Protocole d’une cartographie poétique de mon insularisation
Je souhaiterais cartographier un aspect de mon expérience du confinement : la porosité des liens entre espaces physiques et imaginaires/virtuels.
Mon expérience du confinement me semble être informée par un “double-choc spatial” : 1) à l’annonce du confinement, j’ai été contrainte à rentrer avec précipitation de mon terrain dans la toundra sibérienne 2) l’accès à mon espace de vie habituel m’est interdit car la personne avec qui j’y vis est à haut risque. Entre J-7 et J, je suis donc passée sans transition des grandes étendues du Nord à 25 mètres2 partagés à deux, me donnant l’impression d’évoluer dans une sorte d’espace limbique où la plupart de mes repères sont brouillés. Les repères quotidiens du monde “physique” sont réduits à quelques essentiels : circulation entre différentes pièces de l’appartement, une course au supermarché de temps en temps, une promenade au bois de Vincennes, les applaudissements à 20h, le ciel au coucher du soleil. J’ai remarqué que plus mon espace physique de circulation se rétracte en raison de mesures de confinement toujours plus strictes, plus mon espace imaginaire est en expansion.
Les objets géographiques représentés seront :
- Un espace de circulation physique comprenant l’espace domestique et l’espace extérieur (notamment deux lieux : un supermarché, le bois de Vincennes). Les liens avec l’espace extérieur se réduisent au fil des mesures de confinement. Ce processus pourrait être représenté à l’aide de variations d’échelles et d’une insularisation de plus en plus prononcée de mon espace de vie. Autrement dit, plus mon espace de circulation est réduit, plus mon espace domestique s’agrandit, s’isole de l’espace extérieur et se métamorphose en îlot au milieu de l’espace urbain. Cette impression d’être sur un îlot est renforcée par l’absence visuelle d’autres humains (remplacée par leur présence sonore tous les jours à 20h) et par la localisation de l’appartement au 10e étage, donnant l’impression de surplomber une mer d’immeubles qui s’étend à perte de vue.
- Des espaces d’imagination de plus en plus en expansion : l’espace onirique, où il semblerait que je retrouve la toundra sibérienne toute les nuits ; l’espace changeant du paysage urbain par la fenêtre (l’aspect du ciel et des nuages) ; éventuellement l’espace d’internet sur lequel j’échange avec famille et amis.
Les difficultés que je rencontre : comment représenter la superposition entre un espace de circulation physique de plus en plus réduit et des espaces de circulation imaginaires, en expansion et en mouvement, qui ne respectent en rien le kilomètre réglementaire ? Comment représenter l’espace domestique ? Comment représenter les espaces imaginaires eux-mêmes ? Est-il possible de représenter ces différents espaces sur une même carte ? Je ne suis pas encore certaine de savoir comment mettre cette cartographie en oeuvre, c’est pourquoi je ne propose que quelques idées par écrit, en espérant que ce ne soit pas trop chimérique !
Représentation possible :
Afin de montrer le processus d’insularisation de mon espace de vie, il me faudra produire un certain nombre de cartes à différents moments de la période de confinement (J-7 ; J+7 ; J+14, etc). Les cartes sont documentées à partir d’observations, de prises de photos et vidéos du paysage par la fenêtre, d’une prise de note régulière de rêves. Il me semble qu’une succession animée de cartes pourrait rendre compte de ces mouvements contraires de rétraction de l’espace physique de circulation et d’expansion de l’espace imaginaire ; de la distorsion de plus en plus prononcée de ma perception de l’espace physique de Paris en paysages imaginaires.
Par exemple :
J-7 = Une carte à J-7 pourrait représenter la manière dont je m’imagine mon retour éventuel dans mon espace de vie parisien alors que je suis encore dans la toundra.
J+7 = Les limites de l’espace physique pourraient être représentées par un cercle au contour rouge représentant la zone réglementaire de circulation (1km). Mon espace domestique, à l’intérieur de ce cercle rouge, est de taille moyenne (circulations internes entre salon, cuisine, balcon, salle de bain) et relié par des “ponts” au supermarché du coin et au bois de Vincennes, où je circule régulièrement. L’espace onirique (où l’espace de la toundra a basculé depuis “J-7”) dépasse cette zone réglementaire tout comme l’espace “imaginé” de la mer d’immeubles.
J+14 = Le pont reliant mon espace domestique au Bois de Vincennes est coupé car ce dernier n’est plus accessible ; le pont lié au supermarché est représenté en pointillé car je m’y rend moins. Le cercle rouge du km réglementaire perd de sa couleur car mes sorties sont plus rares, étant donné que l’un de mes repères clés, le Bois, a disparu de mon espace de circulation autorisé. Je passe plus de temps sur le balcon et à l’intérieur de l’appartement, qui prend plus de place sur la carte, et qui prend de plus en plus l’apparence d’une île. Les espaces imaginaires prennent encore plus de place : des couleurs plus intenses, le paysage urbain se métamorphose : la “mer” d’immeuble prend encore plus l’apparence d’une mer, l’horizon, en fonction des couleurs du ciel et de la forme des nuages se transforme tantôt en bord de mer, en volcan et ses coulées de laves, en paysage de montagnes.
Le balcon
La “mer” d’immeuble