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Synthèse: Mahdokht Karampour /Lissette Rosales

Synthèse: Sentir et ressentir Paris. L’exemple du quai du RER B à Châtelet-les Halles de Lucile Grésillon

Mahdokht Karampour /Lissette Rosales

L’auteure met en place un dialogue avec les neurosciences pour développer un axe de la recherche géographique à partir de l’étude de cas située à la station du RER, Châtelet-Le Halles, à Paris. En ce sens, elle commence par exposer la signification polysémique en français du verbe «sentir» , qu’elle décrit comme : « Au sens concret, il signifie l’action de percevoir olfactivement ou tactilement un objet ou une personne. Au sens abstrait, il insiste sur le fait de percevoir une action, quelque chose ou quelqu’un (« je le sens mal ») ou d’être dans un état de bien-être («
je me sens bien ») » (Grésillon, 2013).

Ainsi, l’auteure développe deux branches par rapport au sentiment, le domaine de la sensorialité et également celle de la sensibilité, en explorant l’espace depuis l’odorat et en mettant en évidence les expériences de plaisir ou de dégoût vécues par les usagers des transports publics à Paris.

L’auteure met ensuite en discussion deux aspects qui font partie du processus d’institutionnalisation de la géographie en tant que discipline scientifique à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle : le premier, la recherche de l’objectivité fondée sur une séparation nette entre la sensibilité et l’analyse scientifique; et le second est lié au fait que, dans l’observation scientifique, on privilégie la vue comme principal moyen de captation de l’information en laissant de côté d’autres sens comme l’odorat, le toucher ou le goût.
Avec le développement ultérieur de la géographie ont émergé des positions qui ont dépassé ces limites, l’une des plus importantes peut être observée à l’arrivée de la phénoménologie avec les propositions d’Erik Dardel, où le tournant épistémologique se concentre sur l’observation de la relation entre le sujet et l’objet depuis l’émotionnel, le multisensoriel et l’hédoniste, dépassant les visions qui séparent l’objet du sujet et se concentrent uniquement sur l’interaction de ses propriétés.
Ce travail, est basé sur les perspectives de la géographie de la perception et la géographie des représentations. La première considère le paysage comme un réseau de significations qui est compris de différentes manières par des individus ou des groupes, et la seconde définit l’espace comme une construction sociale, et donc une représentation qui peut être lue à travers les caractéristiques structurelles et fonctionnelles de l’espace. À partir de ces deux perspectives, l’auteure propose d’enrichir le travail géographique en intégrant le sens de l’odorat en ce qui concerne les aspects liés aux neurosciences et les perceptions de plaisir et de dégoût depuis la psychologie à partir d’un lieu.

En ce qui concerne l’étude de cas, l’auteur fait une description concrète de la gare Châtelet- Les Halles, construite en 1977 et constituée comme l’une des plus grandes liaisons des transports publics parisiens. Sa construction la caractérise comme un trou de 25 mètres de profondeur, ce qui présente des difficultés pour sa ventilation puisqu’elle n’est pas ouverte au ciel. Son analyse est centrée sur le voué à la ligne de RER B direction Saint-Rémy-Lès- Chevreuse sur un côté, et au RER A direction Marne-la-Vallée-Chessy sur l’autre, où circulent près de 800 000 personnes par jour.

Sous l’observation personnelle de la chercheuse, celle-ci souligne la présence de fauteuils bleus, de distributeurs automatiques, d’un sol noir et sale où l’on observe du chewing-gum, accompagnés par les bruits des freins des trains, les messages audio et les voix des utilisateurs et l’entrée de faible luminosité. En ce qui concerne l’odeur, elle remarque la présence de sulfure d’hydrogène, qui rappelle le souvenir des bains universitaires.

Alors l’odeur devient l’objet d’investigation géographique. L’objectif principal de la chercheuse est d’évaluer la sensibilité olfactive des passagers et leurs vécus de l’attente. L’hypothèse principale est que l’odeur est un facteur fondamental dans la composition du lien établi entre l’individu et le lieu. L’odeur devient alors une clé pour saisir le vécu et le perçu sensibles de ceux qui pratiquent quotidiennement cet espace de transition. 

Les questionnaires sont alors de nature in situ dans un espace clos de transport de masse, et brefs, pour correspondre à un espace de transit marqué par une attente courte. La méthode choisie est l’entretien, ce qui facilite l’évocation rapide des perceptions olfactives et qui favorise l’élaboration des idées grâce à une confiance établie. Lors de l’entretien l’âge, le sexe et la fréquence de l’usage du quai sont interrogés. 

Trois questions sont posées. La première : « Est-ce que ça sent ? » Si la réponse est positive la deuxième question la suit « qu’est-ce que ça sent ? » Ensuite, « Qu’est-ce que ça vous évoque ? » L’intérêt des deux premières questions est de pouvoir comparer la perception des usagers. La dernière question démontre les représentations et les vécus de chaque passager pendant l’attente au quai. Dans le cadre global de ce projet de recherche cette dernière question traite la modalité du bien-être de chaque usager. L’échantillon défini devrait correspondre à la composition réelle de la population qui pratique ce lieu, alors 60% d’hommes et 40% de femmes, 30% de 15-24 ans, 30% de 25-34 ans, 30% de 35-54 ans et 10% de 55 ans et plus, enfin 20% de voyageurs occasionnels avec un usage d’au moins d’une fois par mois. Le moment de l’enquête devrait également être conforme, en fonction des saisons et de la fréquentation du quai. Ceci permet d’évaluer les facteurs de température, d’intensité et de diversité des odeurs et d’illustrer les différences entre l’été et l’hiver.  La régularité de la fréquentation est étudiée selon différentes périodes de la journée, l’heure creuse ou pleine afin de mesurer le stress. Enfin les questionnaires en été effectués seulement en semaine pour correspondre à la routine et au ressenti quotidien de chaque individu. 

Au total 109 questionnaires ont été effectués, 11 non analysés. Les réponse à la question « Qu’est-ce que ça sent ? » ont été très diverses et distinctes. Sur 99 questionnaires 57 odeurs différentes ont été évoquées. Seules 19 odeurs sont partagées telles « la pisse », « un mélange d’odeur » etc. D’après l’auteure le fait étonnant est que le parfum Madeleine à la fragrance de muguet qui est réellement utilisé dans cet espace  depuis 1999 n’a jamais été évoqué. Sur 99 questionnaires, 28 usagers font des analogies entre cet endroit et d’autres endroits par l’aspect clos comme « grotte ».  Une analogie à d’autres types d’endroits s’est également produite à cause du dégoût que l’odeur ressentie a provoqué, comme « local poubelle ». De ce fait, nous apprenons que les modes d’identification des odeurs se font par analogie, par comparaison, et par d’autres modes de perception.

Par conséquent la chercheuse a également été amené à évaluer la « tonalité hédonique » relevée, par phrases et adjectifs. L’évolution hédonique de ce lieu est donc majoritairement négative. Sur 38 items, 23 étaient de tonalité négative comme la phrase « ça pue ». Tandis qu’il y avait aussi quelques cas de l’évolution hédonique positives comme « agréable » et « plaisant ». 

En raison du « caractère complexe et multifactoriel de l’olfaction » et face au manque des pistes de comparaison, il a été décidé que le corpus d’entretiens soit traité par un logiciel d’analyse textuel, Alceste, fondé sur une statistique de mots facilitant le rapprochement des individus et la création de groupes afin d’arriver à structurer des typologies d’usagers selon leur sensibilité olfactive. Alors les usagers se répartissent en 6 figures regroupées en deux types de sensibilité olfactive : Le premier type, sensibilité peu développée, valable pour ceux chez qui l’odeur a moins d’importance, ou bien à cause d’une olfaction peu cultivée. Majoritairement homme, ils identifient très peu les odeurs d’une manière qualitative, souvent par analogie à un lieu ou par une sensation. Cela comporte 3 types : Un premier groupe chez qui la contribution de l’odeur se trouve presque positive car ils évoquent des événements vécus paisiblement. Puis la deuxième figure regroupe des hommes entre 25 et 34 ans qui donnent aux odeurs de quai une valeur légèrement négative. Pourtant chez eux l’attente n’est toujours pas forcement un espace-temps de bien-être. Enfin le troisième groupe, usagers entre 35 et 54 ans qui fréquentent le quai 1 fois par mois et qui arrivent à relativiser. Ils ne vivent pas l’attente mal. Le deuxième type, doté au contraire d’une sensibilité olfactive aiguisée est constitué majoritairement de femmes et comporte trois figures : La première, composée de jeunes femmes entre 15 et 24 ans, chez qui les ressentis se relèvent très négatifs et la fréquentation du quai leur paraît un moment émotionnellement difficile. La deuxième figure s’agit des personnes ayant plus de 55 ans, identifiant les odeurs très précisément. La présence est donc vécue d’une manière désagréable. Enfin la dernière figure composée de femmes âgées de plus de 55 ans qui donnent une évaluation hédonique faiblement négative.

Enfin nous arrivons à plusieurs conclusions : Nous décrivons une odeur non pas par sa qualité mais par sa source supposée et par une évaluation hédonique, une analogie ou par un recours aux souvenirs autobiographiques. Les facultés olfactives dépendent donc non seulement des capacités des récepteurs olfactifs qui sont innés et varient d’un individu à l’autre, mais aussi de l’importance que l’on y accorde. En somme, la sensorialité est propre à chaque individu et dépend non seulement de son patrimoine génétique mais aussi de son vécu, de la part psychologique et sociale du sujet, et de son acquis.

Comme évoqué par la chercheuse, ce dialogue instauré avec la neuroscience a permis de démontrer une fois de plus la complexité de l’interaction entre l’humain et son environnement en essayant de dépasser une vision naturaliste sur ce sujet. Cette étude confirme que saisir la sensibilité olfactive de chaque individu demeure complexe et délicate car cela touche à la part intime et subjective du sujet. De ce fait, elle affirme également cette difficulté rencontrée par les géographes dans le traitement de l’aspect olfactif d’un paysage.

Référence électronique

Lucile Grésillon, « Sentir et ressentir Paris. L’exemple du quai du RER B à Châtelet-les Halles », Norois[En ligne], 227 | 2013, mis en ligne le 30 juin 2015, consulté le 01 mai 2019. URL : http:// journals.openedition.org/norois/4637 ; DOI : 10.4000/norois.4637

Questions/Remarques – Alba Perset et Manon Prud’homme

Nous n’avions pas vraiment de questions à propos de l’exposé ou du texte en lui-même puisque les deux étaient très clairs et accessibles. En revanche, nous avions souhaité souligner les points forts de ce texte.

Alba : Le premier point fort de ce texte est sa construction, plutôt scolaire lui permettant de vulgariser le domaine de la neurophysiologie olfactive et de le rendre accessible à tous les publics. Nous avions également remarqué que l’analyse géographique par le sensible, c’est-à-dire l’interaction entre le sujet et l’objet ainsi que l’analyse de la dimension charnelle, rendaient l’article particulièrement accessible.

Manon : Nous avons également remarqué que le modèle proposé par la chercheuse étaient intéressant. En effet, ce dernier était transposable à d’autres sujets; faisant de lui un article scientifique de qualité et utile à des chercheurs qui mènent des enquêtes sur le terrain. En revanche, nous avons regretté la forme trop textuelle de l’article. Un tableau aurait peut-être permis au lecteur de rester attentif et de mieux comprendre les réponses apportées au questionnaire que la chercheuse a fait.

De manière générale, nous avons trouvé ce texte utile et intéressant. Le domaine des neurosciences a pu nous être présenté d’une manière originale, à travers un lieu que nous connaissons et que nous fréquentons. La méthode d’analyse proposée par la chercheuse a fait écho à nos recherches, pourtant très éloignées du domaine des neurosciences.

Synthèse d’article _ ndiki-mayi/perset

Anne Roqueplo, « La cartographie chez les artistes contemporains », revue Le Monde des cartes, n° 205, septembre 2010, p. 107-118.

            La cartographie chez les artistes contemporains a été rédigé par Anne Roquelo, une architecte qui a réalisé une thèse sur la question de l’habiter traité par les artistes contemporains. La notion d’habiter tel que l’auteure la définie, est la prise en considération de l’Homme dans son milieu de résidence, de l’échelle du domestique à celle du territoire.  L’article est publié par le Comité Français de la Cartographie, association qui contribue  à la promotion et au développement des méthodes cartographiques,  dans leur revue trimestrielle Le monde des Cartes.

            Si les artistes s’emparent de la cartographie selon Anne Roquelo c’est d’abord parce qu’ils s’inspirent de techniques de champs disciplinaires de plus en plus large,  et ensuite parce que la question de l’habiter les intéresse. L’auteure présente la cartographie et l’art comme partageant les mêmes objectifs et utilisant les mêmes outils, en ce que les cartes sont un « mode de représentation abstrait du monde ».

            L’auteure rappelle qu’originellement la carte sert à la fois à la compréhension d’une réalité en tant qu’outils de communication, mais aussi à l ‘élaboration d’étude en tant qu’outils de travail cette fois-ci. L’art permet de dépasser la forme et la portée de la carte classique. Anne Roquelo propose trois axes représentatifs de nouveaux vecteurs de potentionalités apportés par l’art. Ces trois axes, qu’elle utilise comme structure pour la suite de l’article et que nous proposons de garder pour la structuration de cette note de synthèse, sont les suivants :

  • du réel à l’imaginaire
  • de l’objectif au subjectif
  • du local au global

            La première potentialité évoquée concerne le passage de la représentation du réel à la création d’un imaginaire. Sans vouloir revenir sur des exemples anciens de la liaison des artistes avec les cartes, – puisque l’article se veut traiter des artistes qui nous sont contemporains – , l’auteure se borne au Xxéme siècle. Anne Roquelot introduit rapidement la figure du flâneur, importante dans l’art littéraire et qui a su sortir des pages écrites pour se confronter à la pratique de la flânerie en ville. La dérive succèdera à la flânerie avec Guy Debord et l’Internationale situationiste[1]. Des cartes ont été utilisées pour retranscrire ces dérives et leurs perceptions. Plus tard dans les années 1970, c’est le Land Art[2] qui se développe avec  la nature comme cadre de création de prédilection, et les artistes associent la carte à leur travail artistique.

                  Dans le premier exemple qui est donné, la dérive est orchestrée. Le collectif Stalker utilise la carte comme un guide de parcours qu’ils réalisent eux même en ayant fixé des contraintes préalables. Ainsi en 1995, pendant 5 jours ils marchent dans certains quartiers de Rome sans jamais poser le pied sur l’asphalte. Cela a nécessité de répertorier les endroits sans asphalte avant de réaliser le parcours. La représentation qui en découle est « opposée » à la représentation d’une carte sur laquelle les trottoirs et routes représentent de facto les circulations. En représentant l’opposé avec cette même idée de circulation, c’est un nouveau paradigme qui est créée.

            Philippe Favier quant à lui, utilise la cartographie comme un terrain de jeu, une zone qui renferme des mystères à élucider.  L’auteure Anne Roquelo utilise le terme d’expédition pour nommer l’oeuvre dévoilée dans l’exposition de 2004, intitulée Géographie à l’usage des gauchers. En effet, l’artiste exploite la carte comme un moyen de s’évader, de laisser place à l’imaginaire. L’infiniment grand de sa carte sur laquelle il présente des lieux imaginaires, des villes idéales, pousse le spectateur à s’investir et s’interroger sur sa posture de spectateur. Il est invité à participer, se balader dans l’oeuvre, forcé à aller et venir d’un bout à l’autre de la carte, à fouiller pour y dénicher des informations dans l’infiniment petit des détails. 

            Son univers est celui du voyage comme l’indiquent les symboles qu’il utilise dans ses oeuvres. Enigmes, rebus, cadavre exquis, l’artiste questionne la relation au sens en obligeant à regarder dans les « à coté », à détourner son regard pour se concentrer sur les détails de cette carte découpée, quadrillée. Ici il utilise la peinture sur verre pour créer un effet de relief à sa carte, lui donner une dimension plus réaliste et permettre au spectateur d’intervenir davantage, de partir à l’aventure vers un monde imaginaire inspiré de l’époque des grandes découvertes terrestres. 

            La seconde potentialité est le jeu de la balance entre l’objectif et le subjectif. Le travail de l’artiste Richard Purdy s’élabore autour de la question de la relativité de la vérité ; pour ce faire il intègre des « sysèmes » dont il apprend les « vocabulaires » afin de pouvoir ensuite les détourner en utilisant la même structure de language, qui donnera alors l’impression que ce qu’il en dit appartient effectivement au système de départ. Dans son tableau L’inversion du monde, l’artiste part d’une représentation connue et comprise par la majeure partie des gens : le planisphère, auquel toute personne ayant fréquentée les bancs de l’école, a déjà été confrontée. Il reprend les exactes mêmes codes puis tisse une nouvelle histoire des pays, des continents à partir de ce qu’il a inventé. Néanmoins, au premier coup d’œil son tableau ressemble à un planisphère classique, dont les informations sont en vérité erronées[3].

            Pour un autre artiste, David Renaud, la subjectivité réside dans des choix esthétiques, qui s’apparentent à du graphisme. Il s’intéresse à la perception humaine de la géographie, ce qui selon sa démarche induits ses travaux « cartographiques » à être accompagnés d’éléments tridimentionnels représentants le relief des lieux cartographiés.

            Un autre élément souligné par l’auteure est la construction mentale d’espaces, propre à la subjectivité de chacun, car il n’existe pas de codes pour cela et que ces constructions font appel  la mémoire. Certains artistes s’appuient sur des constructions mentales d’inconnus ou de groupes de personnes pour constituer des sortes d’atlas subjectifs.

            La troisième et dernière potentialité soulignée est celle du rapprochement et de l’imbrication du micro et du macro. Le travail de l’artiste Guillermo Kuitca est anthropocentré et questionne le rapport de l’individu à son territoire (qui change d’échelle, du micro – la chambre– au macro – le monde-) à travers le prisme de l’intime. Son medium de prédilection est la peinture, mais au lieu d’utiliser des toiles comme support il va également utiliser des matelas pour rapprocher sensoriellement le corps de l’individu aux cartes ou plans qu’il va ensuite peindre dessus. Ce support donne corps à l’œuvre, sert de référence pour le « spectateur » et participe à une sorte de va-et-vient entre le physique et le mental.

            Chez les artistes présentés, la carte ne devient pas un medium unique mais est intégrée à un processus de création – souvent itératif et sur un temps très long pouvant aller jusqu’à plusieurs années – , qui nécéssite une appropriation des codes de la cartographie. Une fois ces codes intégrés intégralement ou partiellement, l’artiste peut les manipuler et les détourner afin de servir son propos artistique. L’utilisation de la carte par les artistes permet une relativisation de la réalité, le développement d’une perception plus subjective de la place de l’homme au sein et avec son territoire ainsi que le bouleversement de codes et croyances établies. C’est le potentiel artistique à ouvrir des brèches qui a fini par toucher le monde des cartes. Les représentations non scientifiques de ces artistes ne sont pour autant pas moins valables que des cartographies plus « classiques ». Elles sont néanmoins plus sensorielles et invitent plus intuitivement les observateurs de ces représentations à se questionner sur leurs rapports au(x) territoire(s). La géographie n’est pas figée.



Les questions

Quel est le statut de ces cartes pour l’auteur de l’article ? Sont-elles uniquement considérées comme des oeuvres créatives ou serait-il envisageable de les considérer comme un corpus d’images à analyser ?

La lecture de l’article amène à croire que ces oeuvres pourraient tout à fait faire partie d’un corpus à analyser. En effet, et c’est ce que souligne Anne Roqueplo à la fin de son article, les artistes développent des points particuliers en y injectant leur propre ADN. Cette subjectivité, certainement moins palpable dans une cartographie plus classique, révèle bien un ou des points de vue d’un individu sur une situation donnée.

En quoi le procédé itératif utilisé par ces artistes diffère-t-il de l’élaboration des “cartes classique” ?

Les artistes ne sont pas limités dans leurs outils et l’usage qu’ils en font. Tandis que la cartographie plus classique, même si ses codes et medium évoluent avec le temps et les avancées technologiques par exemple, est tenue au respect de certaines chartes et objectifs selon une méthode définie. Cette production, va s’établir dans une période donnée et pourra être réactualisée une, deux ou trois décennie plus tard par exemple en s’appuyant sur des méthodes similaire à la précédentes afin d’avoir une continuité.

Chez les artistes, les règles et codes sont plus élastiques, malléables et ils les utilisent au regard de leur compréhension du monde et de leur artist statement. Dans les deux cas, le procédé est itératif, c’est le potentiel de l’élasticité de la répétition du processus qui diffère.

[1]  Mouvement situé entre art et politique, ce dernier pousse à l’émancipation créatrice dans la vie quotidienne avec la psychogéographie dont le projet est de réorganiser la ville pour qu’elle puisse accueillir de nouvelles situations, des moments de vies singuliers et éphémères.

[2] Le Land Art s’articule autour de l’éphémérité des oeuvres et les transformations extérieures et non controlées que la nature leur apporte. L’oeuvre ne doit plus être figée, transportable, négociable.

[3] Cela dépendant selon l’artiste de la position que l’on se veut adopter.

CONFINEMENT – Célia Lebarbey

Dans les premiers jours du confinement, j’ai fait des premiers brouillons à la main pour tenter de montrer les transformations opérées au niveau de l’espace de vie intime en utilisant tout d’abord un dessin en coupe comme il peut être utilisé en architecture. J’ai commencé à écrire régulièrement à propos de notre situation actuelle et ce que qu’elle me fait penser ou remarquer de particulier. Et c’est d’abord la perception du temps qui s’est modifié du fait de la restriction de l’espace.  

Au fur et à mesure des jours, après être restée véritablement enfermée et concentrée sur ce qui se passait essentiellement dedans, je commençais à percevoir d’avantage les transformations de l’espace au delà de ma coquille. Mais aussi la disparition quasi complète de mon territoire familier – quotidien – qui couvre d’ordinaire un périmètre de 10-15km étendu sur plusieurs communes, Paris et sa petite couronne, sillonné en vélo. Il devenait flagrant avec l’avancement du confinement, en choisissant de restée uniquement attentive à des observations directes, que la perception que j’ai en temps normal de ce territoire est désormais réduite à néant. De nouvelles pratiques se sont inversement mises à apparaitre, pour une personne relativement peu connectée que je suis, afin de communiquer avec les personnes de mon paysage familier, renforçant alors l’impression d’être au bout du monde. Si je revenais quelques semaines auparavant d’un effectif bout du monde (l’Inde), il est devenu flagrant que, dans le cas présent, je suis surtout sur une île. 

J’ai donc commencé à mettre en place un protocole pour produire des cartes visant à rendre compte de la transformation de mon espace de vie, à la fois dans ses relations avec le plus ou moins lointain, mais aussi dans sa configuration intérieure même. En effet plusieurs activités sont désormais invitées dans l’espace domestique, alors qu’elles étaient urbaines auparavant. L’appartement dans lequel je vis était également partagé différemment avec d’autres personnes précédemment. Des meubles ont donc été déplacés, d’autres ont été enlevés puisqu’ils permettent un usage impossible selon les consignes (comme recevoir des amis) pour libérer de l’espace. 

Les premiers dessins se concentrèrent sur l’espace intime praticable qui devait être le centre de la première carte après JDC (Jour de Début du Confinement). Ceux-ci sont encore en cours par ailleurs, après avoir renoncé à associer des échelles d’observations et de distances trop éloignées (le détail des recoins de l’appartement et le lointain). Aussi c’est un dessin simplifié, ne conservant qu’un contour de l’espace approprié doté d’un gardien d’occupation, qui forme ainsi mon île :

l’île Iomzech (baptisée ainsi par anagramme de « chez moi »).

Le resserrement des confins : la première carte à +10 Jours après le Début du Confinement représente un monde quotidien relativement stabilisé, où les échanges virtuels irradient en rayons depuis plusieurs points de connexion. La mise en place du télétravail et de l’enseignement à distance rend certains flux beaucoup plus présents qu’avant.

L’eau a donc comme monté autour de cette île, qui est mise au centre de la carte comme un point de giration, ordonné par les consignes de police, mais maintenant évident et ressenti. Ainsi la forme du carré des cartes oriente peu l’espace représenté, sinon sur le centre. La partition par ses diagonales délimite quatre triangles, au sein desquels les objets dessinés ont une orientation suivant un nord conventionnel « en haut », correspondant au coté de plus long de chaque triangle, rappelée pour chaque objet par le sens du texte.

Ces objets autour de l’île centrale se voient grossir, s’éloigner ou disparaitre selon les temps et l’importance qu’ils prennent dans ma perception. D’un TERRITOIRE DE FAMILIARITES (titre de la carte à -10 avant JDC – en cours de dessin) au RESSERREMENT DES CONFINS (titres des cartes pendant le confinement : I., II. et peut être plus) les cartes produites, à la fois par le dessin à la main et grâce aux outils graphiques numériques, proposent une visualisation d’un ressenti mais aussi de données qui seraient quantifiables. La référence lointaine aux cartes maritimes rapproche mes perceptions de la situation actuelle d’une brusque montée des eaux, qui isolent, mettent un certain nombre de choses hors-champ, réorganisent des dispositions spatiales et perçues, et représentent aussi la distanciation sociale imposée.

La carte à +30 après le JDC rend compte d’une situation « en vacances » relative, avec certaines connexions atténuées ou amplifiées, de nouveaux lieux découverts dans le périmètre autorisé du kilomètre, comme le supermarché où il n’y a pas de file d’attente et le terrain vague pour faire de la corde à sauter tranquille.

Les cartes « en confinement » se limitent à l’emprise géographique du kilomètre jusqu’où les déplacements sont autorisés. La carte d’avant couvre une emprise géographique qui s’étend jusqu’où je vais régulièrement. Un code couleur rend compte de la proximité géographique teintée de familiarité en définissant des périmètres concentriques : le blanc et le gris pour ce qui relève du personnel, quasi extension de mon corps physique, première coquille ; le bleu cyan pour le « voisinage », incluant ceux que je connais personnellement ; le violet dessine le « quartier » (essentiellement « Industrie – Rosiers – Garibaldi » à Saint Ouen) plus anonyme mais où je reconnais des visages ; le rose représente « la ville », en fait plusieurs villes : de Saint Ouen à Montreuil en passant par Paris, elle est l’espace urbain que j’atteins à vélo au quotidien ; enfin le rouge est de l’ordre du « lointain », ce que je ne peux atteindre raisonnablement par les moyens de mon propre corps.

Entre mon île domestique et ces cercles de référence emboités s’établissent des relations, distinguées selon leur nature et leurs outils ou médias : visuelles axées sur des points de vues, sonores via les bruits perçus dont l’origine est relativement précise, déplacements physiques par la marche ou le vélo, connexion radio et wifi grâce aux appareils connectés. Si les deux premières sont des relations moins réciproques car presque à sens unique (l’observateur n’est pas toujours vu, les bruits de voisinages sont rarement une relation voulue…), les deux dernières sont représentées par des type de ligne distincts. Elles sont non orientées (avec une direction mais pas de sens) puisqu’elles relèvent de ping-pong d’échanges ou d’aller-retour, dont les variations éventuelles de trajet ne sont pas relevées. Pour la marche, le petit pointillé rappelle l’empreinte mentalement visualisée de chaque pas. Il est utilisé très grossi pour indiquer la position de chacun dans les rues du quartier, à un mètre de distance les uns des autres, en des files d’attente qui semblent s’allonger avec les semaines qui passent. Pour les télé-communications, la taille des lignes en hachures restitue une fréquence ou une prégnance d’échanges.

Les îles avec lesquelles se font ces échanges sont disposées dans le cadre périphérique des cartes après le JDC. Elles sont les territoires de références de mes proches et des « institutions » qui ont encore une place virtuelle très importante dans le quotidien. Ces dernières sont représentées par leurs différentes emprises parcellaires, où j’avais l’habitude de me rendre plusieurs fois par semaine : l’EHESS où j’étudie, l’ENSAPLV où je travaille et la « maison du Yoga » où je pratique.

Les îles de mes proches sont dessinées du contour du lieu de référence que je leur connais pendant le confinement : quartier ou arrondissement, ville, ou encore département voire région. Ces différents référentiels dépendent du niveau de précision de mon information ou de mon souvenir quant à leur lieu de résidence. Leur numérotation renvoie à la carte d’avant confinement (à -10 avant le JDC) et suit un ordre croissant relatif à la proximité géographique d’alors. Entre les cartes « avant » et « après », certaines îles ont changé de profil, certaines personnes ayant rejoint d’autres lieux juste avant ou à l’annonce des mesures de restrictions. Ainsi n°1 est mon colocataire, qui est parti s’installer dans une autre ville de la couronne parisienne au JDC, dont l’île a donc pris la forme de la commune des Lilas. N’ayant pas d’avantage d’information factuelle sur le lieu où il est actuellement, seule la ville fait référence. Pour ceux qui vivent intra-muros les contours des arrondissements ou des quartiers ont été utilisés, dans la mesure où Google en propose un contour, lors de la recherche sur son moteur de recherche Map. Pour d’autres, je n’ai pas retenu le nom de la ville où ils sont et c’est alors le département ou la région qui apparait. 

Ne sont représentés que les « proches », ceux qui ont encore une certaine tangibilité dans le quotidien du confinement. Les territoires de l’Inde où j’ai différentes relations et mon terrain de recherche ne sont pas présents, pour éviter d’ajouter une complexité supplémentaire aux éléments et questionnements que ces cartes se proposent de prendre en charge. Il apparait désormais qu’une seconde couronne d’îles pourrait être ajoutée afin de poursuivre la logique concentrique et développer le détail (et la prise de conscience) du réseau de relations à distance.

Confinement – PIROT Françoise

Confinement au Kremlin Bicêtre : Période du 17 mars 2020 au 19 Avril 2020

Le Kremlin Bicêtre est une commune du Val de Marne créée en 1896 et située à proximité de la Porte d’Italie. Sur le territoire de la commune, se trouve l’hôpital-CHU de Bicêtre qui fait partie des hôpitaux de première ligne dans la lutte contre le Covid-19. Quant à moi, j’habite un immeuble qui se situe à la limite, à la frontière entre Le Kremlin Bicêtre et Villejuif comme le montre les cartes ci-dessous

1-Lieu de vie

Lieu de vie interne : mon appartement

Lieu de vie externe : mon balcon

Faisant partie des personnes à risque, je ne suis pas sortie de chez moi depuis le 17 mars 2020.

2- Perception visuelle au sein du paysage urbain : évolution de la végétation perçue du 4èmeétage

Depuis le début du confinement, étant au 4ème étage et ayant une vue dégagée à partir de mon balcon, j’ai pu voir évoluer d’une part la végétation  dans les jardins alentours qui se trouvent sur le territoire de la commune de Villejuif d’autre part les fleurs ayant poussé dans mes jardinières présentes sur mon balcon :

-Au début du mois d’Avril, les arbres étaient en fleurs, dix-sept jours plus tard, ils ont leurs feuilles vertes.

Evolutions de fleurs sur mon balcon,  balcon me servant de point d’observation et de délassement

– Nettoyage de printemps dans les jardins alentours situés sur le territoire de la commune de VIllejuif

3-Perceptions sonores au sein du paysage urbain

Depuis le début du confinement, les chantiers de constructions étant à l’arrêt et les voitures ne circulant pas, le calme s’est installé au sein du paysage urbain.

Le matin, les oiseaux chantent puis trois fois par semaine (lundi, mercredi, vendredi) les éboueurs passent pour ramasser les ordures ménagères et les  papiers ainsi que les verres une fois par semaine (vendredi). L’après-midi, le calme revient puis de 20h à 20h02, retentissent les  applaudissements des résidents pour remercier les soignants

De façon ponctuelle, la police municipale du Kremlin Bicêtre circule en voiture dans les rue de la commune en diffusant un message pour inviter la population à rester chez elle et un numéro de téléphone pour contacter la mairie en cas d’urgence

Speed carto – PIROT Françoise

Durant ma vie professionnelle active, en tant qu’ingénieur de recherche au CNRS, spécialisée en modélisation spatiale des phénomènes complexes et des systèmes d’informations géographiques appliqués aux géo-sciences humaines, je développais des méthodologies pour mettre en oeuvre une problématique donnée, une application donnée prenant en compte l’espace spatial (géographique) et/ou l’espace aspatial (thématique, sémantique) et/ou l’espace temporel en vue de concevoir et de créer un système d’information géographique en lien avec la problématique donnée, l’application donnée ainsi que de réaliser des analyses spatiales ( géostatistiques), la carte numérique étant alors le résultat des géotraitements.
La démarche méthodologique repose sur
– une modélisation spatiale d’une problématique donnée consistant en une décomposition du monde réel complexe en phénomènes simples discrets ou continus
– une description et une structuration topologiques de l’espace spatial et/ou aspatial (thématique, sémantique) en terme de proximité, de contigüité, de continuité et de relations spatiales entre les phénomènes géographiques puis entre les objets géographiques identifiés au préalable
– une création des objets géographiques en terme de graphes planaires topologiques sans isthme et de graphe dual.
Les méthodes mathématiques utilisés sont les théories des graphes et des ensembles.


Perception topologique de l'espace


-Analyse Spatiale
Géotraitements 2D et/ou 3D : geostatistiques avancées, modélisation numérique de terrain (MNT), modélisation hydrologique

– Emprises spatiales : le monde et plus particulièrement l’Inde, le Cameroun, le Burkina Faso, la Cote d’Ivoire, le Bénin, l’Espagne, la France, le Brésil

-Thématiques traitées : Sciences sociales, histoire urbaine, archéologie de surface, histoire religieuse, histoire de l’art, environnement, biogéographie, géologie, santé

– Exemples :

Détermination de localisations potentielles d’objets géographiques ayant existé comme des mosquées, des bains juifs et ce à partir de l’environnement 2D et 3D et des informations historiques ou pouvant exister comme des mares ou des réseaux de mares à partir de l’environnement 2D et 3D et des informations biologiques.

Diffusion de l’art almoravide dans le bassin méditerranéen

Thèse de Mathilde Monge : Des communautés mouvantes.
Les « sociétés des Frères chrétiens » en Rhénanie du Nord
(Juliers, Berg, ville de Cologne, v. 1530-1694)

Trois semaines de confinement – S. Tselouiko

Légende des cartes
Avant le confinement
Le premier jour du confinement
Après deux semaines de confinement
Après trois semaines de confinement

Ces quatre cartes représentent quatre moments distincts : le temps avant le confinement, le jour J, deux semaines après le confinement et enfin trois semaines après. Elles ont été réalisées selon le même référentiel : mon foyer.

Au départ, j’avais prévu de réaliser un triptyque pour chaque moment. Mais lorsque j’ai commencé à réaliser la première carte, je me suis aperçue que les informations que je comptais séparer pour un soucis de lisibilité s’emboitaient mieux que que je ne l’avais imaginé. J’ai donc représenté sur une même carte, mon espace de vie, mes relations et mes perceptions.

Pour les relations, et les déplacements, j’ai employé des flèches, pour les perceptions et les émotions j’ai utilisé des symboles. Sur certaines cartes, j’ai inséré des photos pour illustrer les actions menées par des personnes (petites et grandes) de mon entourage en lien direct avec la situation que nous traversons. J’ai souhaité montrer des actions positives car ce sont celles que je vois en priorité.

Sur la carte “Avant le confinement”, on s’aperçoit que le parking n’est pas représenté, car il est à ce moment-là considéré à peine pour son utilité principale: garer ma voiture. Mais à partir du début de confinement, il a commencé à remplir une fonction très importante : il est devenu l’aire de jeu de ma fille. La végétation s’y est aussi bien développée, non seulement parce que le printemps s’est installé, mais aussi parce que je me suis attachée à la contempler. Autour de moi, les objets représentés (lieux de travail, de loisir, famille, amis, etc.) n’ont pas bougé. C’est mon accès à eux qui s’est transformé.

Avec le confinement, de nouveaux réseaux sont apparus, en particulier des réseaux d’entraide et d’actions citoyennes (confection de masques) dans ma ville. Au lieu de m’isoler, ce confinement m’a permis d’aller à la rencontre de nouvelles personnes.

La dimension sonore est aussi très importante dans mon expérience du confinement. Je suis sensible en particulier aux sirènes des urgences qui me semblent augmenter avec le temps. Mais aussi le chant des oiseaux, que j’associe à l’augmentation de la végétation. En contrepartie, le bruit et l’odeur de la circulation automobile se sont atténués.

La situation que nous vivons appelle à se recentrer énormément. Ne pas se laisser envahir par des émotions trop fortes (surtout lorsqu’elles sont négatives) apparaît nécessaire pour supporter ces conditions de confinement. Je tenais donc à représenter la dimension émotionnelle. J’ai voulu montrer à travers ce petit graphique les variations entre émotions positives et négatives et leur équilibrage, mais j’ai trouvé que cela a été très difficile à faire et au final, je n’en suis pas satisfaite.

Confinement – mathieu longlade

Cette carte représente le quartier de bénoni eustache à Villemomble (au centre) et ses alentours. Cette carte souhaite représenter les changements sonores, de sociabilité ainsi que de l’environnement naturel du quartier de bénoni eustache.

J’ai souhaité représenter en marron les principales zones d’habitation, en orange les travaux, en vert la végétation, en jaune les sonorités importantes, en violet les zones perçues comme infectieuses, un bonhomme pour désigner les zones de rencontre, des bandes pour les rues principales, des bandes barrés pour le chemin de fer. Les bordures rouges expliquent que les phénomènes concernés (ex : sonorité et zone de rencontre) avaient lieu avant le confinement alors les bordures bleues expliquent des phénomènes ayant lieu pendant le confinement. Ce qui est laissé en blanc ou n’a pas de bordure démontrent qu’il n’y a pas d’activités ou d’informations intéressantes à relever.

Afin de se repérer dans l’espace j’ai choisi de représenter des lieux occupant un une fonction importante dans l’espace tels que les stades, le lycée, le chemin de fer et le parking.

Ce que l’on peut observer est un déplacement des sonorités entre avant et pendant le confinement, du bas de la carte vers le haut. Les sonorités d’avant le confinement (jaune encadré rouge) représentent principalement, à gauche de la carte le trafic routier qui est très important dans cette rue, la fréquentation du lycée et des stades qui sont des zones sonorités importantes mais aussi des zones de rencontres importantes. A droite de la carte il s’agit des écoliers et collégiens qui font l’aller-retour à l’école et à l’horizontal de la carte le chemin de fer. Pendant le confinement, ces sonorités ont disparu et ont augmenté parmi les habitations du centre de la carte (espace plus approprié pour les échanges vu sa forme presque circulaire) notamment à 20 h (représenter en chiffre sur la carte) où les habitants applaudissent pour encourager le personnel médical.

En dépit du confinement des personnes sortent et créent de véritables zones de rencontre qui n’existaient pas avant (du moins sous cette forme) et les zones de rencontre du lycée et du stade ont disparu. Des travaux d’aménagement continue (en haut à droite de la carte) dans une maison à l’aide d’un tracteur.

Enfin, la végétation prend de plus en plus d’espace depuis le confinement, cela en raison d’une saison favorable à son développement, l’absence de piétinement de ces espaces mais aussi des employés de mairie chargés de tondre le gazon

Confinement Alba Perset

16 mars, Jour J, c’est officiellement le début du confinement. J’ai commencé à tenir un carnet de confinement qui me permettra de garder en mémoire toutes mes impressions et sensations. Il me force à analyser mon environnement, à observer son évolution, ses transformations en me basant sur mes souvenirs d’un temps sans confinement, où on ne se posait pas toutes les questions qu’on se pose aujourd’hui.

Ma perception des choses passe majoritairement par deux dimensions sensorielles, l’ouïe et la vue et enfin l’odorat, par ordre d’importance. La première carte, représentant ma perception sonore a été faite à J+7. Je me suis servie de ma mémoire pour réaliser la carte correspondant à J-7, qui représente l’environnement sonore dans lequel je vivais en temps normal et que je n’avais plus l’habitude ou le temps de questionner alors, à un moment où je n’aurais jamais pu soupçonner qu’il serait un jour questionnable et utile dans un cadre d’enquête sur la manière d’habiter son environnement.

L’ouïe – C’est donc par la dimension sonore que toute l’analyse de mes perceptions du confinement à débuté. Le silence sur le boulevard au dessus de chez moi m’a permit une écoute plus approfondie de ma rue, à travers la fenêtre de ma chambre. Ma chambre d’où j’entend, sens et observe les deux mondes qui m’entourent. L’extérieur et l’intérieur de la l’habitat familiale. Cette écoute affinée m’a permise d’entendre la vie de mon quartier comme jamais auparavant.

J’ai crée cette carte à partir de ma perception sonore de l’espace. La proximité s’y trouve comme resserrée, le quartier, l’environnement dans lequel je vis et qui me paraissait jusqu’alors si large et flou me semble à présent étroit et claire. Je peux sentir la présence des riverains, les entendre vivre.

Entendre des voix au dehors, en étant assise à mon bureau m’a poussé à aller voir, à observer de la fenêtre. Le vis à vis m’a même permis d’identifier mes voisins, après 15 ans à vivre dans l’anonymat. Il nous aura suffit d’une semaine en confinement pour se découvrir puis choisir de s’exposer un peu plus. Chaque jour je récolte des indices qui me permettent de reconstituer le puzzle de ma rue. Qui vit où? Avec qui? C’est “fenêtre sur cour” d’Hitchcock, qui sait si je ne finirais pas par percer leurs secrets? Je m’amuse à les espionner, chaque jour un peu, pendant que je profite du soleil à la fenêtre. Je note leurs routines, leurs interactions avec la rue. Ceux qui me semblaient si loin, distanciés par le bruit de la circulation sur le boulevard me paraissent aujourd’hui proches, presque trop proches, comme si notre rue s’était resserrée et nos immeubles rapprochés. Si proche qu’on pourrait presque se serrer la main d’une fenêtre à l’autre. Comme si la rue qui nous sépare était une rivière et nos immeubles des bateaux amarrés et qu’il nous suffisait de tirer sur la corde attachait au ponton pour se rapprocher les uns des autres. L’absence de bruit efface les distances et crée de la proximité.

La blonde tatouée du 3ème sort son chien vers 16h. Le roux, fils de la voisine aux cheveux blancs qui applaudit à la fenêtre de sa cuisine chaque soir, sort fumer sa roulée à 14h puis à 18h. La commère du rez-de-chaussée fume sa cigarette à sa fenêtre en regardant les passants. Le vieux couple homosexuel sort toujours faire les courses à deux. Le chanteur du quartier que personne ne peut supporter est toujours en place à 18h etc. Je vois tout sans chercher, les informations s’offrent à moi. En période de pré-confinement ces informations se seraient perdues en chemin entre eux et moi, entre le bruit et le mouvement.

Comment reconnaitre un paysage sonore? Comment se situer? Assise à mon bureau j’entend des voix passer sous ma fenêtre. Du français bien sûr mais aussi du chinois, de l’arabe, de l’espagnol, du turc, du portugais. A quoi reconnait t-on le bruit que fait la France? On devine qu’on est dans un pays laïc car on n’entend pas l’appel à la prière ni aucun signe d’une religion d’Etat. On reconnait la métropole à son accent? A quoi reconnaît t-on Paris? Son interculturalisme? On sait qu’on est en ville par le bruit de la circulation, mais on entend aussi de nombreux oiseaux,pigeons, mésanges, pies, ramiers, corneilles et aussi des mouettes. Alors comment savoir? Paris fait elle un son particulier? A t-elle une identité sonore singulière?

Raymond Murray Schafer introduit la notion de paysage sonore dans les années 1970. Il se questionne sur la relation de l’homme aux sons de son environnement et il nous éclaire donc sur la question de l’environnement sonore considéré comme un territoire. « Le soundscape est toute portion de l’environnement sonore visée comme champ d’étude » nous dit-il. Il divise ce champ en trois perspectives : les sonorités maitresses (keynote sounds), dans un paysage sonore, conditionnent notre perception des choses sans que nous nous en rendions compte, le bruit des vagues, le bruit des avions dans des logements proches d’un aéroport etc. Les sons à valeur signalétique (signal sounds), comme son nom l’indique il a pour vocation de signaler quelque chose. Il est conscientisé et renvoit à quelque chose. Enfin, les marqueurs sonores (soundmarks), sont des signaux assignés à un communauté et “font parti du paysage” comme l’appel à la prière à Amman. Schafer oppose dans la perception du paysage sonore les sons naturels, définit par le hi-fi haute fidélité et le lo-fi basse fidélité pour les sons artificiels. Il note une autre opposition établi sur la périodicité des sons, avec des sons naturels périodiques opposés à des sons artificiels redondants, rythmés. Selon sa théorie, l’analyse d’un paysage sonore permettrait donc de percer la combinaison des différents cycles sonores qui le composent, mais concernant les paysages sonores artificiels cette analyse est difficilement applicable puisqu’il s’agit non pas de cycles combinés mais plutôt d’une superposition de sons continus. (http://www.implications-philosophiques.org/langage-et-esthetique/implications-de-la-perception/paysage-sonore-et-ecologie-acoustique/)

La vue – L’intrusion. Le jeune couple qui a emménagé à J+1 dans l’immeuble d’en face, possède une vue imprenable sur ma chambre. Rapidement s’est instauré une sorte de voyeurisme partagé. Ce que je ne faisais pas avant le confinement avec les locataires précédents, ni avec aucun autre voisin d’ailleurs depuis que j’ai plus de 10 ans. Sauf peut-être avec la voisine du Rez de chaussée de l’immeuble de droite, qui se mêle de tout et qui donne envie de l’espionner en retour, pour comprendre un peu mieux qui se cache derrière l’intrusion.

L’intrusion rendrait intrusif. Lorsque j’ai compris que le jeune couple m’observait, j’ai commencé à les observer à mon tour et c’est devenu comme un rendez-vous quotidien. On s’assurait notre présence, on cherchait presque le regard de l’autre, une interaction silencieuse, presque secrète, une autre forme de lien social, en sous-couche, le seul qu’on puisse avoir. Il devenait précieux. Peut-on avoir de l’intimité maintenant que les frontières ont été effacé, que les barrières de façades sont tombées, que ce qui nous séparait nous rapproche? Comment se construisait l’intimité en temps normal? J’ai fais la seconde cartographie. J’ai fais le choix de montrer ces cartographies un peu brouillon et de ne pas en reproduire pour ne pas effacer mes premières impressions.  A J-7 ma perception correspondait à un « plan général » dans le vocabulaire du cinéma, représentant une vision d’ensemble, une certaine objectivité, un recul, une  distance avec la scène. Permettant de situer l’action.  A J+14 il s’agissait plutôt d’un point de vue subjectif, vue à travers mes propres yeux. Les proportions d’une vision humaine créant une proximité avec les immeubles environnants.  Plus aucun recul possible. 

Les interactions sociales. A 20h, les applaudissements retentissent. Un second rendez vous quotidien s’est mis en place. Durant les premiers soirs du confinement il faisait encore nuit à 20h, on ne se reconnaissait pas d’un immeuble à l’autre, on pouvait éviter les regards en rendant l’obscurité responsable. Après le changement d’heure, le processus de “désintimité” déjà mis en place devenait presque forcé. On ne pouvait plus faire semblant de ne pas se voir. Je crois que ça tombait bien. Il permettait de créer du lien social et chacun était content de saluer son voisinage. Une complicité se créait, c’était une façon de se soutenir face à l’adversité, même sans se connaitre.

A J-7, il n’y avait pas d’interaction entre l’intérieur et l’extérieur. Chacun rentrait chez lui et on se confinait pour retrouver notre intimité. Après avoir passé la journée dehors, entouré, on avait besoin de tranquillité et ça passait par le confinement choisi dans son espace intime.  A J+7 en revanche, j’ai constaté un besoin d’échange, d’interaction avec l’extérieur, par les regards, d’un habitat à un autre.  En allant faire mes courses je regardais à l’intérieur des appartements. L’intimité n’existe plus. L’intrusion est totale, physique et virtuelle. Non seulement je me sens épiée dans ma propre chambre, mon espace intime mais en plus je me sens mise à nue par téléphone. On n’a plus d’excuse pour ne pas être disponible, ne pas être connectée à son téléphone.

Le temps – Le temps n’est plus une contrainte. On sait que les choses resteront à leur place. Le temps s’allonge. J’ai trouvé difficile de représenter le temps car il creuse l’espace et l’assouplit, le rendant élastique. Comme si les limites imaginaires qu’on s’imposait avec la notion de temps avaient disparues, nous laissant face à un temps dorénavant infini et donc instable, auquel on ne peut plus se référer. Le rapport espace-temps n’est plus à la portée de l’homme, maitrisable. Mais par cette voie là il n’est plus non plus un ennemi de la créativité. Elle devient un passeport, un moyen de dépasser les frontières. Utilisant l’internet comme un nouveau territoire à occuper. L’espace physique est limité mais l’espace mental s’agrandit est devient infini à son tour, car c’est la seule chose à laquelle on ait accès. 

Difficulté. Comment le représenter? J’ai planté des fleurs à J+2 et j’ai pris une photo par jour. C’est le temps qui pousse.

Comment représenter un espace infini dans un espace fini? Autrement dit comment représenter un monde intérieur infini dans un espace limité? J’ai représenté un cerveau dans un pièce. Un cerveau avec toutes ces sillons et les différentes parties qui le composent pour montrer la complexité et l’étendue infini de ces capacités.

Le mouvement – La perception des espace est modifiée quand nos mouvements sont limités. La perception de la rue sans voitures, elle semble devenir un lieu d’immobilité alors qu’elle n’était qu’un lieu de passage, de mouvement. En attendant devant les boutiques, on se regarde, on se rencontre, on se parle. On a l’espace, on a la place de le faire. On était contraint par la foule à J-30 avec les grèves de transports, à J+30 on en est privé. En moins de deux mois on passe d’un extreme à l’autre et cela bouleverse tout notre champ sensoriel. Le “trop plein” nous dégoute, nos sens sont en alerte perpétuel, les odeurs, le touché, la vue et le son nous attaquent. On fuit les lieux bondés. Le “trop peu” nous inquiète, synonyme de problème, d’anormal, il crée le manque. Pourrait-on imaginer qu’une sorte d’exode urbaine des populations s’effectuera vers les zones rurales une fois le déconfinement terminé? Les populations citadines quitteront-elles la ville pour la campagne à la recherche de plus d’équilibre dans les sensations? On ne reviendra pas à l’agitation générale qui faisait notre quotidien sans être affectés. Après avoir vécu un confinement de deux mois, il est peu probable que les choses rentrent dans l’ordre. Rien ne sera jamais plus comme avant. Il faudra un temps d’adaptation pour certains, un nouveau départ pour d’autres.

Entre deux mondes – Cette troisième cartographie représente les deux interactions que j’ai de ma chambre. Mon observatoire. L’une avec la rue et les voisins, l’autre avec l’intérieur de ma maison et mes parents. Depuis le début du confinement j’ai du réaménager mon espace trois fois, ce que j’appelle mon observatoire et mon sas de décompression à la fois. Le 17 mars j’ai orienté mon bureau face à la fenêtre, je ne pouvais plus me rendre à la bibliothèque alors j’ai adapté mon espace. Le 20 avril j’ai mis mon lit parallèlement au mur plutôt que perpendiculairement, pour avoir plus d’espace pour circuler entre mon bureau et ma fenêtre, espace que je n’utilisais pas tellement jusque là. Le 30 avril j’ai installé une fine étagère au pied du lit, qui me sert à la fois de table de chevet et de plan de travail et pour pouvoir inverser l’orientation de ma vue vers la fenêtre et non vers le fond de ma chambre. En résumé, les trois modifications apportées à mon espace ont été dirigées vers la fenêtre, l’exterieur de la chambre et m’ont permis de me réapproprier mon espace pour mieux l’habiter, quant il n’était qu’un lieu de passage furtif.

L’odorat – Des odeurs de nourriture me parviennent par la fenêtre. Je ne sais pas d’où elles viennent précisément mais elle me font sentir la présence de l’autre. Difficulté à représenter les odeurs. Il est presque impossible que deux observateurs perçoivent une même odeur. (Lucile Grésillon 2012) On décrit une odeur par sa source supposée et le rapport relationnel qu’on a avec celle-ci, par une évaluation hédonique ou le recours à un souvenir intime et personnel. C’est ce qui les rend si unique à chacun. On manque de vocabulaire, de formes, de détails visuels pour les caractériser. C’est également parce qu’elles sont invisibles à l’oeil nu qu’on peut difficilement retracer leur chemin et donc les représenter ou les décrire. Représenter une odeur par un canal coloré faisant route d’un lieu à un autre pourrait être une idée de représentation possible.

Répétition – Le confinement nous oblige à revoir nos besoins secondaires : retoucheur, pressing, coiffeur, fleuriste, caviste, bricolage, esthéticienne, mercerie, cafés, restaurants, bibliothèque, salle de classe. Etaient-ils réellement indispensables? Repenser son quotidien. Qu’est ce que leur absence provoque en nous? Se contenter de ce qui est là et s’adapter. Mais ce qui est là devient redondant après 30 jours confinés quand on était habitué à des journées hétérogènes. On commence à tourner en rond et pourtant on a mille choses sur le feu. Mais la routine s’est installée.  D’abord notre métro boulot dodo a été brisée à Jour J. Notre métro boulot dodo qu’on aimait bien finalement, qu’on avait réussi à rendtre attractif chacun à sa manière, grâce à nos activités, nos sorties, nos rencontres, qui ont disparue aujourd’hui. Il a donc fallu choisir un lieu, se créer un environnement plaisant, dans lequel se confiner. En le transformant ou l’adaptant à nos besoins, se créer un environnement agréable, s’installer un bureau confortable pour télétravailler, faire de la place pour les ateliers créatifs, rassembler les outils, faire la liste des tâches à accomplir pour s’occuper, faire ce qu’on n’avait pas le temps de faire, s’inventer une salle  sport, remplir les placards de la cuisine au cas où, vider le grenier, repeindre le salon, ordonner sa bibliothèque bref, se mettre à la pâtisserie, tout un tas d’activités que l’on fait pour passer le temps, se réapproprier l’espace ou se sentir chez soi.

Ce nouveau quotidien était même amusant les 15 premiers jours. Tant qu’on pensait que ça ne durerait pas plus d’un mois. Les observations, la prise de note dans mon carnet du confinement m’occupait et m’amusait jusqu’à ce que ça devienne malgré moi  une nouvelle routine. Alors il a fallu la déconstruire à son tour. La routine tue la spontanéité et la créativité à mon sens. Ce qui semblait exceptionnel au début du confinement ne l’était plus à force et devenait ennuyeux, répétitif.  Le confinement devenait officiellement notre quotidien et non plus une parenthèse hors du commun. Tout basculait. Je me mettais à dessiner des fenêtres, volets ouverts ou fermés, grandes ou petites, vives ou ternes, des fenêtres ouvertes sur le monde.

Petit à petit on reprend nos vieilles habitudes, on revient à la normalité avec une certaine lassitude, à ce qu’on faisait avant le confinement. t pourtant rien n’est comme avant. Encore une fois, on doit se réadapter à ce qui a changé sans qu’on le décide, sans qu’on ai prise.

Cette dernière carte montre mon évolution, mon mouvement à J+7, en interaction ou en recherche de lien social aussi bien à l’extérieur vers la rue, qu’a l’intérieur de ma propre maison. Le champ s’était élargit. Il s’agissait d’un mouvement d’ouverture vers l’autre.  A J+30, le mouvement a disparu, je tourne en rond dans ma chambre et sur moi même. Le besoin d’interaction a laissé place à un besoin de solitude, un besoin de se ré-approprier l’espace, de se recréer un espace d’intimité. A une immobilité. Le champ s’est resserré pour un mouvement d’intériorité. 

Le nombre incalculable d’alternatives pour représenter sa perception des choses en cartographie montre bien qu’il n’existe pas une réalité commune à tous mais bien autant de réalités et de perceptions différentes que d’êtres humains sur cette terre. On utilise alors des matériaux, parfois limitants, pour représenter notre perception selon des référentiels communs, codes, symboles, images, couleurs etc toutes informations capables de nous éclairer, nous permettre d’entrer dans le l’univers perçu par l’auteur de la cartographie.

L’interaction entre l’homme et son territoire urbain relève d’une grande complexité d’analyse due à la complexité humaine elle même dont le champs de recherche est presque infini.

Edgar Morin s’attache à définir l’homme à travers des dimensions trinitaires jusque là considérées séparément. Ensemble, elles permettraient selon lui, de comprendre l’homme à une échelle plus globale. Il s’agit de l’individu, de la société humaine et de l’espace biologique, autrement dit le large réseau d’informations à considérer dans une telle analyse concernant l’homme dans son milieu urbain doit pouvoir concevoir et analyser sa psychologie, son appartenance sociale et son origine culturelle et sa physiologie. Il prône la richesse et la nécessité sans faille de l’interdisciplinarité et de son pouvoir d’interaction entre les connaissances. Jusque là trop souvent exclue des analyses de fonds et qui permettrait pourtant de mieux comprendre la complexité du monde. D’après lui, la pensée binaire de l’homme limiterait sa vision du monde, l’empêchant de penser à une échelle plus globale, le réduisant à penser une partie du tout plutôt que le tout lui même. (Edgar Morin, Penser global, l’homme et son univers, 2015)

Confinement Sophie Gleizes

Protocole d’une cartographie poétique de mon insularisation

Je souhaiterais cartographier un aspect de mon expérience du confinement : la porosité des liens entre espaces physiques et imaginaires/virtuels.
Mon expérience du confinement me semble être informée par un “double-choc spatial” : 1) à l’annonce du confinement, j’ai été contrainte à rentrer avec précipitation de mon terrain dans la toundra sibérienne 2) l’accès à mon espace de vie habituel m’est interdit car la personne avec qui j’y vis est à haut risque. Entre J-7 et J, je suis donc passée sans transition des grandes étendues du Nord  à 25 mètres2 partagés à deux, me donnant l’impression d’évoluer dans une sorte d’espace limbique où la plupart de mes repères sont brouillés. Les repères quotidiens du monde “physique” sont réduits à quelques essentiels : circulation entre différentes pièces de l’appartement, une course au supermarché de temps en temps, une promenade au bois de Vincennes, les applaudissements à 20h, le ciel au coucher du soleil. J’ai remarqué que plus mon espace physique de circulation se rétracte en raison de mesures de confinement toujours plus strictes, plus mon espace imaginaire est en expansion. 

Les objets géographiques représentés seront : 

  • Un espace de circulation physique comprenant l’espace domestique et l’espace extérieur (notamment deux lieux : un supermarché, le bois de Vincennes). Les liens avec l’espace extérieur se réduisent au fil des mesures de confinement. Ce processus pourrait être représenté à l’aide de variations d’échelles et d’une insularisation de plus en plus prononcée de mon espace de vie. Autrement dit, plus mon espace de circulation est réduit, plus mon espace domestique s’agrandit, s’isole de l’espace extérieur et se métamorphose en îlot au milieu de l’espace urbain. Cette impression d’être sur un îlot est renforcée par l’absence visuelle d’autres humains (remplacée par leur présence sonore tous les jours à 20h) et par la localisation de l’appartement au 10e étage, donnant l’impression de surplomber une mer d’immeubles qui s’étend à perte de vue.
  • Des espaces d’imagination de plus en plus en expansion : l’espace onirique, où il semblerait que je retrouve la toundra sibérienne toute les nuits ; l’espace changeant du paysage urbain par la fenêtre (l’aspect du ciel et des nuages) ; éventuellement l’espace d’internet sur lequel j’échange avec famille et amis.

Les difficultés que je rencontre : comment représenter la superposition entre un espace de circulation physique de plus en plus réduit et des espaces de  circulation imaginaires, en expansion et en mouvement, qui ne respectent en rien le kilomètre réglementaire ? Comment représenter l’espace domestique ? Comment représenter les espaces imaginaires eux-mêmes ? Est-il possible de représenter ces différents espaces sur une même carte ? Je ne suis pas encore certaine de savoir comment mettre cette cartographie en oeuvre, c’est pourquoi je ne propose que quelques idées par écrit, en espérant que ce ne soit pas trop chimérique !

Représentation possible :
Afin de montrer le processus d’insularisation de mon espace de vie, il me faudra produire un certain nombre de cartes à différents moments de la période de confinement (J-7 ; J+7 ; J+14, etc). Les cartes sont documentées à partir d’observations, de prises de photos et vidéos du paysage par la fenêtre, d’une prise de note régulière de rêves. Il me semble qu’une succession animée de cartes pourrait rendre compte de ces mouvements contraires de rétraction de l’espace physique de circulation et d’expansion de l’espace imaginaire ; de la distorsion de plus en plus prononcée de ma perception de l’espace physique de Paris en paysages imaginaires.

Par exemple :
J-7 = Une carte à J-7 pourrait représenter la manière dont je m’imagine mon retour éventuel dans mon espace de vie parisien alors que je suis encore dans la toundra.

J+7 = Les limites de l’espace physique pourraient être représentées par un cercle au contour rouge représentant la zone réglementaire de circulation (1km). Mon espace domestique, à l’intérieur de ce cercle rouge, est de taille moyenne (circulations internes entre salon, cuisine, balcon, salle de bain) et relié par des “ponts” au supermarché du coin et au bois de Vincennes, où je circule régulièrement. L’espace onirique (où l’espace de la toundra a basculé depuis “J-7”) dépasse cette zone réglementaire tout comme l’espace “imaginé” de la mer d’immeubles.

J+14 = Le pont reliant mon espace domestique au Bois de Vincennes est coupé car ce dernier n’est plus accessible ; le pont lié au supermarché est représenté en pointillé car je m’y rend moins. Le cercle rouge du km réglementaire perd de sa couleur car mes sorties sont plus rares, étant donné que l’un de mes repères clés, le Bois, a disparu de mon espace de circulation autorisé. Je passe plus de temps sur le balcon et à l’intérieur de l’appartement, qui prend plus de place sur la carte, et qui prend de plus en plus l’apparence d’une île. Les espaces imaginaires prennent encore plus de place : des couleurs plus intenses, le paysage urbain se métamorphose : la “mer” d’immeuble prend encore plus l’apparence d’une mer, l’horizon, en fonction des couleurs du ciel et de la forme des nuages se transforme tantôt en bord de mer, en volcan et ses coulées de laves, en paysage de montagnes. 

Le balcon

La “mer” d’immeuble