Réalisé le 10/11/2022 en 40 minutes par Mathilde Araudeau
Pour chacune de mes cartes, j’ai choisi de mettre des images en 3D ou des photographies. Ce choix révèle que pour moi, une expérience d’un lieu est multi dimensionnel (goût, ambiance, physiologique…).
Le campus de la cité Descartes m’est très familié puisque j’ai réalisé mes trois années de licence précédant mon master ici. Néanmoins, on peut observer certaines différences entre mes deux cartes sensibles en termes de perception des lieux. En effet, n’utilisant pas le vélo, j’ai remarqué grâce au module les endroits plus difficilement pratiquables, voire dangereux. De plus, me rendant rapidement sur les lieux le matin, la tête baissée, les écouteurs dans les oreilles, je ne remarquais pas nécessairement les bruits qui m’entouraient mais aussi les lieux végétalisés ou non, les bosses, etc. C’est après l’écoute du parcours à vélo que j’ai réalisé qu’il y avait effectivement un chantier à l’ESIEE ou pour la piscine, car je n’y prêtais même plus attention depuis le temps. Enfin, cet audio m’a permis de me rendre compte de l’affluence des lieux, en termes de présence automobile et/ou étudiante. Le fait d’utiliser un mode de déplacement différent de la marche modifie les perceptions qu’on a du campus. Le fait de ne plus passer par le RER et de traverser le campus jusqu’à Bois de l’Etang depuis cette année modifie également les lieux que je parcours ainsi que ma perception de ceux-ci
Lors de cet exercice, nous devions écouter un enregistrement audio de 20 minutes et tenter de le retranscrire de manière cartographique.
Pour ce faire, j’ai écouté l’enregistrement en tentant de prendre des notes les plus précises possibles afin de m’aider dans la représentation cartographique. Je ne sais pas si c’est à cause de mon parcours en géographie (et en mathématiques par le passé) que j’ai effectué certains choix, mais il me semblait nécessaire de représenter une cartographie correspondant relativement à la réalité, à la localisation et à un “phasage analytique”. J’ai donc porté une attention particulière à la représentation des différentes caractéristiques du trajet (bruit, trottoirs, places de parking, pistes cyclables, arrêts de bus, bâtiments, arbres, piétons, panneau stop et de direction, etc.), et en les décomposant en 3 phases.
J’avais tout d’abord identifié une première phase, où le trajet s’effectuait globalement aux abords de routes et de ronds points. J’ai tenté d’y représenter les ruptures que j’ai pu relever dans les paroles de l’enregistrement audio, avec notamment le fait de devoir traverser des routes.
Ensuite, j’ai représenté une seconde phase où le trajet dénotait du cadre précédent, puisqu’il se poursuivait vers un chemin de terre et une sorte de parc.
Pour finir, j’ai identifié une troisième phase où le trajet se déroulait à nouveau près de la route, et avec différentes caractéristiques urbaines notables (des entrepôts, un très grand parking, un chantier, etc.)
C’est pour toutes ces raisons que je n’ai pas ressenti le besoin d’effectuer une seconde cartographie avec le fond de carte. Etant donné que je m’étais appliqué à relever le plus précisément possible le déroulement du trajet avec des notes écrites, j’aurais également voulu décomposer le trajet en 3 phases et avec les mêmes représentations graphiques. Dans le cadre de l’exercice, je trouvais plus intéressant de tenter de penser le trajet en phases afin de produire une carte “analytique”, plutôt que de retracer le trajet complet dans son ensemble. Je pense que le fait d’utiliser un phasage permet de faire ressortir les points importants que l’on souhaite montrer (c’est en quelque sorte le discours que l’on souhaite transmettre via sa production), et que la représentation totale du trajet aurait pu “noyer” certaines informations importantes parmi d’autres que l’on peut considérer comme secondaires.
Voici la carte que j’ai réalisée sans fond de carte, à partir de la piste audio fournie.
Pour ce faire j’ai d’abord pris des notes sur un document word, en sélectionnant les informations qui me paraissaient importantes, comme les sons, les changements de direction, les objets et bâtiments caractéristiques, etc. Il est fort probable que certaines informations ne me soient pas parues “essentielles” ou simplement intelligibles (noms de lieux inconnus) lors de cette première phase de travail : c’est un biais dans mon processus cartographique. Une fois ces éléments visualisés à chaque étape du parcours par un code couleur (surlignage), j’ai pu commencer à élaborer la légende.
Ceci fait, j’ai commencé par faire une esquisse au brouillon, afin de voir l’emprise de mon dessin sur la feuille. En effet, il m’était difficile de me repérer dans l’espace en gardant l’aspect du trajet tel que décrit. Cette difficulté venait également du fait que je connaissais plus ou moins bien l’endroit décrit et essayait machinalement de reconstituer ce dernier en fonction de ma mémoire. Néanmoins, le brouillon m’a permis de décider où placer mon point de départ, à savoir la gare RER de Noisy-Champs.
Enfin, j’ai construit ma carte à l’aide de feutres fins, et de crayons de couleur. Tous mes éléments étaient préalablement définis dans ma légende, ce qui m’a permis de pré-visualiser ma carte et de placer plus précisément mes figurés.
Par la suite, il a fallu réaliser une carte représentant les mêmes données, mais avec un fond de carte connu.
Pour la réaliser, j’ai décidé de relire mes notes, et de m’en servir comme données à nouveau. Cela permettra de voir une réelle différence entre les deux cartes bien que ce soient exactement les mêmes données. Je souhaite également conserver ma légende pour voir si elle se prête à l’élaboration d’une carte avec un fond connu (limites).
Ensuite, je place les grands axes, les ronds-points, les bâtiments notables et les espaces verts. Au crayon à papier, je fais une première esquisse du trajet, pour voir si je me suis bien repérée. Puis, je matérialise le parcours par des flèches sur mes axes. Je retire par la suite les axes qui ne sont pas répertoriés dans le parcours. Cela permet aussi de laisser de la place pour représenter mes figurés ponctuels. Le fait d’avoir une trame me permet visiblement de placer plus rapidement ces derniers.
Ici, j’ai moins de place pour dessiner les figurés ; cela est dû au format A4 de cette carte, plus petit que le format A3 utilisé antérieurement. Peut-être que la trame réduit l’espace également. Certains de mes figurés sont enlevés pour plus de clarté (le corbeau, les arrêts de bus, les rochers). Cependant, j’ai pu placer le Nord et retrouver des bâtiments dont j’ignorais le nom, et qui étaient signalés à la fois sur la carte et dans le document audio.
Réalisé dans le cadre du second cours de cartographie sensible de l’EUP, ces deux cartes superposées font suite à l’écoute d’un audio réalisé par une cycliste en mouvement décrivant son trajet.
J’ai écouté l’audio tout au long de mon travail, sans préalablement prendre de notes ou faire de brouillon. La première carte (en relief) représente de manière linéaire le vécu de ce cycliste. Pour moi, créer un “fossé” dans le quel roule la cycliste permet de montrer l’importance de cette piste cyclable et l’importance moindre, plus éloigné, plus annexe de l’environnement. A gauche (dans le sens de la marche), les représentations avaient pour ambitions de décrire le vocabulaire “d’initié” employé par la cycliste, ses descriptions de la ville, ses choix d’objets décrits. A droite, un autre niveau d’information est mobilisé : l’information informelle. A droite sont plus représentées les émotions, les bruits…
La seconde carte fait suite à la découverte d’une carte classique représentant le terrain décrit.. La contrainte de réaliser une autre carte à partir de ces nouvelles informations m’a au contraire fait perdre les repères imaginés car je n’avais pas visualisé le trajet auparavant. Je ne me suis pas sentie en capacité de retracer ce trajet et donc de réaliser une carte à l’échelle. En revanche ce que j’ai retiré de cette carte ce sont les normes cartographiques que j’ai souhaité mettre au service de ma première carte sensible. J’ai donc transformé l’exercice afin de valoriser mon autre carte en coloriant une feuille en gris (couleur sobre et ennuyante) et en y ajoutant des normes cartographiques (orientation, échelle, source…). Je l’ai ensuite mise en dessous de la première pour montrer un contraste et une moindre importance par rapport au sensible et à l’imaginaire.
J’ai pris plaisir à réaliser ces deux niveaux de cartes. J’ai du adapter mon imaginaire à mes compétences graphiques. Au niveau de l’interprétation sans explication je pense que la carte que j’ai produite est peu transposable à une lecture géographique de l’espace. Elle raconte plus l’histoire qu’a vécu la cycliste.
Cet exercice m’a permis d’élargir ma vision de la cartographie sensible et de l’expérimenter. J’imagine désormais de nouvelles manières de créer ou de faire coopérer un public sur des sujets très variés.
Après avoir écouté un audio d’un parcours commenté à vélo, j’ai réalisé une carte de l’itinéraire et des caractéristiques évoquées par la cycliste. Je l’ai écouté seulement une fois tout en représentant au brouillon les informations qui me semblaient les plus pertinentes à représenter. Au début de l’audio, je cherchait à me repérer, comprendre le circuit parcouru, puis à l’écoute des noms de bâtiments, j’ai compris que le terrain était la cité Descartes. Ainsi, cela m’a permis de mieux visualiser les lieux parcourus. En effet, le fait de connaitre le lieu m’a “rassuré”, je ne me sentais pas perdue, à dessiner quelque chose de fictif.
Je n’ai pas réalisé de deuxième carte car je n’ai pas vraiment su comment je pouvais représenter de nouveau le parcours avec la localisation, puisque je l’avais déjà en tête. Je me suis permise de rajouter quelques noms de bâtiments qui n’étaient pas forcément dit lors de la balade à vélo, ainsi que le trajet, puisque l’autrice ne précisait pas toujours dans quel sens elle tournait. Néanmoins, si je n’avais pas connu le parcours, j’aurai probablement effectué une carte linéaire.
Ainsi, j’ai décidé de représenter schématiquement le parcours, sans mettre les giratoires, mais en gardant les directions empruntées. Les figurés linéaires formant le contour du rectangle représentent donc le parcours effectué à vélo, dont les couleurs vont du rouge (circulation forte), au bleu (circulation faible), en passant par le gris (pas d’informations spécifiques évoquées dans l’audio). De plus, j’y ai inscrit les endroits de danger pour la cycliste, liés à l’environnement (bosses, châtaignes), ou la circulation. Les chantiers aussi sont représentés, en raison de l’obstacle qu’ils peuvent constituer. De plus, j’ai répertorié les espaces végétalisés, ceux où les feuilles d’automne tombent, les espaces d’entrepôts, mais aussi fortement fréquentés par les étudiants, ainsi que les food trucks et les bars. J’ai ajouté les noms de bâtiments pour aider à se repérer, mais aussi les résidences (étudiantes ou non) et l’hôtel Ibis. Les figurés représentant la voiture et l’individu rouge ou bleu précisent la proportion de voitures et de piétons dans les zones, complétant ainsi les figurés linéaires rouges et bleus. Enfin, j’ai ajouté les causes de nuisance, telles que les corbeaux, les piétons ou les voitures.
Nous avions le temps de vraiment réfléchir à la conception de la carte, les couleurs utilisées (violet pour ce qui est lié aux étudiants par exemple), ce qui m’a permis de ne pas me lancer directement dans la carte sans vraiment réfléchir. Néanmoins, je me suis sentie un peu bloquée par mon manque de compétences en dessin, m’empêchant de représenter l’itinéraire de façon moins schématique.
Le 31 mai 2021, nous avons effectué une balade urbaine virtuelle dans le cadre de l’atelier de cartographie sensible.
Durant cette expérience, nous devions recenser et de cartographier les perceptions subjectives de chaleur et de fraîcheur suivant un parcours urbain diffusé en direct et constitué d’un ensemble de points saillants.
J’ai choisi de représenter graphiquement les différentes perceptions de chaleur et de fraîcheur avec de l’aquarelle, dans le but de retransmettre visuellement la dispersion et la diffusion entre les zones que je percevais comme chaudes ou fraîches. Sans surprise, les zones d’ombre et/ou arborées étaient perçues comme plus fraîches que les zones ensoleillées, surtout si les lieux étaient bruyants et sans verdure. Le bruit du vent à travers le micro représentait selon moi un facteur de fraîcheur d’un lieu ou d’une zone, de même que le chant des oiseaux. Toutefois, l’esplanade des Invalides contraste cette affirmation, car malgré la présence d’une importante zone de verdure (pelouse), son ensoleillement fait de ce point saillant une zone de chaleur au même titre qu’un carrefour routier. On peut également noter que le porteur de la caméra influence les perceptions de chaleur et de fraîcheur du spectateur en distanciel, notamment par le choix de marcher plutôt du côté ombragé de la rue ou vice-versa.
Durant la première séance de l’atelier de cartographie sensible le 8 mars 2021, nous avons réalisé une speed carto (10′) portant à la fois sur nous-même et sur notre sujet de recherche. La limite de temps a été une forte contrainte dans l’agencement et la représentation graphique des données. En effet, le multiplicité des lieux dans lesquels j’évoluais, et leur éloignement géographique, a rendu la réalisation de cette tâche très complexe dans le temps imparti.
A gauche, l’ébauche d’une cartographie schématique représentant ma localisation en catalogne française, mes allers-retours à la fois sur Paris à la CIUP, au Musée National d’Histoire Naturelle et à la Bulac, et ceux en Thaïlande et en Birmanie dans l’archipel Mergui qui constituent mes terrains de recherche. A droite, la cartographie textuelle et graphique très maladroite de mon parcours à l’EHESS et de mon sujet de recherche sous forme d’interrelations de bulles. N’ayant pas eu le temps de réfléchir en amont aux symboles, je me suis lancée dans une conception du type ‘carte mentale’.
Synthèse par Elvira Labarca et Mélodia Préjengemme : Irène Hirt. (2009). Cartographies autochtones. Éléments pour une analyse critique. L’Espace Géographique, 38/2.
L’article de Irène Hirt, intitulé “Cartographie autochtones. Eléments pour une analyse critique”, a été publié dans le volume 38 de la revue bi-annuelle L’Espace Géographique de 2009. L’auteure y propose un état de l’art sur les cartographies autochtones au sein de la recherche anglophone tout en exposant les ambivalences de cette méthode à travers une étude de cas portant sur les Mapuches au Chili. Ainsi, Irène Hirt se demande si les cartographies autochtones représentent des objets de libération pour les communautés, ce qu’elle désigne comme “facteur d’empowerment”, ou si elles s’inscrivent inévitablement dans un processus d’assimilation culturelle et de domination coloniale.
Selon Irène Hirt, les cartographies autochtones ont été délaissées par les historiens de la cartographie en raison de leur non-conformité au regard des “critères hégémoniques de la science occidentale”. En effet, les modes de transmission des données géographiques passent par des supports éphémères : des pratiques orales comme les performances, tels que les rites, les chants ou les danses, et des processus cognitifs tels que les rêves. Ce n’est que dans les années 1980-90 qu’un processus de “décolonisation géographique” s’opère, permettant ainsi la création de “contrecartographies” (Crampton & Krygier, 2006). Les peuples autochtones s’approprient alors les méthodes de cartographie “occidentales”, et en particulier les techniques de cartographie numérique et les SIG (Systèmes d’Informations Géographiques). Ces cartes alternatives sont érigées comme outils de contestation politique et de revendications territoriales face aux structures dominantes des États-nations.
Pourtant, la cartographie autochtone apparaît comme une méthode ambivalente, tantôt permettant l’empowerment de ces populations, tantôt entraînant un risque potentiel d’assimilation culturelle. Ce débat agite les chercheurs mêmes qui utilisent la cartographie comme un outil de remise en cause du discours hégémonique occidental. D’un côté, ces cartes autochtones représentent des “insurrection(s) cartographiques(s)” (Rundstrom, 1991), aux effets “contrehégémoniques” (Cook, 2003) ainsi qu’un “contrepoint” à la colonisation. Elles permettent un partage des savoirs et des valeurs identitaires et culturelles autochtones entre les générations, et participent au renforcement de l’organisation politique autochtone et du “sentiment d’appartenance à une collectivité”. Le développement de nouvelles compétences techniques objectives et standardisées au sein de ces populations permet ainsi de “donner des voix aux peuples situés dans la périphérie du monde” (Fox, 1998) car c’est en maîtrisant “le langage du colonisateur” (Louis, 2004) que les revendications autochtones peuvent être entendues. D’un autre côté, les SIG, considérées comme des “techno-sciences”, possèdent ainsi un pouvoir d’assimilation culturelle en s’inscrivant dans une conception fondamentalement occidentale de l’espace. Cette apparente “objectivité empirique” induit une “standardisation” des pratiques cartographiques et une “marginalisation des expressions cartographiques autochtones”. La cartographie induirait ainsi un travail de traduction de l’espace vers un système normatif et dominant, et non pas une représentation des territorialités autochtones.
Apparaît ainsi la nécessité d’un compromis selon Irène Hirt, celui de décoloniser la carte. Selon les chercheurs autochtones, il est important de reconnaître l’utilité de ces “cartographies occidentales” dans les luttes autochtones, tout en développant une conscience critique sur l’utilisation et la représentation des informations spatiales, en particulier sensibles, pour limiter les impacts négatifs de ces méthodes. Aussi, la valorisation des traditions cartographiques autochtones, exprimées par les performances et les rituels, doit être au cœur de cette nouvelle démarche anticoloniale et anti-universaliste. Néanmoins, pour l’auteure, il existe une difficulté inhérente au travail cartographique avec les populations autochtones en raison d’une perception opposée du monde et de l’espace. Selon cette théorie, les sociétés autochtones ont une vision holistique de l’environnement tandis que les sociétés occidentales fondent leur perception du monde sur une division absolue entre culture et nature. Il y aurait une difficulté inhérente aux modes de construction des savoirs autochtones, plus “synthétiques qu’analytiques”, ne permettant pas la “traduction des connaissances orales vers des formes de savoir écrit” sans une perte d’information ou une altération inévitable. En figeant des informations sensibles par le processus de cartographie, il existe un risque de conflits, notamment au regard des limites territoriales inter-groupes souvent indéfinies et mouvantes. Ainsi, ce compromis nécessite avant tout de s’inscrire dans un travail de groupe dirigé vers les besoins de la communauté, dans lequel les chercheurs autochtones euxmêmes doivent s’interroger sur leur “mentalité colonisée” (Johnson et al., 2005) et où il est indispensable de “repenser le rôle de l’expert” allochtone.
Irène Hirt étaye son argumentation par une étude de cas sur les Mapuche au sud du Chili. Il s’agit d’un travail de reconstruction cartographique participatif d’un lof, qui constitue un “espace d’appartenance” et une “entité socio-politique autonome” ayant sa propre hiérarchie politique et religieuse. Il s’agit ici plus précisément du Chodoy lof entre les villes de Temuco et Valdivia, réalisé entre 2004 et 2006. Ce travail de cartographie participative, alliant cartographie “conventionnelle” et méthode “interculturelle”, avait pour objectif de comprendre et de définir les limites territoriales du Chodoy lof Mapu, de localiser les principaux sites sacrés et d’identifier les propriétés privées installées à l’intérieur de son périmètre. Dans ce cas, la localisation des sites sacrés devait être communiquée par les ancêtres et les esprits à travers les rêves des Ngenpin, officiers religieux et “maîtres de la parole” de la communauté. Ce sont les entités spirituelles qui accordent l’accès à ces lieux et qui jouent un rôle actif dans l’avancement du processus cartographique. L’espace n’est plus seulement physique mais revêt une dimension spirituelle, incarnée par les non-humains et les gardiens tutélaires de chaque lieu. Selon d’Irène Hirt, cette production cartographique a eu un impact positif sur la communauté Mapuche du Chodoy lof car elle a permis une réappropriation “symbolique” du territoire. Ce projet a participé à la politisation des Mapuches du Chodoy lof et à l’émergence d’une prise de conscience des spoliations territoriales subies par la communauté, à travers une “re-constitution et re-socialisation d’un récit collectif sur l’histoire du territoire”.
En revanche, l’article souffre d’une dichotomie un peu prononcée entre cartographie “occidentale” et cartographie “autochtone”. Le conflit Mapuche actuel apparaît plutôt comme l’expression d’un rapport de pouvoir entre un groupe favorisé (ou dominant) et un groupe défavorisé (ou dominé) que d’un rapport entre peuple autochtone et société occidentale. Aussi, l’aspect politique mentionné dans l’article semble très peu exploré. La carte du Chodoy lof ne fait pas apparaître les superpositions entre “territoire Mapuche” et “territoire occidental”, et notamment les conflits entre propriétés privées et les interdictions d’accès par rapport à la localisation des sites importants pour la communauté. La carte ne dessine aucun point de référence pour un allochtone, faisant apparaître la zone étudiée comme un non-lieu, un espace introuvable. Cette façon de présenter la carte sans recours aux dénominations administratives et étatiques délivre ce que Irène Hirt considère une cartographie “décolonisée”. Néanmoins, il est intéressant de se demander si ce type de carte possède une réelle finalité politique. L’étude de cas présentée ici ne montre pas les “représentations dominantes du territoire, les découpages fonciers et les limites administratives chiliennes” qui pourtant jouent un rôle majeur dans les difficultés rencontrées par les Mapuches dans leurs revendications territoriales vis-à-vis de l’Etat chilien.
Vient le moment de mettre en œuvre le protocole « CONFINEMENT ». Je suis en présentiel et je me retrouve dans un groupe composé de Marion, de Romane et d’un autre étudiant dont j’ai perdu le nom. C’est Marion qui est promue au grade d’« enquêtée » par le groupe. Nous sommes dans une petite salle, au numéro 54 du boulevard Raspail. Marion sort pour nous laisser entre enquêteurs. Nous réfléchissons alors à la posture à adopter pour mener un entretien collectif. Pour moi, c’est une première : j’ai déjà mené un entretien avec une autre enquêtrice face à un interlocuteur seul, j’ai déjà aussi interrogé deux personnes en même temps, mais je n’ai jamais questionné une seule personne avec deux autres chercheurs. La relation d’entretien est, il me semble, très différente. Trois enquêteurs, n’est-ce pas trop ? Si le développement d’une relation de confiance n’est de fait pas toujours aisé entre deux personnes, cela me paraît plus complexe de faire de même si nous sommes quatre. Ce temps de réflexion passé, Marion revient dans la salle. L’entretien se déroule sans problème. Il est très dense. Il y a de l’émotion, celle du terrain.
Voici ma carte :
Carte sensible des espaces intérieurs du confinement de Marion, de mars 2020 à mars 2021 – Louka Herse
J’étais personnellement chargé d’établir la carte sensible de son rapport aux espaces intérieurs et notamment de son usage et de son rapport à l’espace domestique. Mais Marion nous a surtout parlé de son corps, du rapport de son corps à l’espace et dans l’espace. Par conséquent, au sortir de l’entretien, il m’est impossible de dessiner une carte de la géographie domestique de Marion. Je décide donc de représenter plutôt la façon dont elle a géré son corps dans l’espace ou plutôt la façon dont elle a géré l’espace avec son corps. J’essaie notamment de rendre compte de trois mouvements qui, pour moi, sont centraux dans le discours de Marion : une dialectique douleurs/plaisirs du corps, une dialectique entre l’intérieur et l’extérieur, une dialectique extension/repli du corps sur le monde.
Romane : la carte sensible des espaces du dehors
J’étais chargée de réaliser la cartographie de l’espace de Marion en dehors du logement pendant le confinement.
Carte sensible des espaces en dehors du logement du confinement de Marion, de mars 2020 à mars 2021 – Romane Gadé
La première étape a consisté à prendre des notes lors de l’entretien. J’ai essayé de réaliser une prise de notes la plus complète possible en portant une attention particulière aux différents (et nombreux) espaces investis par Marion sur la période étudiée, de mars 2020 à mars 2021. Sur cette période, Marion s’est déplacée dans plusieurs villes. Elle a souvent changé de logement et, donc, les lieux extérieurs à ses espaces d’habitation ont aussi beaucoup varié. Du fait de cette multiplicité d’espaces investis, il m’a semblé essentiel de faire apparaître une chronologie la plus fidèle possible aux différents déplacements de Marion.
L’objectif de la carte est de montrer les variations des utilisations de l’espace en dehors du logement, pendant un an à partir du premier confinement. Afin de montrer les variations, je me suis donc appuyée sur la chronologie que j’ai choisi de faire ressortir à travers une sémiologie attribuant une couleur à une période donnée. En couleur, selon les périodes, apparaissent donc :
…des déplacements, sous la forme de flèches et avec une typographie différente selon la durée d’installation et la définition géographique :
des lignes pleines pour les déplacements qui ont amené à une installation dans la durée. Ces villes sont spatialisées les unes aux autres (pas à l’échelle de la France) : Paris au Nord, Chambéry au sud-est de Paris, Lyon au sud de Paris et à l’ouest de Chambéry.
des traits en pointillés pour les voyages de courte durée, par exemple un week-end, et dont la spatialisation n’est pas définie sur la carte.
… des espaces géographiques extérieurs, qui ont été importants pour elle (les montagnes de Chambéry, le Rhône et la Saône, la colline Fourvière et son terrain de recherche à Aubervilliers). J’ai également représenté deux de ses logements sur la période de mars 2020 (la Cité internationale et sa maison familiale à Chambéry), ce que j’ai regretté aussitôt les avoir dessinés puisque j’aurais dû me contenter des espaces en dehors du logement.
… mais aussi des personnes qui peuplent ces « espaces en dehors du logement » et qui sont déterminantes pour Marion : les femmes de son collectif féministe d’improvisation vocale à Aubervilliers ; ou la présence de ses amis à Lyon qui a déterminé son installation pendant le second confinement.
Le nom des villes est inscrit en couleur noir. La typographie est différente selon si ces villes sont des lieux où Marion s’est installée (en majuscule) ou si ce sont simplement des lieux de passage (minuscule). Au centre de ce triangle que forment les déplacements Paris-Chambéry-Lyon, j’ai représenté la silhouette de Marion. L’objectif est ici de souligner l’importance que revêt pour Marion l’échelle de son corps. Il s’agit là aussi d’une « variation » sur la période mars 2020-mars 2021 puisqu’elle nous a expliqué avoir particulièrement pris conscience de son corps pendant le confinement.
Enfin, j’ai inséré des verbatim issus de ma prise de notes pour qualifier certains espaces et expliquer certaines pratiques. Ces extraits d’entretien nous informent sur le ressenti de Marion pendant le confinement (« je cherche la porte de sortie tout le temps » illustre son besoin de sortir de son logement, où qu’elle se trouve) mais aussi sur ses pratiques (« j’allais crapahuter le long du Rhône et de la Saône »…).
Le brouillon
Avant de commencer la carte, j’ai esquissé quelques idées sur un brouillon :
Le triangle de déplacements Paris-Lyon-Chambéry
Les 5 temporalités que j’ai identifiées
Les lieux, avec la notion d’ « installation » et de « bouger » (pour les déplacements courts)
Et enfin les pratiques, où j’ai noté la marche et la course.
Réaliser cette carte dans le temps imparti a été difficile. Le manque de temps ne m’a pas permis d’inclure autant de citations que je l’aurais souhaité. De plus, le temps contraint ne m’a pas permis de hiérarchiser les informations importantes. J’ai représenté certaines choses (comme la voiture du père de Marion qui l’a emmené à Lyon en mars 2020, ou encore la notion « agrégation » pour indiquer qu’elle avait passé le concours lors de l’été 2020) qui ne sont pas cruciales pour comprendre les variations des espaces vécus par Marion en dehors de son logement durant cette période d’un an à partir du premier confinement.
Marion : la carte de l’enquêtée
J’ai été désignée comme la personne enquêtée. Dans un premier temps j’ai pris des notes pour essayer de trouver les mots clés et motifs qui émergeaient lorsque je pensais aux trois espaces évoqués. Je me suis rendue compte que je parvenais difficilement à me soumettre aux espaces réels évoqués par le protocole, et que j’avais surtout réfléchi en terme de stratégie pour échapper au confinement et au sentiment d’enfermement (déménagements multipliés en l’espace d’un an, métaphore de l’espace du corps agrandi/restreint, non respect des consignes sanitaires pour me remettre en mouvement à l’extérieur, etc, cartographie de l’espace capté à distance). Je me suis aussi rendue compte paradoxalement que tout en ayant peu suivi les restrictions, j’avais choisi une temporalité longue, depuis mars 2020, date depuis laquelle j’ai le sentiment d’être en sursis, malgré les « dé-confinements » officiellement annoncés.
Carte sensible du confinement, de mars 2020 à mars 2021 – Marion Sbriglio
Le(s) brouillon(s)
La carte a été réalisée après plusieurs brouillons. J’ai d’abord tenté de réaliser un diagramme qui prenne en compte l’évolution de mon rapport à ces trois espaces depuis le début du Covid (la continuité perçue entre confinement-déconfinement étant plus grande que la rupture). Finalement j’ai tenté de réaliser un schéma de synthèse représentant mes stratégies relatives à ces trois espaces pour échapper au sentiment d’enfermement. Ces stratégies, qui reposent sur mes privilèges, ont été de trois ordres, correspondant aux trois espaces :
Changer de logement pour trouver le plus grand et / ou celui à partir duquel il me serait le plus facile de sortir sans me faire contrôler par les forces de police et sans nécessairement suivre les règles sanitaires
Investir les espaces limitrophes au logement par la pratique sportive / de la balade le long des fleuves (Paris, Lyon), sur les reliefs (montagnes à Chambéry, points culminants de Fourvière ou les Buttes Chaumont à Paris) ET investir davantage les seuils du logement ouvrant sur l’extérieur (portes, fenêtres, paliers, terrasses, etc)
Multiplier les espaces captés à distance (radio, méditation) ou la sensation d’espace (mouvements de yoga) au sein du logement
Finalement, cette représentation graphique représente un entre-deux, de la géographie « réelle », concrète qui a été la mienne pendant le confinement (nombre d’heures passé dans les logements successifs) et les stratégies pour bouleverser cette géographie.
Les registres graphiques employés et déployés à 3 échelles
La carte de France renvoie
Les dessins renvoient aux spécificités des environnements proches des lieux de confinement que je parcourais le plus souvent possible
Le schéma renvoie à une configuration récurrente des logements fréquentés
Les figurés
La prédominance des flèches renvoie pour moi à toutes les stratégies développées pour « gagner de l’espace » (dans l’espace du logement, à l’extérieur du logement, par la captation d’espace à distance).
Les signes + renvoient aux pièces/endroits que je privilégiais privilégiais
Les couleurs
Rouge : espaces contractés par les règles du Covid et ressenti comme contracté, la couleur renvoie aussi pour moi à un registre émotionnel de la peur de l’enfermement
Vert : pratique d’extension de l’espace vécu (parcouru ou capté) par des stratégies privilégiant le mouvement dans les espaces extérieurs, et à l’intérieur la représentation d’espaces imaginés ou captés à distance (le confinement a été pour moi le moment d’expérimentations cartographiques)