CONFINEMENT – Célia Lebarbey

Dans les premiers jours du confinement, j’ai fait des premiers brouillons à la main pour tenter de montrer les transformations opérées au niveau de l’espace de vie intime en utilisant tout d’abord un dessin en coupe comme il peut être utilisé en architecture. J’ai commencé à écrire régulièrement à propos de notre situation actuelle et ce que qu’elle me fait penser ou remarquer de particulier. Et c’est d’abord la perception du temps qui s’est modifié du fait de la restriction de l’espace.  

Au fur et à mesure des jours, après être restée véritablement enfermée et concentrée sur ce qui se passait essentiellement dedans, je commençais à percevoir d’avantage les transformations de l’espace au delà de ma coquille. Mais aussi la disparition quasi complète de mon territoire familier – quotidien – qui couvre d’ordinaire un périmètre de 10-15km étendu sur plusieurs communes, Paris et sa petite couronne, sillonné en vélo. Il devenait flagrant avec l’avancement du confinement, en choisissant de restée uniquement attentive à des observations directes, que la perception que j’ai en temps normal de ce territoire est désormais réduite à néant. De nouvelles pratiques se sont inversement mises à apparaitre, pour une personne relativement peu connectée que je suis, afin de communiquer avec les personnes de mon paysage familier, renforçant alors l’impression d’être au bout du monde. Si je revenais quelques semaines auparavant d’un effectif bout du monde (l’Inde), il est devenu flagrant que, dans le cas présent, je suis surtout sur une île. 

J’ai donc commencé à mettre en place un protocole pour produire des cartes visant à rendre compte de la transformation de mon espace de vie, à la fois dans ses relations avec le plus ou moins lointain, mais aussi dans sa configuration intérieure même. En effet plusieurs activités sont désormais invitées dans l’espace domestique, alors qu’elles étaient urbaines auparavant. L’appartement dans lequel je vis était également partagé différemment avec d’autres personnes précédemment. Des meubles ont donc été déplacés, d’autres ont été enlevés puisqu’ils permettent un usage impossible selon les consignes (comme recevoir des amis) pour libérer de l’espace. 

Les premiers dessins se concentrèrent sur l’espace intime praticable qui devait être le centre de la première carte après JDC (Jour de Début du Confinement). Ceux-ci sont encore en cours par ailleurs, après avoir renoncé à associer des échelles d’observations et de distances trop éloignées (le détail des recoins de l’appartement et le lointain). Aussi c’est un dessin simplifié, ne conservant qu’un contour de l’espace approprié doté d’un gardien d’occupation, qui forme ainsi mon île :

l’île Iomzech (baptisée ainsi par anagramme de « chez moi »).

Le resserrement des confins : la première carte à +10 Jours après le Début du Confinement représente un monde quotidien relativement stabilisé, où les échanges virtuels irradient en rayons depuis plusieurs points de connexion. La mise en place du télétravail et de l’enseignement à distance rend certains flux beaucoup plus présents qu’avant.

L’eau a donc comme monté autour de cette île, qui est mise au centre de la carte comme un point de giration, ordonné par les consignes de police, mais maintenant évident et ressenti. Ainsi la forme du carré des cartes oriente peu l’espace représenté, sinon sur le centre. La partition par ses diagonales délimite quatre triangles, au sein desquels les objets dessinés ont une orientation suivant un nord conventionnel « en haut », correspondant au coté de plus long de chaque triangle, rappelée pour chaque objet par le sens du texte.

Ces objets autour de l’île centrale se voient grossir, s’éloigner ou disparaitre selon les temps et l’importance qu’ils prennent dans ma perception. D’un TERRITOIRE DE FAMILIARITES (titre de la carte à -10 avant JDC – en cours de dessin) au RESSERREMENT DES CONFINS (titres des cartes pendant le confinement : I., II. et peut être plus) les cartes produites, à la fois par le dessin à la main et grâce aux outils graphiques numériques, proposent une visualisation d’un ressenti mais aussi de données qui seraient quantifiables. La référence lointaine aux cartes maritimes rapproche mes perceptions de la situation actuelle d’une brusque montée des eaux, qui isolent, mettent un certain nombre de choses hors-champ, réorganisent des dispositions spatiales et perçues, et représentent aussi la distanciation sociale imposée.

La carte à +30 après le JDC rend compte d’une situation « en vacances » relative, avec certaines connexions atténuées ou amplifiées, de nouveaux lieux découverts dans le périmètre autorisé du kilomètre, comme le supermarché où il n’y a pas de file d’attente et le terrain vague pour faire de la corde à sauter tranquille.

Les cartes « en confinement » se limitent à l’emprise géographique du kilomètre jusqu’où les déplacements sont autorisés. La carte d’avant couvre une emprise géographique qui s’étend jusqu’où je vais régulièrement. Un code couleur rend compte de la proximité géographique teintée de familiarité en définissant des périmètres concentriques : le blanc et le gris pour ce qui relève du personnel, quasi extension de mon corps physique, première coquille ; le bleu cyan pour le « voisinage », incluant ceux que je connais personnellement ; le violet dessine le « quartier » (essentiellement « Industrie – Rosiers – Garibaldi » à Saint Ouen) plus anonyme mais où je reconnais des visages ; le rose représente « la ville », en fait plusieurs villes : de Saint Ouen à Montreuil en passant par Paris, elle est l’espace urbain que j’atteins à vélo au quotidien ; enfin le rouge est de l’ordre du « lointain », ce que je ne peux atteindre raisonnablement par les moyens de mon propre corps.

Entre mon île domestique et ces cercles de référence emboités s’établissent des relations, distinguées selon leur nature et leurs outils ou médias : visuelles axées sur des points de vues, sonores via les bruits perçus dont l’origine est relativement précise, déplacements physiques par la marche ou le vélo, connexion radio et wifi grâce aux appareils connectés. Si les deux premières sont des relations moins réciproques car presque à sens unique (l’observateur n’est pas toujours vu, les bruits de voisinages sont rarement une relation voulue…), les deux dernières sont représentées par des type de ligne distincts. Elles sont non orientées (avec une direction mais pas de sens) puisqu’elles relèvent de ping-pong d’échanges ou d’aller-retour, dont les variations éventuelles de trajet ne sont pas relevées. Pour la marche, le petit pointillé rappelle l’empreinte mentalement visualisée de chaque pas. Il est utilisé très grossi pour indiquer la position de chacun dans les rues du quartier, à un mètre de distance les uns des autres, en des files d’attente qui semblent s’allonger avec les semaines qui passent. Pour les télé-communications, la taille des lignes en hachures restitue une fréquence ou une prégnance d’échanges.

Les îles avec lesquelles se font ces échanges sont disposées dans le cadre périphérique des cartes après le JDC. Elles sont les territoires de références de mes proches et des « institutions » qui ont encore une place virtuelle très importante dans le quotidien. Ces dernières sont représentées par leurs différentes emprises parcellaires, où j’avais l’habitude de me rendre plusieurs fois par semaine : l’EHESS où j’étudie, l’ENSAPLV où je travaille et la « maison du Yoga » où je pratique.

Les îles de mes proches sont dessinées du contour du lieu de référence que je leur connais pendant le confinement : quartier ou arrondissement, ville, ou encore département voire région. Ces différents référentiels dépendent du niveau de précision de mon information ou de mon souvenir quant à leur lieu de résidence. Leur numérotation renvoie à la carte d’avant confinement (à -10 avant le JDC) et suit un ordre croissant relatif à la proximité géographique d’alors. Entre les cartes « avant » et « après », certaines îles ont changé de profil, certaines personnes ayant rejoint d’autres lieux juste avant ou à l’annonce des mesures de restrictions. Ainsi n°1 est mon colocataire, qui est parti s’installer dans une autre ville de la couronne parisienne au JDC, dont l’île a donc pris la forme de la commune des Lilas. N’ayant pas d’avantage d’information factuelle sur le lieu où il est actuellement, seule la ville fait référence. Pour ceux qui vivent intra-muros les contours des arrondissements ou des quartiers ont été utilisés, dans la mesure où Google en propose un contour, lors de la recherche sur son moteur de recherche Map. Pour d’autres, je n’ai pas retenu le nom de la ville où ils sont et c’est alors le département ou la région qui apparait. 

Ne sont représentés que les « proches », ceux qui ont encore une certaine tangibilité dans le quotidien du confinement. Les territoires de l’Inde où j’ai différentes relations et mon terrain de recherche ne sont pas présents, pour éviter d’ajouter une complexité supplémentaire aux éléments et questionnements que ces cartes se proposent de prendre en charge. Il apparait désormais qu’une seconde couronne d’îles pourrait être ajoutée afin de poursuivre la logique concentrique et développer le détail (et la prise de conscience) du réseau de relations à distance.

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