnasse ; il avait eu, dès 1910, une physionomie particulière due à sa clientèle de peintres cubistes.
Le café de la Rotonde, dirigé par Libion à la veille de la guerre de 1914, eut dans sa clientèle Guillaume Apollinaire, Picasso, Derain, Vlaminck, Salmon, Max Jacob, Modigliani. Agrandi en 1923, devenu à la fois café, grill-room, galerie, galerie de peintures, dancing, boîte de nuit, il a disparu en 1958. Un cinéma l’a remplacé.
N°108. – Café du Dôme fondé, en octobre 1867, en remplacement d’un très modeste café. Lénine, Krassine, Trotzki…s’y attardèrent avant la guerre de 1914. Café modernisé en 1923.
N°112 à 136 (et 201 à 229 bd Raspail) : La Grande Chaumière. _ Emplacement du bal-jardin appelé la Grande Chaumière, un des plus célèbres de Paris, un rival des Tivolis, de Mabille et du bal d’Idalie ; il connut une vogue extraordinaire de 1788 jusqu’aux environs de 1853.
Ce fut, au début, un groupement de petites cabanes, couvertes de chaume, où l’on servait à boire et où l’on pouvait danser. L’anglais Trickson l’avait fondé en 1783. Il s’associa ensuite avec un restaurateur voisin, nommé Fillard, et les nouveaux propriétaires substituèrent aux cabanes couvertes de chaume une maison à deux étages qui entoura un grand jardin avec bosquets, parterres fleuris, grottes, escarpolette et, à partir de 1814, des tirs au pistolet. Cet établissement, quoique moins vaste que Tivoli et Beaujon, devint rapidement un des plus réputés de Paris. Les admirateurs de Corot lui offrirent là, en 1826, un grand dîner. Cet établissement passa aux mains de Benoît, gendre de Fillard, puis à celles de son fils qui y installa des montagnes russes (1 franc les quatre tours) et, en 1837, à celles d’un autre gendre, le « père » Lahire qui, ancien grenadier de la garde [p.159 :] doué d’une force musculaire redoutable, obtint, de l’autorité, de veiller seul sur le bon ordre de son bal, sans l’assistance des sergents de ville dont la présence était souvent une source d’algarades de la part des étudiants et de leurs compagnes.
La polka se montra là pour la première fois en 1845, ainsi qu’une danse osée, appelée la « Robert-Macaire », puis le « Cancan » qui naquit ici et fit alors scandale.
Messieurs les Etudiants
Montez à la Chaumière
Pour y danser l’Cancan
Et la Robert-Macaire…
Frédéric Soulier. Les Etudiants (1845)
Sous le règne de Lahire apparut aussi le « Chahut », sorte de quadrille, exagération du cancan, que la police dut interdire peu de temps après son apparition. Lola Montès, alors danseuse au théâtre de la porte Saint-Martin, y parut un soir dans un quadrille avec le clown Auriol ; Jules Favre, Horace Vernet, Paul de Kock, Emile de Girardin, Barbès, Saint-Simon et Thiers fréquentèrent la Grande-Chaumière au temps de leur vie d’étudiant. Le prix d’entrée était alors de 2 francs le jeudi, 1 franc les samedis et dimanches et 50 centimes les autres jours.
Puis la vogue passa ; la Grande-Chaumière ferma ses portes en 1855, supplantée par la Closerie des Lilas (cf. av. de l’Observatoire). Des arbres de son jardin subsistaient encore en 1912 aux nos 128, 130, 132 et 134 du boulevard Montparnasse formant un parc ; il en reste encore un 229 boulevard Raspail.
Deux établissements, moins célèbres que le précédent, se trouvaient dans son voisinage ; c’était au carrefour des boulevards d’Enfer (Raspail) et du Montparnasse, dans le jardin Benoît, le Jardin des Montagnes-Suisses, ces dernières hautes de 65 mètres ; cet établissement ouvrit vers 1814 ; l’autre était le bal de l’Arc-en-Ciel, fondé en 1800 ; son orchestre y lança souvent des valses inédites grâce à Laurent Filibertini, premier trombone, en 1837, au 5e régiment de hussards, créateur du populaire refrain :
Toi qui connais les hussards de la garde,
Connais-tu pas l’trombone du régiment ?
Enfin, le bal de l’Ermitage et le bal de l’Elysée-Montparnasse, tous deux de 1800, fréquentés par des ouvriers et des rôdeurs, se trouvaient aussi dans le voisinage de la Grande-Chaumière ; le premier servit de salle de réunion aux femmes socialistes en 1848.
Citons, parmi les établissements qui ont occupé l’emplacement de celle-ci, le restaurant Baty (fermé en 1923) que fréquentèrent Guillaume Apollinaire, Max Jacob, Vincent d’Indy et Léon Trotsky.
N°113. – C’est au débouché de la rue de la Grande-Chaumière sur le boulevard du Montparnasse que s’est tenu le lundi, jusqu’en 1914, le marché aux Modèles, lesquels prenaient alors 5 francs pour trois heures de pose.
Nos 122 et 123. – Brasserie Cardinau en 1860.
N°126. – Emplacement d’un hôtel Leduc, construit par Damesme en 1786, où s’installa, en 1863, le Cercle catholique des jeunes ouvriers bénit par l’archevêque de Paris en 1865. Enrichi, en 1872, d’un musée historique du travail, le musée Maurice-Maignen, il a été transféré, en 1906, rue de Lourmel. Hôtel démoli en 1907 et remplacé par immeuble dont Léon Blum occupa le premier étage.
N°127. – Maison où habita le peintre et graveur hollandais Barthold Jongking (1819-1881). Inscription.
N°129. – Cabaret Vénus avant 1914.
N°133. – Emplacement d’un ex-hôtel Rohan-Guéménée (cf. r. 125 r. Notre-Dame-des-Champs) occupé, depuis 1888, par l’Ecole coloniale.[1]
N°136. – Emplacement jusqu’à son transfert, en 1905, boulevard Raspail, de l’Ecole spéciale d’architecture, fondée rue d’Enfer, le 10 novembre 1865, avec le concours de la famille impériale et de la princesse Mathilde, par Emile Trélat qui s’inspira des programmes de l’Ecole centrale. Son fils, Gaston Trélat, lui succéda de 1907 à 1930.
N°139. – le peintre paysagiste Louis Français est mort ici en 1897, à83 ans.
N°140. – Emplacement de l’Ecole d’application du génie maritime de 1893 à 1915, puis de l’Institut d’optique avant son transfert, en 1927, au n°3 du boulevard Pasteur.
N°146. – Emplacement, de mars 1921 à novembre 1923, de l’Académie du Caméléon, cabaret littéraire et artistique, fondé en 1921, par le sculpteur Levet, où se tinrent des conférences houleuses et que remplaça, en 1923, une boîte de nuit célèbre, le Jockey ; la chanteuse Kiki fut son animatrice avec ses chansons de corps de garde.
N°170. – Communauté des pères Rédemptoristes.
N°171. – Sur l’emplacement d’une ancienne guinguette servant de relais aux diligences de Paris à Orléans, café de la Closerie des Lilas dont le nom rappelle l’ancienne Closerie des Lilas qui était située en face (cf. av. de l’Observatoire). Ce café fut fréquenté, dès le début de sa fondation, par une élite d’artistes et de poètes : Gabriel Vicaire, Gide, Ingres, Dalou, Harpignies, Alfred Jarry, Jean Moréas, Charles-Louis-Philippe, Eugène Montfort, Séverine et Paul Fort (1872-1960) dont les « mardis » sont restés célèbres. Café transformé et modernisé en décembre 1925.
[1] Sur le plan de 1897, n°132 : Ecole spéciale d’architecture