Clémence de mars
La fin du mois de mars est incarnée par une douceur incroyable. Ici, la météo a rendu ce confinement plus doux. Partout, le temps semblait s’être arrêté. Ici, jour après jour, on remarquait notre paysage se transformer. Le vaste jardin de mon enfance commençait à s’épaissir : le saule pleureur que ma mère affectionne particulièrement reprenait vie, les arbres fruitiers de mon père fleurissaient, le chêne centenaire du fond du jardin et dans lequel j’avais rêvé de construire une cabane étant petite allait connaître un énième printemps. La douceur environnante permettait de créer une sorte de bulle extérieure, à l’heure où beaucoup de gens ne pouvaient pas profiter d’un jardin. Fin mars, l’intérieur, la maison était synonyme d’angoisse et de stress. Ma propre maison était associée au travail, aux rendus, au mémoire, au projet de thèse, aux demandes de bourses de doctorat. Et c’est ce à quoi s’est résumé mon confinement.
En avril, on perd le fil
Malgré la douceur printanière de l’extérieur, j’étais cantonnée chaque jour à un schéma rythmé et répétitif. Le mois d’avril a été éprouvant, en particulier à partir de la mi-avril. D’abord il y a eu l’élaboration d’un sujet de thèse auquel j’avais jusqu’ici assez peu réfléchi. Il n’avait pas non plus été beaucoup évoqué avec ma directrice alors il a fallu que l’on en discute, longuement et qu’on élabore ensemble un plan pour les trois années à venir. Parallèlement, j’avais commencé la rédaction de mon mémoire. Le 19 avril, j’avais bien avancé, mon premier chapitre était presque prêt et j’avais pu envoyer une première version de 36 pages de ce chapitre. À cela s’est ajouté les rendus des différents séminaires, des écrits, des oraux que j’ai eu du mal à préparer parce que je voulais et j’avais besoin de me focaliser sur mon mémoire et sa rédaction. J’avais la sensation de perdre le fil et de ne plus savoir où je devais regarder. J’ai eu du mal à me consacrer à quatre ou cinq tâches à la fois. Mais fin avril, le projet de thèse avait été envoyé à l’organisme qui pourrait la financer, les rendus étaient faits et envoyés et je pouvais enfin me consacrer entièrement à l’écriture. Lorsque je suis sortie pour souffler cinq minutes, le jardin s’était entièrement paré de ses feuilles et les fleurs des arbres avaient fanées. Le printemps était arrivé et il était définitivement là.
En mai, rien ne nous plaît
Début mai, ma rédaction avait bien avancée. J’étais contente, dans les temps et j’abordais cette rédaction avec une rare sérénité. Mais une douleur particulièrement désagréable avait fait son apparition depuis un peu plus d’une semaine. Elle ne partait pas, elle ne s’estompait pas et elle était inquiétante. Au fur et à mesure, la douleur si intense m’a donné de la fièvre, des nausées et des vertiges. Je n’avais plus d’appétit, chaque effort était insupportable et je n’arrivais plus à écrire. Après des examens à l’hôpital, on m’a donné un traitement, auquel j’ai fait une réaction allergique, et surtout du repos et une immobilisation totale. Je ne pouvais plus écrire. J’ai passé plusieurs semaines alitée. L’avance que j’avais mi-avril n’était plus. J’étais désormais en retard. Alors j’ai dû écrire malgré la douleur. J’ai travaillé 1 jour sur 2, alternant écriture et repos. Lorsque je pouvais je travaillais deux jours de suite mais ça restait rare.
Le 11 mai la France se confinait à l’exception de quelques régions, mais ici encore, cela ne changeait pas grand-chose. Le centre-ville des villes alentours reprenaient doucement vie mais rien de flagrant. Le lendemain j’étais parvenue à envoyer le second chapitre de mon mémoire. J’aurais dû envoyer une première version complète à cette date. Les dix jours qui ont suivi le déconfinement ont été synonyme du rush de mi-avril. Le traitement faisait doucement son effet et j’étais en mesure de travailler 2 jours de suite voire 3 ! Le 25 mai, j’avais réussi à faire une première version complète du mémoire.
Juin, tout va bien
Début juin, le cœur est presque léger. Je me suis octroyée quelques repas de retrouvailles avec mes amis d’enfance et donc quelques heures en dehors de ma maison/bureau. J’étais en attente des premières corrections de ma directrice qui sont arrivée le 4 juin. Il y avait un peu de travail de forme et un peu de fond mais dans l’ensemble le travail que j’avais fourni avait été récompensé. Je me suis attelée aux corrections pendant presque deux semaines jusqu’au dépôt final ce vendredi 19 juin 2020. J’ai retrouvé un peu de sérénité. J’ai retrouvé des membres de ma famille que je n’avais pas vu durant ce confinement. Je suis retournée sur la terrasse du bar que nous fréquentons avec mes amis. J’ai profité de quelques déjeuners en extérieur. J’ai repris ma voiture pour me déplacer. Finalement, ces quelques mois un peu spéciaux l’étaient à plusieurs niveaux. Pour l’ensemble des Français ils se sont appelés les mois de confinement. De mon côté, j’avais presque oublié qu’en dehors des murs, une épidémie faisait rage. La rédaction du mémoire, la préparation de la thèse et les différents rendus avaient créé une sorte de bulle de travail dans laquelle j’étais prise sans que je puisse vraiment soufflée. Cette bulle n’est plus et ça signe la fin d’un cycle et le début d’un nouveau à l’instar du printemps pour qui, épidémie ou non, suit son cours.